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• réception à faire à leur Roi, prêt à venir. Avec cet art calomnieux qui contrefait la vérité, il captiva ainsi leurs oreilles :

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Trônes, Dominations, Principautés, Vertus, Puissances, si ⚫ces titres magnifiques restent encore, et ne sont pas purement de vains noms, depuis que par décret un autre s'est enflé de tout « pouvoir, et nous a éclipsés par son titre de Roi consacré ! pour « lui nous avons fait en toute hate cette marche de minuit, nous nous « sommes assemblés ici en désordre, uniquement pour délibérer << avec quels nouveaux honneurs nous pouvons le mieux recevoir • celui qui vient de recevoir de nous le tribut du genou, non encore payé, vile prosternation! A un seul, c'était déjà trop; mais le payer double, comment l'endurer? le payer au premier et à << son image maintenant proclamée! Mais qu'importe si de meil<< leurs conseils élèvent nos esprits, et nous apprennent à rejeter « ce joug? Voulez-vous tendre le cou? Préférez-vous fléchir un • genou assoupli? Vous ne le voudrez pas, si je me flatte de vous « bien connaître, ou si vous vous connaissez vous-mêmes pour natifs et fils du ciel que personne ne posséda avant nous. Si • nous ne sommes pas tous égaux, nous sommes tous libres, éga«<lement libres car les rangs et les degrés ne jurent pas avec « la liberté, mais s'accordent avec elle. Qui donc, en droit ou en << raison, peut s'arroger la monarchie parmi ceux qui, de droit, vivent ses égaux, sinon en pouvoir et en éclat, du moins en liberté? Qui peut introduire des lois et des édits parmi nous, nous qui, « même sans lois, n'errons jamais? Beaucoup moins celui-ci peut-il être notre maitre, et prétendre à notre adoration au détriment de ces titres impériaux, qui attestent que notre être est fait pour gouverner, non pour servir!

« Jusque-là ce hardi discours avait été écouté sans contrôle, • lorsque parmi les séraphins Abdiel (personne avec plus de ferveur n'adorait Dieu et n'obéissait aux divins commandements), « se leva, et dans le feu d'un zèle sévère s'opposa ainsi au torrent « de la furie de Satan :

«O argument blasphématoire, faux et orgueilleux! paroles ⚫ qu'aucune oreille ne pouvait s'attendre à écouter dans le ciel, moins << encore de toi que de tous les autres, ingrat, élevé si haut toi« même au-dessus de tes pairs? Peux-tu, avec une obliquité impie, <condamner ce juste décret de Dieu, prononcé et juré que devant son Fils unique, investi par droit du sceptre royal, toute àme dans le ciel ploiera le genou, et par cet honneur dû le confessera Roi « légitime? Il est injuste, dis-tu, tout net injuste de lier par des lois « celui qui est libre, et de laisser l'égal régner sur des égaux, un sur tous avec un pouvoir auquel nul autre ne succédera.

« Donneras-tu des lois à Dieu? Prétends-tu discuter des points ⚫ de liberté avec celui qui t'a fait ce que tu es, qui a formé les puissances du ciel comme il lui a plu, et qui a circonscrit leur être? Cependant, enseignés par l'expérience, nous savons combien il est bon, combien il est attentif à notre bien et à notre dignité,

⚫ combien il est loin de sa pensée de nous amoindrir, incliné qu'il « est plutôt à exalter notre heureux état, en nous unissant plus « étroitement sous un chef. Mais, quand on t'accorderait qu'il est injuste que l'égal règne monarque sur des égaux, toi-même, quoique grand et glorieux, penses-tu que toi ou toutes les natures angéliques réunies en une seule, égalent son Fils en« gendré? Par lui comme par sa parole, le Père tout-puissant a fait toutes choses, même toi et tous les esprits du ciel, créés par « lui dans leurs ordres brillants; il les a couronnés de gloire, et à << leur gloire les a nommés Trônes, Dominations, Principautés,

Vertus, Puissances; essentielles Puissances! non par son règne « obscurcies, mais rendues plus illustres, puisque lui, notre chef, «< ainsi réduit, devient un de nous. Ses lois sont nos lois; tous les << honneurs qu'on lui rend nous reviennent. Cesse donc cette rage impie et ne tente pas ceux-ci; hâte-toi d'apaiser le Père irrité et le « Fils irrité, tandis que le pardon, imploré à temps, peut être obtenu. «- Ainsi parla l'ange fervent; mais son zèle non secondé fut jugé « hors de saison ou singulier et téméraire. L'apostat s'en réjouit « et lui répliqua avec plus de hauteur :

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Nous avons donc été formés, dis-tu, et, œuvre de seconde main, transférés par tâche du Père à son Fils? Assertion étrange << et nouvelle ! Nous voudrions bien savoir où tu as appris cette « doctrine qui a vu cette création lorsqu'elle eut lieu? Te sou« viens-tu d'avoir été fait, et quand le Créateur te donna l'ètre? « Nous ne connaissons point de temps où nous n'étions pas comme « à présent; nous ne connaissons personne avant nous engendrés de nous-mêmes, sortis de nous-mêmes par notre propre «force vive, lorsque le cours de la fatalité eut décrit son plein orbite, et que notre paissance fut mûre, nous naquîmes de notre ciel natal, fils éthérés. Notre puissance est de nous; notre droite << nous enseignera les faits les plus éclatants, pour éprouver celui « qui est notre égal. Tu verras alors si nous prétendons nous << adresser à lui par supplications et environner le trône suprême en le suppliant ou en l'assiégeant. Ce rapport, ces nouvelles, • porte-les à l'Oint du Seigneur, et fuis avant que quelque malheur n'interrompe ta fuite.

« Il dit et, comme le bruit des eaux profondes, un murmure << rauque répondit à ces paroles applaudies de l'ost innombrable. • Le flamboyant séraphin n'en fut pas moins sans crainte, quoique seul et entouré d'ennemis; intrépide, il réplique:

« - O abandonné de Dieu, ò esprit maudit, dépouillé de tout bien! je vois ta chute certaine; et ta bande malheureuse, enveloppée dans cette perfidie, est atteinte de la contagion de ton crime «et de ton chàtiment. Désormais ne t'agite plus pour savoir com«ment tu secoueras le joug du Messie de Dieu; ces indulgentes lois ne seront plus désormais invoquées d'autres décrets sont déjà lancés contre toi sans appel. Ce sceptre d'or, que tu repousses, est • maintenant une verge de fer pour meurtrir et briser ta désobéis

<< sance. Tu m'as bien conseillé : je fuis, non toutefois par ton conseil « et devant tes menaces; je fuis ces tentes criminelles et réprouvées, << dans la crainte que l'imminente colère éclatant dans une flamme « soudaine, ne fasse aucune distinction. Attends-toi à sentir bientôt a sur ta tête son tonnerre, feu qui dévore. Alors tu apprendras, en « gémissant, à connaître celui qui t'a créé quand tu connaîtras << celui qui peut t'anéantir.

• Ainsi parle le séraphin Abdiel, trouvé fidèle parmi les infidèles, « fidèle seul. Chez d'innombrables imposteurs, immuable, inébranlé, « non séduit, non terrifié, il garda sa loyauté, son amour et son « zèle. Ni le nombre ni l'exemple ne purent le contraindre à s'é« carter de la vérité, ou à altérer, quoique seul, la constance de « son esprit. Il se retira du milieu de cette armée : pendant un long « chemin, il passa à travers les dédains ennemis; il les soutint, << supérieur à l'injure, ne craignant rien de la violence; avec un « mépris rendu, il tourna le dos à ces orgueilleuses tours vouées à < une prompte destruction. »

LIVRE SIXIÈME.

ARGUMENT.

Raphaël continue à raconter comment Michel et Gabriel furent envoyés pour combattre contre Satan et ses anges. La première bataille décrite. Satan, avec ses puissances, se retire pendant la nuit il convoque un conseil, invente des machines diaboliques qui, au second jour de la bataille, mirent en désordre Michel et ses anges. Mais à la fin, arrachant les montagnes, ils ensevelirent les forces et les machines de Satan. Cependant le tumulte ne cessant pas, Dieu, le troisième jour, envoya son fils le Messie, auquel il avait réservé la gloire de cette victoire. Le Fils, dans la puissance de son Père, venant au lieu du combat, ordonnant à toutes ses légions de rester tranquilles des deux côtés, se précipitant avec son char et son tonnerre au milieu des ennemis, les poursuit, incapables qu'ils étaient de résister, vers la muraille du ciel. Le ciel s'ouvrant, ils tombent en bas avec horreur et confusion, au lieu du châtiment préparé pour eux dans l'abîme: le Messie retourne triomphant à son Père.

VI.

Toute la nuit, l'ange intrépide, non poursuivi, continua sa route à travers la vaste plaine du ciel, jusqu'à ce que le Matin, éveillé par les Heures qui marchent en cercle, ouvrit avec sa main « de rose les portes de la lumière. Il est sous le mont de Dieu et << tout près de son trône, une grotte qu'habitent et déshabitent tour « à tour la lumière et les ténèbres en perpétuelle succession, ce

qui produit dans le ciel une agréable vicissitude pareille au jour « et à la nuit. La lumière sort, et par l'autre porte entrent les té« nèbres obéissantes, attendant l'heure de voiler les cieux, bien que là les ténèbres ressemblent au crépuscule ici.

• Maintenant l'aurore se levait telle qu'elle est dans le plus haut ༦ ciel, vêtue de l'or de l'empyrée; devant elle s'évanouissait la nuit « percée des rayons de l'orient : soudain toute la campagne, cou"verte d'épais et brillants escadrons rangés en bataille, de cha« riots, d'armes flamboyantes, de chevaux de feu, réfléchissant « éclairs sur éclairs, frappe la vue d'Abdiel; il aperçut la guerre, la « guerre dans son appareil, et il trouva déjà connue la nouvelle « qu'il croyait apporter. Il se mêla, plein de joie, à ces puissances <amies, qui reçurent avec allégresse et avec d'immenses acclamations le seul qui, de tant de myriades perdues, le seul qui revenait sauvé. Elles le conduisent hautement applaudi à la montagne "sacrée et le présentent au trône suprême. Une voix, du milieu d'un nuage d'or, fut doucement entendue.

«Serviteur de Dieu, tu as bien fait; tu as bien combattu dans « le meilleur combat, toi, qui seul as soutenu contre des multitudes • révoltées la cause de la vérité, plus puissant en paroles qu'elles ne le sont en armes. Et pour rendre témoignage à la vérité, tu as bravé le reproche, universel, pire à supporter que la violence; « car ton unique soin était de demeurer approuvé du regard dé Dieu, quoique des mondes te jugeassent pervers. Un triomphe plus facile maintenant te reste, aidé d'une armée d'amis: c'est « de retourner chez tes ennemis plus glorieux que tu n'en fus mé• prisé quand tu les quittas, de soumettre par la force ceux qui • refusent la raison pour leur loi, la droite raison pour leur loi, et • pour leur roi le Messie, régnant par droit de mérite.

<< Va, Michel, prince des armées célestes, et toi immédiatement << après lui en achèvements militaires, Gabriel: conduisez au combat ceux-ci, mes invincibles enfants; conduisez mes saints armés • rangés par milliers et millions pour la bataille, égaux en nombre « à cette foule rebelle et sans dieu. Assaillez-les sans crainte avec « le feu et les armes hostiles, en les poursuivant jusqu'au bord du « ciel, chassez-les de Dieu et du bonheur vers le lieu de leur châti«ment, le gouffre du Tartare, qui déjà ouvre large son brûlant chaos pour recevoir leur chute.

Ainsi parla la voix souveraine, et les nuages commencèrent à « obscurcir toute la montagne, et la fumée à rouler en noirs torses, << en flammes retenues, signal du réveil de la colère. Avec non moins de terreur, l'éclatante trompette éthérée commence à souf« fler d'en haut; à ce commandement les puissances militantes qui << tenaient pour le ciel (formées en puissant carré dans une union « irrésistible) avancèrent en silence leurs brillantes légions, au << son de l'instrumentale harmonie qui inspire l'héroïque ardeur des « actions aventureuses, sous des chefs immortels, pour la cause de « Dieu et de son Messie. Elles avancent fermes et sans se rompre : • ni haute colline, ni vallée rétrécie, ni bois, ni ruisseau, ne divi«sent leurs rangs parfaits, car elles marchent élevées au-dessus du

sol, et l'air obéissant soutient leur pas agile: comme l'espèce en«tière des oiseaux rangés en ordre sur leur aile, furent appelés

dans Éden pour recevoir leurs noms de toi, ô Adam, ainsi les légions parcoururent maints espaces dans le ciel, maintes pro«vinces dix fois grandes comme la longueur de la terre.

Enfin loin à l'horizon du nord se montra, d'une extrémité à l'autre, une région de feu, étendue sous la forme d'une armée. Bientôt en approchant apparurent les puissances liguées de Satan, « hérissées des rayons innombrables des lances droites et inflexibles; partout casques pressés, boucliers variés peints d'insolents « emblèmes : ces troupes se hâtaient avec une précipitation furieuse, « car elles se flattaient d'emporter ce jour-là même, par combat ou surprise, le mont de Dieu, et d'asseoir sur son tròne le << superbe aspirant, envieux de son empire: mais au milieu du «< chemin leurs pensées furent reconnues folles et vaines. Il nous sembla d'abord extraordinaire que l'ange fit la guerre à l'ange, qu'ils se rencontrassent dans une furieuse hostilité ceux-là ac« coutumés à se rencontrer si souvent unis aux fêtes de la joie et • de l'amour, comme fils d'un seul maître, et chantant l'éternel Père; mais le cri de la bataille s'éleva, et le bruit rugissant de la charge mit fin à toute pensée plus douce.

« Au milieu des siens, l'apostat, élevé comme un dieu, était assis « sur son char de soleil, idole d'une majesté divine, entouré de ché• rubins flamboyants et de boucliers d'or. Bientôt il descendit de ce trône pompeux, car il ne resta déjà plus entre les deux armées • qu'un espace étroit (intervalle effrayant!) et front contre front elles présentaient arrêtées une terrible ligne d'une affreuse longueur. « A la sombre avant-garde, sur le rude bord des bataillons, avant qu'ils se joignissent, Satan à pas immenses et superbes, couvert « d'une armure d'or et de diamant, s'avançait comme une tour. « Abdiel ne put supporter cette vue; il se tenait parmi les plus « braves, et se préparait aux plus grands exploits; il sonde ainsi « son cœur résolu :

« O ciel! une telle ressemblance avec le Très-Haut peut-elle << rester où la foi et la réalité ne restent plus? Pourquoi la puissance ne défaut-elle pas là où la vertu a failli, ou pourquoi le plus pré• somptueux n'est-il pas le plus faible? Quoique à le voir Satan semble invincible, me confiant au secours du Tout-Puissant, je • prétends éprouver la force de celui dont j'ai déjà éprouvé la raison • fausse et corrompue: n'est-il pas juste que celui qui l'a emporté dans la lutte de la vérité l'emporte dans les armes, vainqueur pa« reillement dans les deux combats? Si le combat est brutal et hon• teux quand la raison se mesure avec la force, encore il est d'autant plus juste que la raison triomphe.

Ainsi réfléchissant il sort à l'opposite du milieu de ses pairs armés; il rencontre à mi-voie son audacieux ennemi, qui se voyant • prévenu en devient plus furieux; il le défie ainsi avec assurance: Superbe, vient-on au-devant de toi? Ton espérance était ⚫ d'atteindre inopposé la hauteur où tu aspires, d'atteindre le trône ⚫ de Dieu non gardé et son côté abandonné par la terreur de ton

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