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se persuade qu'il y a plus d'impéritie que de mauvaise foi; il sent qu'il serait cruel de faire conduire à l'échafaud un homme qui a pu être trompé; il abandonne son projet, et alors il le dit à Pache lui-même. Celui-ci s'explique, parvient à tirer les renseignements et les pièces concernant les plaintes dont il est l'objet, et fait envoyer Biron à l'armée d'Italie, où on le laisse manquer de tout; - il remporte quelques avantages, on les tait; il fait des : réclamations, on n'y a pas d'égard; le temps s'écoule, le mal s'accroît; il insiste, on lui donne l'ordre de se rendre à Paris; il y arrive, on le saisit et l'enferme à SaintePélagie. Lui-même reconnaît à ce coup la main de Pache et le tyran qui l'opprime.

GIRONDE.

GUADET ET GENSONNÉ s'estiment parce qu'ils se connaissent, et s'aiment peut-être parce qu'ils ne se ressemblent pas; le second est aussi froid que le premier est impétueux; mais les éclats de sa bouillante vivacité ne sont jamais suivis d'aigreur, et l'intention d'offenser n'approche pas de son âme. La nature a fait Guadet orateur ; Gensonné s'est fait logicien; celui-ci perd souvent à délibérer le temps qu'il faudrait employer à agir; l'autre dissipe en mouvements heureux, mais passagers et courts, une chaleur qui devrait être quelquefois concentrée et toujours plus soutenue pour produire un effet durable.

Guadet a eu des instants brillants dans les deux assemblées législative et conventionnelle; ils étaient dus à l'empire de l'honnêteté secondée par le talent; mais trop sensible pour lutter longtemps sans fatigue, il a mérité

la haine des méchants sans être pour eux fort à craindre, et jamais il n'a eu le degré d'influence que ses ennemis ne se plaisaient à supposer que pour exciter contre lui la défiance. Gensonné, utile dans la discussion qu'il a pourtant le défaut de trop étendre, a travaillé dans les comités et a rédigé une partie du plan de constitution proposé. Son discours dans l'affaire du roi est relevé par des traits de ce sarcasme qu'aiguise une apparente froideur, et que les enfants de la Montagne ne lui pardonneront jamais.

Tous deux tendres époux, bons pères, excellents citoyens, hommes vertueux, sincères républicains, ils n'ont succombé sous l'accusation de conspirateurs que pour n'avoir pas su même se coaliser en faveur de la bonne cause, la seule pour laquelle ils ont combattu et méritaient d'exister,

VERGNIAUX fut peut-être l'orateur le plus éloquent de l'Assemblée; il n'improvise pas comme Guadet; mais ses discours préparés, forts de logique, brûlants de chaleur, pleins de choses, étincelants de beautés, soutenus par un très-noble débit, se faisaient lire encore avec un grand plaisir.

Cependant je n'aime point Vergniaux; je lui trouve l'égoïsme de la philosophie; dédaignant les hommes assurément parce qu'il les connaît bien, il ne se gêne pas pour eux: mais alors il faut rester particulier oisif; autrement la paresse est un crime, et Vergniaux est grandement coupable de celui-là. Quel dommage qu'un talent tel que le sien n'ait pas été employé avec l'ardeur d'une âme dévorée de l'amour du bien public et la ténacité d'un homme laborieux!

GRANGENEUVE est bien le meilleur humain qu'on puisse trouver sous une figure de la moindre apparence; il a l'esprit ordinaire, mais l'âme vraiment grande; et il fait de belles choses avec simplicité, sans soupçonner tout ce qu'elles coûteraient à d'autres que lui.

Dans le courant de juillet 1792, la conduite et les dispositions de la cour annonçant des vues hostiles, chacun raisonnait sur les moyens de les prévenir ou de les déjouer. Chabot disait à ce sujet, avec l'ardeur qui vient de l'exaltation et non de la force, qu'il serait à souhaiter que la cour fit attenter aux jours de quelques députés patriotes; que ce serait la cause infaillible d'une insurrection du peuple, le seul moyen de le mettre en mouvement et de produire une crise salutaire. Il s'échauffe sur ce texte et le commente assez longuement. Grangeneuve, qui l'avait écouté sans mot dire dans la petite société où s'était tenu ce discours, saisit le premier instant de parler à Chabot en secret : « J'ai été, lui dit-il, frappé de vos raisons, elles sont excellentes; mais la cour est trop habile pour nous fournir jamais un tel expédient; il faut y suppléer: trouvez des hommes qui puissent faire le coup, je me dévoue pour la victime. » Quoi! vous voulez?... Sans doute: qu'y a-t-il à cela de si difficile? ma vie n'est point fort utile, mon individu n'a rien d'important; je serai trop heureux d'en faire le sacrifice à mon pays. Ah! mon ami, vous ne serez pas seul, s'écrie Chabot d'un air inspiré; je veux partager cette gloire avec vous. Comme vous voudrez; un est assez, deux peuvent mieux faire encore; mais il n'y a pas de gloire à cela; il faut que personne n'en sache rien. Avisons donc aux moyens. »

Chabot se charge de les ménager; peu de jours après

il annonce à Grangeneuve qu'il a son monde et que tout est prêt. «Eh bien! fixons l'instant, nous nous rendrons au comité demain au soir; j'en sortirai à dix heures et demie; il faudra passer dans telle rue, peu fréquentée, où il faut aposter les gens; mais qu'ils sachent s'y prendre; il s'agit de bien nous tirer, et non pas de nous estropier. On arrête les heures, on convient des faits: Grangeneuve va faire son testament, ordonne quelques affaires domestiques sans affectation, et ne manqua pas au rendez-vous donné. Chabot n'y paraissait point encore; l'heure arrivée, il n'était pas venu. Grangeneuve en conclut qu'il a abandonné l'idée du partage; mais croyant à l'exécution pour lui, il part, il prend le chemin convenu, le parcourt à petits pas, ne rencontre personne au monde, repasse une seconde fois crainte d'erreur sur l'instant, et il est obligé de rentrer chez lui sain et sauf, mécontent de l'inutilité de sa préparation. Chabot se sauva des reproches par de misérables défaites, et ne démentit point la poltronnerie d'un prêtre, ni l'hypocrisie d'un capucin.

BARBAROUX, dont les peintres ne dédaigneraient pas de prendre les traits pour une tête d'Antinous, actif, laborieux, franc et brave, avec toute la vivacité d'un jeune Marseillais, était destiné à devenir un homme de mérite et un citoyen aussi utile qu'éclairé. Amoureux de l'indépendance, fier de la révolution, déja nourri de connaissances, aimant le travail et capable d'une longue attention avec l'habitude de s'appliquer, sensible à la gloire : c'est un de ces sujets qu'un grand politique voudrait s'attacher, et qui devait fleurir avec éclat dans une république heureuse. Mais qui oserait prévoir jusqu'à quel point

l'injustice prématurée, la proscription, le malheur peuvent comprimer une telle âme et flétrir ses belles qualités! Les succès modérés auraient soutenu Barbaroux dans la carrière, parce qu'il aime la réputation, et qu'il a toutes les facultés nécessaires pour s'en faire une trèshonorable; mais l'amour du plaisir est à côté : s'il prend une fois la place de la gloire, à la suite du dépit des obstacles ou du dégoût des revers, il affaissera une trempe excellente et lui fera trahir sa noble destination.

Lors du premier ministère de Roland, j'eus occasion de voir plusieurs lettres de Barbaroux, adressées plutôt à l'homme qu'au ministre, et qui avaient pour objet de lui faire juger la méthode qu'il convenait d'employer pour conserver dans la bonne voie des esprits ardents et faciles à s'irriter comme ceux des Bouches-du-Rhône. Roland, strict observateur de la loi et sévère comme elle, ne savait parler qu'un langage lorsqu'il était chargé de son exécution. Les administrateurs s'étaient un peu égarés, le ministre les avait tancés avec vigueur ; ils s'étaient aigris: ce fut alors que Barbaroux écrivit à Roland pour rendre hommage à la pureté d'intention de ses compatriotes, excuser leurs erreurs, et faire sentir à Roland qu'un mode plus doux les ramenerait plutôt et plus sûrement à la subordination nécessaire. Ces lettres étaient dictées par le meilleur esprit et avec une prudence consommée; lorsque je vis leur auteur, je fus étonnée de sa jeunesse. Elles eurent l'effet qui était immanquable sur un homme juste qui voulait le bien; Roland rélâcha de son austérité, prit un ton plus fraternel qu'administratif, ramena les Marseillais, et estima Barbaroux. Nous le vimes davantage après la sortie du ministère ;

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