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l'horreur de l'agonie, et triomphe du supplice et du néant. Une telle mort est le plus beau commentaire des existences privilégiées dont elle est le couronnement et le prix.

La dépouille mortelle de Mme Roland fut déposée non loin du lieu du supplice, dans un coin obscur du cimetière de la Madeleine. Aucune pierre, aucune inscription ne marqua la fosse où elle était ensevelie. Mais tous ceux à qui il avait été donné de la connaître pleurèrent amèrement la perte de cette femme forte et charmante, et lui élevèrent un monument plus durable que le marbre, celui des souvenirs qui ne se flétrissent point, car la postérité les renouvelle sans cesse par une sympathique admiration.

P. F.

Mai 1864.

MÉMOIRES

DE

MADAME ROLAND.

NOTICES HISTORIQUES.

A la prison de l'Abbaye, juin 17931

Aujourd'hui sur le trône, et demain dans les fers.

C'est le sort de la vertu dans les temps de révolutions. Après les premiers mouvements d'un peuple lassé des abus dont il était vexé, les hommes sages qui l'ont éclairé sur ses droits, ou qui l'ont aidé à les reconquérir, sont appelés dans les places; mais ils ne peuvent les occuper longtemps, car les ambitieux, ardents à profiter des circonstances, parviennent bientôt en flattant le peu

1. Le jour même de son incarcération à l'Abbaye, le 1er juin, Mme Roland écrivit à un ami le billet suivant :

« Aujourd'hui sur le trône, et demain dans les fers. C'est ainsi que l'honnêteté se traite en révolution, mon pauvre ami! Vous ne sauriez croire combien je songe à vous, depuis ce matin. Je suis persuadée que vous êtes l'un de ceux qui s'occupent davantage de mes vicissitudes.

<< Me voici en bonne maison pour tant qu'il plaira à Dieu.

<< Là comme ailleurs, je suis assez bien avec moi-même pour

ple à l'égarer et l'indisposer contre ses véritables défenseurs, afin de se rendre eux-mêmes puissants et considérés. Telle a dû être la marche des choses, notamment depuis le 10 août. Peut-être un jour les reprendrai-je de plus loin, pour tracer ce que ma situation m'a donné la faculté de connaître; je n'ai pour objet en ce moment que de consigner sur le papier les circonstances de mon arrestation; c'est l'espèce d'amusement du solitaire qui dépeint ce qui lui est propre et exprime ce qu'il sent.

La retraite de Roland n'avait point apaisé ses ennemis1. Il avait quitté le ministère malgré ses résolutions d'y conjurer l'orage et braver tous les dangers, parce que l'état du conseil bien développé, parce que sa faiblesse, toujours croissante et singulièrement caractérisée vers le milieu de janvier, ne lui présentaient plus la perspective que de fautes et de sottises dont il faudrait partager la honte; il ne pouvait même obtenir de faire consigner sur le registre des délibérations son opinion ou ses motifs lorsqu'ils étaient contraires aux décisions de la majorité.

Aussi, à dater du jour de ce pitoyable arrêté, relatif à

ne guère souffrir des changements. Il n'y a pas de puissance humaine capable d'enlever à une âme saine et forte l'espèce d'harmonie qui la tient au-dessus de tout.

<< Je vous embrasse cordialement; à la vie, et à la mort, estime et amitié.

་་ ROLAND, née Pн. »

Ce billet, qui est copié sur l'autographe, a dû être adressé à Bosc ou peut-être à Champagneux.

F.

1. Roland avait donné sa démission par une lettre longuement et courageusement motivée adressée à la Convention, et qui fut lue à la séance du 22 janvier. C'est à la suite de cette lecture que Robespierre jeune fut deux fois rappelé à l'ordre par Vergniaud, qui présidait, pour avoir dit et répété que Roland était un scélérat!

F.

la pièce de l'Ami des lois1, qu'il ne voulut point signer, parce que la seconde partie en était au moins ridicule, il ne signa plus aucune délibération du conseil. C'était le 15 janvier. La Convention ne lui offrait rien d'encourageant; son nom seul y était devenu un sujet de trouble et de division; il n'était plus permis de l'y prononcer sans rumeur; lorsqu'un membre voulait répondre aux inculpations odieuses, gratuitement faites au ministre, il était traité de factieux et condamné au silence. Cependant Pache accumulait dans le département de la guerre toutes les fautes que sa faiblesse et son dévouement aux jacobins laissaient commettre à l'ineptie ou à la perfidie et à l'audace de ses agents; et la Convention ne pouvait congédier Pache, car dès qu'il s'élevait une voix contre lui, les aboyeurs rétorquaient de Roland'. Ainsi, la prolongation de sa lutte courageuse dans le ministère ne pouvait plus arrêter les fautes du conseil, et elle ajoutait

1. Cette pièce, dont Laya était l'auteur, eut d'abord un grand succès. «< On sent à chaque vers, disait le Moniteur du 4 janvier 93, que ce n'est point l'ouvrage d'un homme de parti, mais celui d'un citoyen vertueux, d'un poëte sensible, honnête, qui veut l'affermissement de la liberté par les lois, le retour de l'ordre après une agitation nécessaire.... » Cependant la commune de Paris, trouvant la pièce contre-révolutionnaire, s'arrogea le droit d'en interdire les représentations, ce qui occasionna quelque trouble, puis décida que tous les théâtres seraient fermés le 14 janvier. Le Conseil exécutif, en conséquence d'un décret de la Convention, fit le même jour un arrêté portant que les théâtres continueraient d'être ouverts; « enjoint néanmoins, ajoutait l'arrêté, au nom de la paix publique, aux directeurs des différents théâtres, d'éviter la représentation des pièces qui jusqu'à ce jour ont occasionné quelques troubles, et qui pourraient les renouveler dans le moment présent. » C'est cet arrêté qui, comme on voit, interdisait implicitement la représentation de l'Ami des lois, que Roland refusa de signer.

F.

2. Voir plus loin, Portraits et anecdotes, ce que dit Mme Roland de Pache. Voir aussi l'Appendice, no I.

F.

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