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peaux, ni la face divine de l'homme. Des nuages et des ténèbres qui durent toujours, m'environnent. Retranché des agréables voies des humains, le livre des belles connaissances ne me présente qu'un blanc universel, où les ouvrages de la nature sont effacés et rayés pour moi la sagesse à l'une de ses entrées m'est entièrement fermée. Brille d'autant plus intérieurement, ò céleste lumière ! que toutes les puissances de mon esprit soient pénétrées de tes rayons! mets des yeux à mon âme, disperse et dissipe loin d'elle tous les brouillards, afin que je puisse voir et dire des choses invisibles à l'œil mortel.

Déjà le Père tout-puissant, du haut du ciel, du pur empyrée, où il siége sur un trône au-dessus de toute hauteur, avait abaissé son regard pour contempler à la fois ses ouvrages et les ouvrages de ses ouvrages. Autour de lui toutes les saintetés du ciel se pressaient comme des étoiles et recevaient de sa vue une béatitude qui surpasse toute expression; à sa droite était assise la radieuse image de sa gloire, son Fils unique. Il aperçut d'abord sur la terre nos deux premiers parents, les deux seuls êtres de l'espèce humaine, placés dans le jardin des délices, goûtant d'immortels fruits de joie et d'amour, joie non interrompue, amour sans rival dans une heureuse solitude. Il aperçut aussi l'enfer et le gouffre entre l'enfer et la création; il vit Satan côtoyant le mur du ciel, du côté de la nuit, dans l'air sublime et sombre, et près de s'abattre, avec ses ailes fatiguées et un pied impatient, sur la surface aride de ce monde qui lui semble une terre ferme, arrondie et sans firmament : l'archange est incertain si ce qu'il voit est l'océan ou l'air. Dieu l'observant de ce regard élevé dont il découvre le présent, le passé et l'avenir, parla de la sorte à son Fils unique en prévoyant cet avenir :

« Unique Fils que j'ai engendré, vois-tu quelle rage transporte notre adversaire? Ni les bornes prescrites, ni les barreaux de « l'enfer, ni toutes les chaines amoncelées sur lui, ni même du pro<< fond Chaos l'interruption immense, ne l'ont pu retenir; tant il « semble enclin à une vengeance désespérée qui retombera sur sa « tête rebelle. Maintenant, après avoir rompu tous ses liens, il vole non loin du ciel, sur les limites de la lumière, directement vers le ⚫ monde nouvellement créé et vers l'homme placé là, dans le des« sein d'essayer s'il pourra le détruire par la force, ou, ce qui serait pis, le pervertir par quelque fallacieux artifice; et il le peravertira l'homme écoutera ses mensonges flatteurs, et transgres« sera facilement l'unique commandement, l'unique gage de son « obéissance; il tombera lui et sa race infidèle.

« A qui sera la faule? A qui, si ce n'est à lui seul! Ingrat! il avait de moi tout ce qu'il pouvait avoir; je l'avais fait juste et droit, capable de se soutenir, quoique libre de tomber. Je créai «tels tous les pouvoirs éthérés et tous les esprits, ceux qui se soutinrent et ceux qui tombèrent: librement se sont soutenus ceux qui se sont soutenus, et tombés ceux qui sont tombés. N'étant pas libres, quelle preuve sincère auraient-ils pu donner d'une vraie obéissance, de leur constante foi ou de leur amour? Lorsqu'ils

• n'auraient fait seulement que ce qu'ils auraient été contraints de faire, et non ce qu'ils auraient voulu, quelle louange en auraient• ils pu recevoir? quel plaisir aurais-je trouvé dans une obéissance ainsi rendue, alors que la volonté et la raison (raison est aussi choix), inutiles et vaines, toutes deux dépouillées de liberté, toutes • deux passives, eussent servi la nécessité, non pas moi?

« Ainsi créés, comme il appartenait de droit, ils ne peuvent donc ⚫ justement accuser leur créateur, ou leur nature, ou leur destinée, ⚫ comme si la prédestination, dominant leur volonté, en disposat • par un décret absolu, ou par une prescience suprême. Eux-mêmes ⚫ont décrété leur propre révolte, moi non si je l'ai prévue, ma • prescience n'a eu aucune influence sur leur faute, qui n'étant pas prévue n'en aurait pas moins été certaine. Ainsi, sans la • moindre impulsion, sans la moindre ombre de destinée ou de chose quelconque par moi immuablement prévue, ils pèchent, auteurs de tout pour eux-mêmes, à la fois en ce qu'ils jugent et en • ce qu'ils choisissent car ainsi je les ai créés libres, et libres ils • doivent demeurer jusqu'à ce qu'ils s'enchaînent eux-mêmes. Au• trement, il me faudrait changer leur nature, révoquer le haut dé• cret irrévocable, éternel, par qui fut ordonnée leur liberté : eux • seuls ont ordonné leur chute.

« Les premiers coupables tombèrent par leur propre suggestion, tentés par eux-mêmes, par eux-mêmes dépravés; l'homme tombe • déçu par les premiers coupables. L'homme, à cause de cela, trou• vera grace; les autres n'en trouveront point. Par la miséricorde • et par la justice, dans le ciel et sur la terre, ainsi ma gloire • triomphera; mais la miséricorde, la première et la dernière, brillera la plus éclatante. »>

Tandis que Dieu parlait, un parfum d'ambroisie remplissait tout le ciel, et répandait parmi les bienheureux esprits élus le sentiment d'une nouvelle joie ineffable. Au-dessus de toute comparaison, le Fils de Dieu se montrait dans une très grande gloire: en lui brillait tout son père substantiellement exprimé. Une divine compassion apparut visible sur son visage, avec un amour sans fin et une grâce sans mesure; il les fit connaître à son Père, en lui parlant de la sorte:

« O mon Père, miséricordieuse a été cette parole qui a terminé • ton arrêt suprême : L'HOMME TROUVERA GRACE! Pour cette parole le ciel et la terre publieront hautement tes louanges par les • innombrables concerts des hymnes et des sacrés cantiques : de ces cantiques ton trône environné retentira de toi à jamais béni. Car l'homme serait-il finalement perdu? l'homme, ta créature • dernièrement encore si aimée, ton plus jeune fils, tomberait-il circonvenu par la fraude, bien qu'en y mêlant sa propre folie? Que cela soit loin de toi, que cela soit loin de toi, ò Père, toi qui juges de toutes les choses faites, et qui seul juges équitablement ! Ou l'adversaire obtiendra-t-il ainsi ses fins et te frustrera-t-il • des tiennes? Satisfera-t-il sa malice, et réduira-t-il ta bonté à • néant? ou s'en retournera-t-il plein d'orgueil, quoique sous un

plus pesant arrêt, et cependant avec une vengeance satisfaite, entraînant après lui dans l'enfer la race entière des humains, par « lui corrompue? Ou veux-tu toi-même abolir ta création, et déa faire, pour cet ennemi, ce que tu as fait pour ta gloire? Ta bonté et ta grandeur pourraient être mises ainsi en question, et blas«phémées sans être défendues. >>

Le grand Créateur lui répondit :

« O mon Fils! en qui mon âme a ses principales délices, Fils de «mon sein, Fils qui est seul mon Verbe, ma sagesse et mon ef«fectuelle puissance, toutes tes paroles ont été comme sont mes « pensées, toutes, comme ce que mon éternel dessein décrété : « l'homme ne périra pas tout entier, mais se sauvera qui voudra; non cependant par une volonté de lui-même, mais par une grâce « de moi, librement accordée. Une fois encore je renouvellerai les « pouvoirs expirés de l'homme, quoique forfaits et assujettis par le • péché à d'impurs et exorbitants désirs. Relevé par moi, l'homme « se tiendra debout une fois encore, sur le même terrain que son « mortel ennemi; l'homme sera par moi relevé, afin qu'il sache « combien est débile sa condition dégradée, afin qu'il ne rapporte « qu'à moi sa délivrance, et à nul autre qu'à moi.

J'en ai choisi quelques-uns, par une grâce particulière élus au« dessus des autres telle est ma volonté. Les autres entendront • mon appel; ils seront souvent avertis de songer à leur état cri« minel, et d'apaiser au plus tôt la Divinité irritée tandis que la grace offerte les y invite. Car j'éclairerai leurs sens ténébreux • d'une manière suffisante, et j'amollirai leur cœur de pierre, afin « qu'ils puissent prier, se repentir, et me rendre l'obéissance due: « à la prière, au repentir, à l'obéissance due (quand elle ne serait que « cherchée avec une intention sincère), mon oreille ne sera point « sourde, mon œil fermé. Je mettrai dans eux, comme un guide, ◄ mon arbitre, la conscience: s'ils veulent l'écouter, ils atteindront lumière après lumière; celle-ci bien employée, et eux persévérant jusqu'à la fin, ils arriveront en sûreté.

«Ma longue tolérance et mon jour de grâce, ceux qui les négli• geront et les mépriseront ne les goûteront jamais; mais l'endurci « sera plus endurci, l'aveugle plus aveuglé, afin qu'ils trébuchent et tombent plus bas. Et nuls queceux-ci je n'exclus de la miséricorde. « Mais cependant tout n'est pas fait : l'homme désobéissant rompt déloyalement sa foi, et pèche contre la haute suprématie du ciel; • affectant la divinité, et perdant tout ainsi, il ne laisse rien pour « expier sa trahison: mais consacré et dévoué à la destruction, lui • et toute sa postérité doivent mourir. Lui ou la justice doit mourir, « à moins que pour lui un autre ne soit capable, s'offrant volontai<rement de donner la rigide satisfaction: mort pour mort.

« Dites, pouvoirs célestes, où nous trouverons un pareil amour? • Qui de vous se fera mortel pour racheter le mortel crime de • l'homme? et quel juste sauvera l'injustice? Une charité si tendre « habite-t-elle dans tout le ciel ? »

Il adressait cette demande, mais tout le choeur divin resta muet, et le silence était dans le ciel. En faveur de l'homme ni patron ni intercesseur ne paraît, ni encore moins qui ose attirer sur sa tête la proscription mortelle, et payer rançon. Et alors, privée Je rédemption, la race humaine entière eût été perdue, adjugée, par un arrêt sévère, à la mort et à l'enfer, si le Fils de Dieu, en qui réside la plénitude de l'amour divin, n'eût ainsi renouvelé sa plus chère médiation. « Mon Père, ta parole est prononcée: L'HOMME TROUVERA GRACE. La grâce ne trouvera-t-elle pas quelque moyen de salut, elle qui, le plus rapide des messagers ailés, trouve un passage « pour visiter tes créatures, et venir à toutes, sans être prévue, sans être implorée, sans être cherchée? Heureux l'homme si elle le • prévient ainsi! Il ne l'appellera jamais à son aide, une fois perdu et mort dans le péché : endetté et ruiné, il ne peut fournir pour • lui ni expiation, ni offrande.

«Me voici donc, moi pour lui, vie pour vie; je m'offre : sur moi laisse tomber ta colère; compte-moi pour homme. Pour l'amour de lui, je quitterai ton sein, et je me dépouillerai volontairement de cette gloire que je partage avec toi; pour lui je mourrai satisfait. Que la mort exerce sur moi toute sa fureur sous son pou• voir ténébreux je ne demeurerai pas longtemps vaincu. Tu m'as donné de posséder la vie en moi-même à jamais; par toi je vis, « quoique à présent je cède à la Mort; je suis son dû en tout ce qui peut mourir en moi.

«Mais cette delle payée, tu ne me laisseras pas sa proie dans « l'impur tombeau; tu ne souffriras pas que mon âme sans tache haa bite là pour jamais avec la corruption; mais je ressusciterai vic<torieux et je subjuguerai mon vainqueur dépouillé de ses dé⚫ pouilles vantées. La Mort recevra alors sa blessure de mort et « rampera inglorieuse, désarmée de son dard mortel. Moi, à travers « les airs, dans un grand triomphe, j'emmènerai l'enfer captif malgré « l'enfer, et je montrerai les pouvoirs des ténèbres enchaînés. Toi, « charmé à cette vue, tu laisseras tomber du ciel un regard, et tu « souriras tandis qu'elevé par toi, je confondrai tous mes ennemis, « la Mort la dernière, et avec sa carcasse je rassasierai le sépulere. Alors, entouré de la multitude par moi rachetée, je rentrerai dans le ciel après une longue absence; j'y reviendrai, ô mon Père, pour contempler ta face sur laquelle aucun nuage de colère ne res« tera, mais où l'on verra la paix assurée et la réconciliation; dé«sormais la colère n'existera plus, mais en ta présence la joie sera « entière. >>

Ici ses paroles cessèrent, mais son tendre aspect silencieux parlait encore, et respirait un immortel amour pour les hommes mortels, au-dessus duquel brillait seulement l'obéissance filiale. Content de s'offrir en sacrifice, il attend la volonté de son Père. L'admiration saisit tout le ciel, qui s'étonne de la signification de ces choses, et ne sait où elles tendent. Bientôt le Tout-Puissant répliqua ainsi : O toi, sur la terre et dans le ciel, seule paix trouvée pour le

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