Page images
PDF
EPUB

leurs talents, connus à Bordeaux par leur amour pour la révolution, vinrent à l'Assemblée législative; ils y furent les premiers en talents, et ce genre d'aristocratie leur a fait plus d'ennemis ou des ennemis plus dangereux que l'incivisme ne leur en eût donné. Ils tinrent le fauteuil le 10 août, lorsque les faibles eussent tremblé de représenter dans ce moment critique, et il faut être bien fourbe pour tenter de leur faire un tort de la modération et de la mesure qu'ils mirent dans leur conduite à cette époque intéressante. Cependant Brissot se lia naturellement avec eux, parce qu'il y avait plus de parité qu'avec nul autre, comme dans l'Assemblée constituante, dont il n'était pas, il s'était lié par rapports de principes avec leurs défenseurs; compatriote et ami de Pétion, il vit ceux de ses collègues qui soutenaient la même cause pour le triomphe de laquelle il écrivait son journal.

Il avait partagé l'erreur de beaucoup de gens sur le compte de Lafayette; ou plutôt il paraît que Lafayette, d'abord entraîné par des principes que son esprit adoptait, n'eut pas la force de caractère nécessaire pour les soutenir quand la lutte devint difficile; où que peut-être, effrayé des suites d'un trop grand ascendant du peuple, il jugea prudent d'établir une sorte de balance. Le fait est que, professant même le républicanisme dans le particulier, Brissot fut longtemps encore à ne pas le croire coupable, lorsqu'il était devenu tel aux yeux des plus ardents. Mais il l'avait hautement blâmé et déclaré publiquement sa rupture avec lui, dès avant l'affaire du Champ de Mars. Ici le rapporteur se pique si peu d'exactitude, qu'il confond les époques; il fait venir Brissot aux Jacobins en mars 91, pour préparer l'affaire du Champ de Mars qui eut lieu en juillet, et qui ne fut

occasionnée que par la fuite et le retour du roi qui s'étaient faits en juin. On sait bien d'ailleurs que Brissot n'alla pas aux Jacobins pour exciter à faire la pétition, mais qu'il y vint parce qu'il fut nommé commissaire pour la rédiger; je me souviens de lui avoir entendu raconter le lendemain que Laclos, commissaire avec lu, s'était plaint d'un si grand mal de tête, qu'il ne pouvait prendre la plume et qu'il pria Brissot de la tenir; que ce même Laclos proposait d'insérer un article qu'il an: nonçait d'un air sans conséquence, mais qui eût été favorable à d'Orléans; que Brissot le rejeta avec indignation, en mettant à la place celui qui invitait à la république, pour laquelle ce moment était le véritable, et eût été bien précieux. On sait aussi que l'Assemblée ayant prononcé en faveur du roi, les jacobins, au lieu d'envoyer la pétition au Champ de Mars, y firent dire par des députés de leur société qu'il n'y avait plus lieu à la dresser, puisque la loi était portée. Ceci se passa le samedi. J'ai vu venir ces députés au Champ de Mars, où j'étais à midi avec trois ou quatre cents personnes, pas davantage, et où déclamaient sur l'autel de la patrie le cordelier, petit bossu, Verrières, et d'autres. Ce fut le lendemain dimanche qu'il y eut au matin une farce tragique de deux hommes pendus, lorsqu'il n'y avait pas trente personnes de rassemblées, et que j'ai entendu attribuer alors avec vraisemblance à la coalition des Lameth et autres, pour avoir une occasion de déployer la force et d'en imposer par la terreur. En effet, le dimanche fit assembler beaucoup de gens que le bruit vague d'une pétition avait attirés, tandis que celui de la pendaison n'était point encore répandu; Robert se mit réellement en devoir d'en rédiger une; il l'avait finie, il la faisait signer, lorsque l'appareil

de la force fut déployé, par suite de la dénonciation faite à l'Assemblée, et de la lettre violente écrite en conséquence par Charles Lameth, alors président, à la Commune de Paris, sur la nécessité de réprimer d'affreux désordres dont deux hommes avaient été victimes. Ainsi l'assassinat matinal fait pour ainsi dire à la dérobée servit de prétexte pour fusiller le peuple réuni après le dîner; le drapeau rouge fut arboré à la maison commune, la frayeur et les arrestations s'établirent et préparèrent le triomphe des réviseurs qui voulaient fortifier la cour. Certes! il ne faut lire que le Patriote d'alors pour juger s'il est possible que Brissot qui dénonça l'affaire du Champ de Mars, soutint le peuple et fit la guerre aux réviseurs, fût en même temps leur complice. Cette accusation est révoltante! mais tout est ainsi d'un bout à l'autre dans cet ouvrage d'iniquité.

Je ne traiterai pas ici la question de la guerre; elle fut l'époque de la grande division entre les patriotes : Robespierre, ardent, jaloux, avide de popularité, envieux des succès d'autrui, dominateur par caractère et par prévention pour lui-même, se fit le chef du parti de l'opposition à la déclaration de guerre. Il faut voir les discours sur ce sujet; il m'a paru en général que la masse des gens éclairés était pour l'affirmative et de l'avis de Brissot; il est certain que la cour y répugnait beaucoup, et que le roi fut en quelque sorte violenté par son conseil. Il avait tout à gagner d'attendre; les ennemis se préparaient à l'aise, et notre inaction nous eût livrés à eux sans défense. Robespierre ne pardonna pas ce triomphe à Brissot. La glace fut rompue dès lors; il ne s'attacha plus qu'à tous les malheurs inévitables ou autres qui survinrent pour en faire des crimes aux partisans de

la guerre; l'exagération de la passion devint par degré un système raffiné de calomnie, profondément calculé, opiniâtrement suivi. Il ne fut plus permis à Brissot de faire l'éloge d'un homme que ce ne devint une perfidie, si cet homme s'écartait ensuite du droit chemin. Brissot avait alors dans le ministère des personnes qu'il voyait, et dont il était estimé : autre sujet de défiance et de jalousie. Ces ministres, honorablement disgraciés par la cour, furent rappelés après sa chute; Brissot était du petit nombre des hommes à talents de l'Assemblée dans cet instant, et qui avaient sur elle quelque ascendant; Brissot parut un personnage puissant à Robespierre qui jura de le perdre et qui put y travailler à loisir, car Brissot confiant n'a pas cessé de compter sur la pureté de ses intentions, comme si le public ne pouvait être abusé à cet égard, et il ne put se résoudre à aller batailler aux Jacobins contre un éternel harangueur qui l'ennuyait à périr. Il méprisa son adversaire, il en est renversé. Mais qui aurait pu croire à la faiblesse de la Convention et à la stupidité du peuple? Ceux qui ne se laissant pas entraîner par les événements du jour, prennent le temps de relire souvent l'histoire et de méditer sur elle en faisant des rapprochements. Je n'ai pas vu un homme en place dans la révolution qui fit ainsi ; c'est que véritablement à peine a-t-on le temps de vivre et de suffire à tout ce que chaque jour impose, à moins d'une sévérité excessive, difficile et rare dans la distribution de ses heures.

La lettre de Gensonné et consorts à Louis XVI ne peut être traduite en trahison que par la malveillance la plus insigne. Assurément personne alors n'était sûr d'une heureuse révolution; les sages désiraient donc que le roi

sentit la nécessité de faire marcher la constitution, et se décidât à reprendre pour les conserver des ministres qui voulaient sincèrement la faire exécuter. Ils avaient fait leurs preuves, et la demande de leur rappel n'était point une démarche d'intérêt particulier, mais l'expression du vœu général. Roland pour sa part a ignoré cette lettre des députés jusqu'à ces derniers temps, et n'en aurait probablement jamais entendu parler, s'il n'en eût été instruit avec le public. Mais arrêtons-nous sur les inculpations faites à Roland dans cet acte d'accusation qui sera la honte du siècle et du peuple qui a pu ou l'applaudir ou ne pas hautement l'improuver.

« Dès le lendemain du 10 août, y est-il dit, Gensonné et sa faction affichèrent des diatribes contre ceux qui avaient contribué à la chûte du trône, contre les jacobins, le conseil général de la Commune, le peuple de Paris; la plume de Louvet, celles de Brissot, de Champagneux, furent mises en activité; on a vu chez Roland des paquets énormes de ces libelles; on a vu toute sa maison occupée à les distribuer. »

J'ai relu cette tirade deux fois; je ne pouvais comprendre comment on avait osé l'écrire. Gensonné n'a jamais, que je sache, rien fait afficher; Louvet rédigeait la Sentinelle; cette collection existe; elle a beaucoup servi la révolution; elle est un démenti perpétuel de toutes ces assertions rien ne respire davantage la liberté, les grands et sages principes, la haine de toutes les tyrannies, l'amour de l'égalité. Roland a contribué autant, plus que personne peut-être, à réunir tous les esprits à la révolution; ses circulaires existent aussi; qu'on les lise donc, et que l'on cite ce qui n'est pas même excellent; Champagneux n'expédiait que les pièces même imprimées

« PreviousContinue »