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Lyon, abandonnée par l'ambitieux Brisson pour l'ambulance, était donnée à un très-jeune homme. Je réfléchis que Roland rêvait toujours sa retraite, et se proposait de la demander, après avoir terminé son entreprise encyclopédique, pour aller dans son pays oublier Paris et les bassesses qu'il fallait y faire pour un avancement refusé au mérite; je trouvai qu'il serait meilleur d'aller chez soi avec une place qu'autrement : j'imaginai de demander l'échange de celle d'Amiens où nous étions contre celle de Lyon qui le mettait chez lui, et qu'il ne devait pas être difficile d'accorder ce léger plaisir à un vieux serviteur dont les intendants du commerce redoutaient assez le savoir et surtout le caractère, pour goûter son éloignement. Les commissions étaient déjà expédiées; je fis valoir mes raisons avec l'avantage qu'une femme avait encore dans ce temps-là près de gens qui se piquaient de politesse; on me fit valoir les difficultés que j'appréciai librement ce qu'elles valaient, et j'obtins le changement presqu'en même temps que l'annonce faite à mon mari de la demande que j'avais imaginé d'en faire.

Je rencontrai dans les bureaux Lazowski, alors élégant, bien coiffé, mis avec soin, arrondissant un peu les épaules, marchant sur le talon, faisant jabot, se donnant enfin ce petit air d'importance que les sots d'alors prenaient pour des titres de considération, et dont se moquaient les gens de bon sens.

L'Assemblée constituante ayant renversé les nobles, supprimé les inspecteurs, ravit à Lazowski sa place et son patron; n'osant espérer une pension, qui devait se réduire à zéro eu égard au peu de temps qu'il avait été employé, il se trouvait sans le sou, devint patriote, prit

des cheveux gras, brilla dans une section, et se fit sansculotte puisqu'aussi bien il était menacé d'en manquer.

Vigoureux, jeune encore, criant bien et intrigant de même, il fut bientôt distingué et devint capitaine de quartier dans la garde nationale; il servit en cette qualité au 10 août, et se prévalut beaucoup des dangers de cette journée, à l'instar de tant de gens qui se mêlaient du mouvement pour y trouver quelque profit, et qui venaient fièrement ensuite se présenter comme les sauveurs de la patrie. Mais ces exploits datent du 2 septembre, et de l'activité qu'il sut entretenir dans le massacre des prêtres à Saint-Firmin, sur la section du Finistère, qui était la sienne; il fut également utile dans l'expédition des prisonniers d'Orléans.

Il eut sujet de venir, comme député de sa section, chez le ministre de l'intérieur, où je l'aperçus, et pus juger de son étonnante transformation. Le joli monsieur, à petites grimaces, avait pris la tournure brutale d'un patriote enragé, la face enluminée d'un buveur et l'œil hagard d'un assassin.

Cher aux Jacobins qui savaient apprécier son mérite et lui préparaient de hautes destinées, directeur désigné pour la conspiration du 10 mars, il mourut tout à coup, à Vaugirard, d'une fièvre inflammatoire, fruit des débauches, des veilles et de l'eau-de-vie.

On connaît la douleur de toute la horde à cette perte inopinée; l'oraison funèbre prononcée par le grandprêtre Robespierre, ses touchantes jérémiades et son pompeux éloge du grand homme ignoré; les funérailles éclatantes célébrées par la vénérable Commune et les saintes sociétés; l'adoption de son enfant embrassé dans l'hôtel commun par papa Pache; enfin l'inhumation de

Lazowski près de l'arbre de la liberté, place du Carrousel, où l'on voit encore sa modeste tombe ornée de gazon.

Que ceux qui s'étonneraient de sa gloire posthume se rappellent qu'elle prit naissance au foyer des Jacobins, lorsqu'ils étaient devenus aussi redoutables qu'atroces pour les timides Parisiens; lorsque Marat était dans toute sa gloire, et Danton dans sa puissance.

Assurément le peuple qui prenait l'un pour son prophète et l'autre pour son seigneur, pouvait bien honorer Lazowski comme un saint, ou un héros, ce qui est tout un dans la religion des septembristes.

ROBERT.

Qu'avez-vous donc fait à Robert? me demandait quelqu'un dernièrement; sa femme et lui se déchaînent contre vous plus ardemment qu'aucun de vos ennemis. Je les ai peu vus; je leur ai rendu service; mais je n'ai pas concouru à flatter leur ambition : voici

comment.

Lorsque je partis de Lyon pour Paris en 1791, Champagneux me demanda si je connaissais Mme Robert, femme d'esprit, auteur et patriote : « Nullement; je sais que Mlle Keralio, dont le père a écrit, s'est mariée depuis peu à M. Robert, et qu'ils font ensemble le Mercure national dont j'ai vu quelques numéros; je n'en sais pas davantage. - Voulez-vous la voir? je vous donnerai une lettre pour elle; car nous sommes en relation en qualité de journalistes. Mais vraiment! une femme d'esprit, auteur et républicaine, c'est assez piquant! Donnez-moi une lettre. »

-

Je vins à Paris; j'y étais depuis six semaines, lorsqu'un de mes amis me parlant de Mme Robert qu'il avait eu

occasion de voir, me fit souvenir que j'avais une lettre pour elle je le dis; il me proposa de m'accompagner chez elle un jour; nous nous y rendîmes.

Je vis une petite femme spirituelle, adroite et fine, qui m'accueillit fort agréablement; je trouvai son gros mari, à face de chanoine, large, brillante de santé et de contentement de soi-même, avec cette fraîcheur que n'altèrent jamais de profondes combinaisons. Ils me rendirent ma visite, et je ne poussai pas plus loin la connaissance. Le 17 juillet, sortant des Jacobins où j'avais été témoin des agitations que causèrent les tristes événements du Champ de Mars, je trouvai, en rentrant chez moi à onze heures du soir, M. et Mme Robert. « Nous venons, me dit la femme avec l'air de confiance d'une ancienne amie, vous demander un asile; il ne faut pas vous avoir beaucoup vue pour croire à la franchise de votre caractère et de votre patriotisme : mon mari rédigeait la pétition sur l'autel de la patrie; j'étais à ses côtés; nous échappons à la boucherie, sans oser nous retirer, ni chez nous, ni chez des amis connus où l'on pourrait nous venir chercher. Je vous sais bon gré, lui répliquai-je, d'avoir songé à moi dans une aussi triste circonstance, et je m'honore d'accueillir les persécutés; mais vous serez mal cachés ici (j'étais à l'hôtel Britannique, rue Guénégaud); cette maison est fréquentée, et l'hôte est fort partisan de Lafayette. Il n'est question que de cette nuit, demain nous aviserons à notre retraite. - Je fis dire à la maîtresse de l'hôtel qu'une femme de mes parentes arrivant à Paris, dans ce moment de tumulte, avait laissé ses bagages à la diligence et passerait la nuit avec moi; que je la priais de faire dresser deux lits de camp dans mon appartement. Ils furent disposés

dans un salon où se tinrent les hommes, et Mme Robert coucha dans le lit de mon mari auprès du mien dans ma chambre. Le lendemain au matin, levée d'assez bonne heure, je n'eus rien de plus pressé que de faire des lettres pour instruire mes amis éloignés de ce qui s'était passé la veille. M. et Mme Robert, que je supposais devoir être bien actifs et avoir des correspondances plus étendues comme journalistes, s'habillèrent doucement, cauṣèrent après le déjeûner que je leur fis servir, et se mirent au balcon sur la rue; ils allèrent même jusqu'à appeler par la fenêtre et faire monter près d'eux un passant de leur connaissance.

Je trouvais cette conduite bien inconséquente de la part de gens qui se cachaient. Le personnage qu'ils avaient fait monter, les entretint avec chaleur des événements de la veille, se vanta d'avoir passé son sabre au travers du corps d'un garde national; il parlait très-haut dans la pièce voisine d'un grand antichambre commun avec un autre appartement que le mien; j'appelai madame Robert. « Je vous ai accueillie, madame, avec l'intérêt de la justice et de l'humanité pour d'honnêtes gens en danger; mais je ne puis donner asile à toutes vos connaissances: vous vous exposez à entretenir, comme vous le faites dans une maison telle que celle-ci, quelqu'un d'aussi peu discret; je reçois habituellement des députés qui risqueraient d'être compromis, si on les voyait entrer ici au moment où s'y trouve une personne qui se glorifie d'avoir commis hier des voies de fait; je vous prie de l'inviter à se retirer. « Madame Robert appela son mari; je réitérai mes observations avec un accent plus élevé, parce que le personnage plus épais me semblait d'avoir besoin d'une impression forte; on con

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