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« de m'attacher au point, qu'appelé par l'heure et le << signal convenu, je ne pouvais m'arracher de là sans << efforts. >>

Young a mal profité des rêveries qu'inspirent de pareilles scènes, parce que son génie manquait de tendresse.

Quant aux souvenirs du malheur, ils sont nombreux dans le poète, mais sans vérité, comme le reste. Ils n'ont rien de ces accens de Gilbert, expirant à la fleur de l'âge, dans un hôpital, et abandonné de ses amis:

Au banquet de la vie, infortuné convive,

J'apparus un jour, et je meurs!

Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Adieu! champs fortunés, adieu! douce verdure,
Adieu! riant exil des bois;

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Adieu pour la dernière fois!

Ah! puissent voir long-temps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux!

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu'un ami leur ferme les yeux!

Dans plusieurs endroits, Young déclame contre la

solitude: l'habitude de son cœur n'était donc ni du prêtre ni du poète. Les saints nourrissent leurs méditations au désert, et le Parnasse est aussi une montagne solitaire. Bourdaloue suppliait le chef de son ordre de lui permettre de se retirer du monde. « Je sens << que mon corps s'affaiblit et tend à sa fin, écrivait<< il. J'ai achevé ma course; et plût à Dieu que je pusse « ajouter, j'ai été fidèle !... Qu'il me soit permis d'em<< ployer uniquement pour Dieu et pour moi-même « ce qui me reste de vie..... Là, oubliant toutes les << choses du monde, je passerai devant Dieu toutes << les années de ma vie dans l'amertume de mon ame. >> Si Bossuet, vivant au milieu des pompes de Versailles, a su pourtant répandre dans ses écrits une sainte et majestueuse tristesse, c'est qu'il avait trouvé dans la religion toute une solitude.

Au surplus, dans ce genre descriptif élégiaque, notre siècle a surpassé le précédent. Ce n'est plus, comme autrefois, des descriptions vagues, mais des observations précises qui s'harmonient aux sentimens, qui charment par leur vérité, et laissent dans l'ame comme une sorte de plainte.

Regretter ce qu'il a perdu, habiter dans ses souvenirs, marcher vers la tombe, en s'isolant, c'est l'homme. Les images prises dans la nature ont mille

rapports avec nos fortunes: celui-ci passe en silence, comme l'épanchement d'une source; celui-ci attache un bruit à son cours, comme un torrent; celui-ci jette sa vie, comme une cataracte : elle épouvante et disparaît.

Young pleure donc sur les cendres de Narcissa sans attendrir le lecteur. Une mère était aveugle; on lui avait caché que sa fille allait mourir : elle ne s'aperçut de son malheur qu'en embrassant cette fille, et en trouvant sous ses lèvres maternelles l'huile sainte dont le prêtre avait touché un front virginal. Voilà ce qui saisit le cœur plus que toutes les pensées des nuits du père de Narcissa.

GRAY. THOMSON. DELILLE. FONTANES.

De l'auteur des Nuits je passe au chantre des morts champêtres. Gray a trouvé sur la lyre une série d'accords et d'inspirations inconnus de l'antiquité. A lui commence cette école de poètes mélancoliques, qui s'est transformée de nos jours dans l'école des poètes désespérés. Le premier vers de la célèbre élégie de Gray est une traduction presque littérale du dernier vers de ces délicieux tercets du Dante,

Era già l'ora che volge 'l disio

A' naviganti e' ntenerisce il cuore
Lo di ch'han detto a' dolci amici addio,

E che lo nuovo peregrin d' amore
Punge, se ode squilla di lontana

Che paja 'l giorno pianger che si muore.

Gray dit:

The curfew tolls the knell of parting day.

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Dans mon temps, j'ai aussi imité le Cimetière de campagne. (Qui ne l'a pas imité ?)

Eh! que sont les honneurs? l'enfant de la victoire,
Le paisible mortel qui conduit un troupeau,
Meurent également; et les pas de la gloire,

Comme ceux du plaisir, ne mènent qu'au tombeau.

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Peut-être ici la mort enchaîne en son empire
De rustiques Newton de la terre ignorės,
D'illustres inconnus dont les talens sacrés

Eussent charmé les dieux sur le luth qui respire :
Ainsi brille la perle au fond des vastes mers;

Ainsi meurent aux champs des roses passagères,

Qu'on ne voit point rougir, et qui, loin des bergères,
D'inutiles parfums embaument les déserts.

L'exemple de Gray prouve qu'un écrivain peut rêver sans cesser d'être noble et naturel, sans mépriser l'harmonie.

L'ode sur une Vue lointaine du collège d'Eton, est digne, dans quelques strophes, de l'élégie sur le Cimetière de campagne.

Ah happy hills! ab pleasing shade!
Ah fields belov'd in vain!

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