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NOTES

SUR MON PROCÈS ET L'INTERROGATOIRE QUI L'A COMMENCÉ.

Dans les premiers instants de mon arrestation, j'imaginai d'écrire à Duperret pour le prier de faire entendre mes réclamations; sans être liée avec lui, j'avais remarqué dans son caractère cette espèce de courage qui fait que l'on ne craint pas de se mettre en avant quand il est question d'obliger, et il m'inspirait la confiance que donne en révolution la conformité des mêmes principes. Je ne m'étais pas trompée; Duperret me répondit avec intérêt et chaleur; il ajouta à l'expression de ses sentiments quelques nouvelles sur l'état des choses et celui des députés fugitifs. Je le remerciai; je répliquai sur l'article de nos amis en exprimant mes vœux pour leur salut et celui de ma patrie. Quelques jours après, ayant fait imprimer l'interrogatoire qu'un administrateur de police était venu me faire subir à l'Abbaye, j'en adressai un exemplaire à Duperret 2; j'exprime à cette occasion mon mépris pour les sots mensonges qu'Hébert venait de débiter à mon sujet dans son Père Duchesne. Ces objets for

1. Les notes dans le manuscrit sont accompagnées d'un feuillet blanc portant la suscription suivante: « A la citoyenne bonne Fleury, rue de la Harpe, no 51. » F.

2. Voir à la fin de ces Notes deux billets et une lettre de Mme Ro

mant une correspondance de trois ou quatre petites lettres, y compris un billet par lequel je prévenais Duperret, ainsi que je prévins dans le temps plusieurs personnes que je jugeais s'intéresser à moi, de ma prétendue mise en liberté de l'Abbaye, transformée subitement en une nouvelle arrestation pour Sainte-Pélagie. C'est cette correspondance sur laquelle on veut fonder une accusation contre moi, comme ayant du moins indirectement entretenu des relations avec les députés rebelles du Calvados.

Le jour même de l'exécution de Brissot1, je fus transférée à la Conciergerie, placée dans un lieu infect, couchée sans draps, sur un lit qu'un prisonnier voulut bien me prêter; et le lendemain je fus interrogée au greffe du tribunal, par le juge David accompagné de l'accusateur public, en présence d'un homme que je soupçonne être un juré. On me fait d'abord de longues questions sur ce qu'était Roland avant le 14 juillet 89; qui était maire à Lyon lorsque Roland fut municipal, etc. Je satisfais à ces questions par l'exact exposé des faits; mais je remarquai dès là même qu'en me demandant beaucoup de choses, on n'aimait pas que je répondisse avec détails. Après quoi sans transition l'on me demande si, dans le temps de la Convention, je ne voyais pas souvent tels députés, et l'on dénomme les proscrits et les condamnés; si je n'ai pas entendu, dans leurs conférences, traiter de la force départementale et des moyens de l'obtenir. J'a

land à Duperret. La lettre qu'elle lui écrivit en lui envoyant son interrogatoire est donnée page 130, ci-dessus.

F.

On trouvera, appendice n° XIX, les réponses de Duperret, et l'extrait d'une lettre de Barbaroux à Duperret concernant Mme Roland.

1. Le 31 octobre 1793.

F.

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vais à expliquer que je voyais quelques-uns de ces députés comme des amis avec lesquels Roland et moi nous étions liés du temps de l'Assemblée constituante; quelques autres par occasion, comme connaissances et amenés par leurs collègues, et que je n'avais jamais vu plusieurs d'entre eux; que d'ailleurs il n'y avait jamais eu chez Roland de comités, ni de conférences, mais qu'on y parlait seulement, en conversations publiques, de ce dont s'occupait l'Assemblée, et de ce qui intéressait tout le monde. La discussion fut longue et difficile, avant que je pusse faire inscrire mes réponses; on voulait que je les fisse par oui et par non, on m'accusa de bavardage; on dit que nous n'étions pas là au ministère de l'intérieur pour y faire de l'esprit; l'accusateur public et le juge, le premier surtout, se comportèrent avec la prévention et l'aigreur de gens persuadés qu'ils tiennent un grand coupable et impatients de le convaincre. Lorsque le juge avait fait une question et que l'accusateur public ne la trouvait pas de son goût, il la posait d'une autre manière, l'étendait et la rendait complexe ou captieuse; interrompait mes réponses, exigeait qu'elles fussent abrégées c'était une vexation réelle. J'ai été retenue environ trois heures, ou un peu plus, après lesquelles on a suspendu l'interrogatoire pour le reprendre le soir, disaiton. J'attends. La volonté de me perdre me semble évidente; je n'assurerai point mes jours par une lâcheté, mais je ne veux point prêter le flanc à la malveillance, et faciliter par des bêtises le travail de l'accusateur public qui semble désirer que je lui prépare, dans mes réponses, l'acte d'accusation que son zèle médite contre moi.

Deux jours après, j'ai été appelée de nouveau pour la suite de l'interrogatoire. La première question a porté sur la prétendue contradiction que l'on prétendait exister entre mes lettres à Duperret, et ce que j'avais dit que je n'étais pas liée particulièrement avec lui; d'où il résultait que je déguisais la vérité sur mes relations politiques avec les rebelles. J'ai répondu que je n'avais pas vu Duperret plus de dix fois, et jamais en particulier; qu'il était aisé de le voir par la première lettre que je lui adressai en lui envoyant copie de celle pour la Convention; que les lettres subséquentes étaient le résultat de l'intérêt et de la franchise avec lesquels il m'avait répondu, etc.; qu'à l'époque où avait commencé cette petite correspondance, il n'y avait point de ce qu'on appelait révolte et rébellion; que j'avais alors peu de choix à faire dans l'Assemblée pour m'adresser à une personne à laquelle je ne fusse pas tout à fait étrangère, et qui voulût se charger de mes intérêts. - Demandé quels étaient avec lui nos amis communs? R. Particulièrement Barbaroux.

D. Si je n'avais pas connaissance que Roland, avant son ministère, eût été du comité de correspondance des Jacobins? R. Oui.

D. Si ce n'était pas moi qui me chargeait de la rédaction des lettres qu'il avait à faire pour le comité?

R. Que je n'avais jamais prêté mes pensées à mon mari, mais qu'il pouvait avoir quelquefois employé ma main. D. Si je ne connaissais point le bureau de formation d'esprit public établi par Roland pour corrompre les départements, appeler une force départementale, déchirer la république suivant les projets d'une faction liberticide, etc., et si ce n'était pas moi qui dirigeais ce bureau?

R. Que Roland n'avait point établi de bureau sous cette dénomination et que je n'en dirigeais aucun. Qu'après le décret de la fin d'août qui lui ordonnait de répandre des écrits utiles, il avait affecté à quelques commis le soin de les expédier; qu'il mettait du zèle à l'exécution d'une loi dont l'observation devait répandre la connaissance et l'amour de la révolution; qu'il appelait cela la correspondance patriotique, et que ses propres écrits, loin d'exciter à la division, respiraient tous le désir de concourir au maintien de l'ordre et de la paix.

Observé que je déguiserais en vain la vérité, comme il paraissait évidemment, par toutes mes réponses, que je voulais faire; que sur la porte de ce bureau même il y avait une ridicule dénomination, et que je n'étais pas assez étrangère aux opérations de mon mari pour l'avoir ignorée; qu'inutilement je voudrais justifier Röland, et qu'une fatale expérience n'avait que trop appris le mal qu'avait fait ce perfide ministre, en répandant des calomnies contre les plus fidèles mandataires du peuple, et soulevant les départements contre Paris.

R.Que, loin de déguiser la vérité, je m'honorais de lui rendre hommage même au péril de ma vie; que je n'avais jamais vu l'inscription dont on me parlait ; que j'avais remarqué au contraire, dans le temps que cette dénomination se répandait dans le public, qu'elle n'était pas employée dans les états imprimés des bureaux du département de l'intérieur. Quant aux attributions injurieuses faites à Roland, je n'opposais que deux faits: le premier, ses écrits qui tous renfermaient les meilleurs principes de la morale et de la politique; le deuxième, l'envoi qu'il faisait de tous ceux imprimés par ordre de la Convention nationale, et son exactitude à faire expédier

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