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MILTON REVENU EN ANGLETERRE. SES OCCUPATIONS ET SES PREMIERS OUVRAGES DE CONTROVERSE.

Le voyageur revenu à Londres ne prit aucune part active aux premiers mouvemens de la révolution. Ecoutons Johnson:

« Que notre respect pour Milton ne nous défende << pas de regarder avec quelque degré d'amusement, << de grandes promesses et de petits effets, un homme « qui revient en hâte au logis, parce que ses compa« triotes luttent pour leur liberté, et qui, arrivé sur « le théâtre de l'action, évapore son patriotisme << dans une école privée. Cette période de la vie du « poète est celle devant laquelle tous ses biographes « ont reculé : il leur est désagréable d'abaisser Milton << au rang de maître d'école; mais comme on ne peut « nier qu'il enseigna des enfans, l'un trouve qu'il les <«< instruisit pour rien, l'autre pour le seul amour de « la propagation du savoir et de la vertu. Tous disent

<< ce qu'ils savent n'être pas vrai, afin d'excuser une << condition à laquelle un homme sage ne peut trouver << aucun reproche à faire.»

L'esprit satirique et la malveillance de Johnson se fait ici remarquer. Le docteur, qui n'avait pas vu de révolution, ignorait que, dans ces grands troubles, les champs de bataille sont partout et que chacun choisit celui où l'appelle son inclination ou son génie : l'épée de Milton n'aurait pas fait pour la liberté ce que fit sa plume. Le docteur, grand royaliste, oublie encore que tous les royalistes ne prirent pas les armes ou ne montèrent pas sur l'échafaud, comme le duc d'Hamilton, le lord de Holland et lord Capel; que lord Arundel, par exemple, ami des muses comme Milton, et à qui la science doit les marbres d'Oxford, quitta Londres, tout grand-maréchal d'Angleterre qu'il était, au commencement de la guerre civile, et alla mourir paisiblement à Padoue: il est vrai que son malheureux neveu, Guillaume Howard, lord Stafford, paya pour lui tribut au malheur, et l'on sait trop par qui son sang fut répandu.

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Pendant trois ans Milton donna des soins à l'éducation des deux fils de sa sœur et à quelques jeunes garçons de leur age. Il habita successivement au cimetière de Saint-Bride dans Fleet-Street, et un grand

hôtel avec un jardin dans Aldersgate. Il se fortifia dans les langues anciennes en les enseignant; il apprit l'hébreu, le chaldéen et le syriaque. En 1640, à l'époque de la convocation du Long-Parlement, il débuta dans la polémique et plaida la cause de la liberté religieuse contre l'Église établie. Son ouvrage, divisé en deux livres, adressé à un ami, a pour titre : of Reformation touching church discipline; etc., « de la Réformation touchant la discipline de l'Église << en Angleterre, et des causes qui jusqu'ici l'ont em« pêchée. » Il publia ensuite trois traités : Épiscopat anglais, Raison du Gouvernement de l'Église, Apologie pour Smectymnus; ce nom était composé de la réunion de six lettres prises des noms des six théologiens auteurs du Traité de Smectymnus. Pour les lecteurs d'aujourd'hui, il n'y a rien à tirer de ces ouvrages, si ce n'est ce que Milton dit dans la Raison du Gouvernement de l'Église, de son dessein de composer un poëme en anglais.

<< Peut-être avec le temps, le travail, et le penchant « de la nature, j'enverrai quelque chose d'écrit à la « postérité, qu'elle ne laissera pas volontiers mourir : « je suis possédé de cette idée. Peu m'importe d'être «< célèbre au loin, je me contenterai des îles Britan«niques, mon univers. Mais il ne suffit pas d'invo

« quer les filles de mémoire, il faut par des prières << ferventes implorer l'Esprit éternel; lui seul peut << envoyer le Séraphin qui, du feu sacré de son autel, « touche et purifie nos lèvres. »

Milton ne faisait pas aussi bon marché de sa renommée que Shakspeare: celui-ci plaît par l'insouciance de sa vie; d'un autre côté on aime à voir un génie encore inconnu, se prophétiser lui-même, quand la postérité, confirmant la prédiction, lui répond : << Non! je n'ai pas laissé mourir ce quelque chose que << tu as écrit. >>

Malheureusement Milton, cédant à l'ardeur de son caractère dans cette dispute religieuse, parle avec dédain du savant et vénérable évêque anglican Usher, à qui la science doit des travaux admirables sur l'Histoire de la Chronologie.

MARIAGE DE MILTON.

Milton, à l'âge de dix-neuf ans, avait composé sa septième élégie latine dans laquelle il dit :

« Un jour de mai, dans une promenade aux environs « de Londres, je rencontrai une jeune femme d'une beauté extraordinaire. J'en devins passionnément << amoureux; mais soudain je la perdis de vue je n'ai << jamais su qui elle était, et ne l'ai jamais retrou<< vée. Je fis le serment de ne jamais aimer. >>

Si le poète tint son serment, il faudrait supposer qu'il n'aima aucune de ses trois femmes, car il se maria trois fois. En ce cas qu'aurait été la vierge si promptement évanouie? Peut-être cette Compagne céleste qui visitait l'Homère anglais pendant la nuit, et lui dictait ses plus tendres vers. Dans un beau portrait de Milton, M. Pichot raconte que cette sylphide mystérieuse était Léonora, l'Italienne: l'auteur du Pèlerinage à Cambridge brode là-dessus une touchante

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