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SUR LA

LITTERATURE ANGLAISE

ET CONSIDÉRATIONS

SUR LE GÉNIE DES HOMMES, DES TEMPS ET DES RÉVOLUTIONS.

PREMIÈRE PARTIE.

PREMIÈRE ET SECONDE ÉPOQUE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

LITTÉRATURE SOUS LE RÈGNE DES ANGLO-SAXONS, DES DANOIS ET PENDANT LE

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Entrons maintenant dans les diverses époques de la langue et de la littérature anglaise. Le lecteur placera facilement, sur le tableau que je viens de tracer, les auteurs et leurs ouvrages à mesure que je les ferai passer devant ses yeux. Il s'agit d'abord de l'époque anglo-saxonne; mais, avant de nous en occuper, voyons s'il ne reste aucune trace de la langue des Bretons sous la domination romaine.

César ne nous parle que des mœurs de ces insulaires. Tacite nous a conservé quelques discours des chefs bretons : j'omets la harangue de Caractacus à Claude, et ne citerai, en l'abrégeant, que le discours de Galgacus dans les montagnes de la Calédonie.

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« Le jour de votre liberté commence. La terre nous « manque et le refuge de la mer nous est interdit par la flotte romaine; <«< il ne nous reste que les armes. Dans le lieu le plus retiré de « nos déserts, n'apercevant pas même de loin les rivages assujettis, « nos regards n'ont point été souillés du contact de la domination « étrangère. Placés aux extrémités de la terre et de la liberté, « jusqu'à présent la renommée de notre solitude et de ses replis nous a défendus à présent les bornes de la Bretagne apparaissent. Tout ce qui est inconnu est magnifique; mais au delà de

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la Calédonie, aucune nation à chercher, rien, hormis les flots « et les écueils, et les Romains sont arrivés jusqu'à nous.

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Dans la famille des esclaves, le dernier venu est le jouet de ses compagnons : nous, les plus nouveaux et consé• quemment les plus méprisés dans cet univers de la vieille servitude, nous ne pourrions attendre que la mort, car nous n'avons « ni guérets, ni mines, ni ports où l'on puisse user nos bras. Cou« rage donc, vous qui chérissez la vie ou la gloire ! Les épouses « des Romains ne les ont point suivis; leurs pères ne sont pas là « pour leur faire honte de la fuite : ils regardent en tremblant ce « ciel, cette mer, ces forêts qu'ils n'ont jamais vus. Enfermés et « déjà vaincus, nos dieux les livrent entre nos mains

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a Ici votre chef, ici votre armée; là le tribut, les travaux, les souf<< frances de l'esclavage: des maux éternels ou la vengeance sont « pour vous dans ce champ de bataille. Marchez au combat! pensez « à vos ancêtres et à votre postérité. »

Après Tacite, qui a paraphrasé quelques mots de Galgacus conservés par tradition dans les camps romains, un abîme se creuse : on traverse quinze siècles avant d'entendre parler de nouveau du génie des Bretons, et encore comment! Macpherson transportant en Écosse le barde irlandais Ossian, défigurant la véritable histoire de Fingal, cousant trois ou quatre lambeaux de vieilles ballades à un mensonge, nous représente un poète de la Calédonie tout aussi réellement que Tacite nous en a représenté un guerrier. Puisque après tout nous n'avons qu'Ossian; puisque les fragments qu'on pourrait donner comme venant des bardes, appartiennent plutôt aux diverses espèces de chanteurs que je rappellerai tout à l'heure, il faut bien faire usage du travail de Macpherson. Mais comme les poëmes que John Smith ajouta à ceux qu'avait publiés le premier éditeur du barde écossais, sont moins connus, j'en extrairai de préférence quelques passages.

« Filles des champs aériens de Trenmor, préparez la robe de vapeur transparente et colorée. Dargo, pourquoi m'avais-tu fait « oublier Armor? Pourquoi l'aimais-je tant? Pourquoi étais-je tant aimée? Nous étions deux fleurs qui croissaient ensemble dans les fentes du rocher; nos têtes humides de rosée souriaient aux rayons du soleil. Ces fleurs avaient pris racine dans le roc «aride. Les vierges de Morven disaient: Elles sont solitaires, « mais elles sont charmantes. Le daim, dans sa course, s'élançait • par-dessus ces fleurs, et le chevreuil épargnait leurs tiges délicates. Le soleil de Morven est couché pour moi. Il brilla pour moi, « ce soleil, dans la nuit de mes premiers malheurs, au défaut du soleil de ma patrie; mais il vient de disparaître à son tour; il me laisse dans une ombre éternelle. »

Dargo, pourquoi t'es-tu retiré si vite!...

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Partout sur les mers, au sommet des collines, dans ⚫ les profondes vallées, j'ai suivi ta course. En vain mon père

⚫ espéra mon retour en vain ma mère pleura mon absence; leurs ⚫ yeux mesurèrent souvent l'étendue des flots; souvent les rochers • répétèrent leurs cris. Parents, amis, je fus sourde à votre voix!

Toutes mes pensées étaient pour Dargo, je l'aimais de toute « la force de mes souvenirs pour Armor. Dargo, l'autre nuit j'ai ◄ goûté le sommeil à tes côtés sur la bruyère. N'est-il pas de place << cette nuit dans ta nouvelle couche? Ta Crimoïna veut reposer auprès de toi, dormir pour toujours à tes côtés.

« Le chant de Crimoïna allait en s'affaiblissant à mesure qu'il approchait de sa fin: par degrés s'éteignait la voix de l'étrangère l'instrument échappa aux bras d'albâtre de la fille de Lochlin; Dargo se lève : il était trop tard! l'àme de Crimoïna avait fui sur les sons de la harpe. »

On croira ce que l'on pourra des traductions calédoniennes de Tacite et de John Smith. Les historiens mentent un peu plus que les poètes, sans en excepter. Tacite qui toutefois répandait sa parole brûlante sur les tyrans, comme on jette de la chaux vive sur des cadavres pour les consumer.

ANGLO-SAXONS ET DANOIS.

Les Anglo-Saxons ayant succédé aux Romains, et les Danois étant venus à leur tour au partage de la Grande-Bretagne, il serait presque impossible de séparer littérairement l'époque des Anglo-Saxons de celle des Danois : c'est pourquoi je les confonds ici.

Les Danois amenèrent avec eux leurs scaldes : ceux-ci se mêlerent aux bardes galliques. Trois choses ne pouvaient être saisies pour dette, chez un homme libre du pays de Galles son cheval, son épée et sa harpe. Les nations entières, dans leur àge héroïque, sont poètes on chantait à la guerre, on chantait aux festins, on chantait à la mort; on redoutait surtout de mourir dans son lit comme une femme. Starcather n'ayant pu trouver sa fin dans les combats, se mit une chaîne d'or au cou, et déclara la donner aux passants assez charitables pour le débarrasser de sa tête. Siward, comte danois du Northumberland, honteux de vieillir et craignant d'être emporté d'une maladie, dit à ses amis : « Revêtez-moi de ma cotte de mailles; ceignez-moi mon épée; placez mon casque sur ma tête, mon bouclier dans ma main gauche, ma hache « dorée dans ma main droite, que je tombe dans la garbe d'un « guerrier. »>

Sur le champ de bataille les hymnes, accompagnés du choc des armes, éclataient d'une manière si terrible, que les Danois, pour empêcher leurs chevaux d'en être effrayés, les rendaient sourds.

Les croyances étaient à l'avenant de ces mœurs poétiques. Quinze jeunes femmes et dix-huit jeunes hommes ballaient un jour dans un cimetière; le prêtre Robert, qui disait la messe, les fit inviter

se retirer; ils se moquèrent du prêtre. L'officiant pria Dieu et saint Magnus de punir la troupe impie, en l'obligeant à chanter et à danser une année entière sa prière fut exaucée; un des condamnés prit par la main sa sœur qui figurait avec lui; le bras se sépara du corps sans que l'invalide de Dieu perdît une goutte de sang, et elle continua de sauter. Toute l'année les quadrilles ne souffrirent ni du froid, ni du chaud, ni de la faim, ni de la soif, ni de la fatigue; leurs vêtements ne s'usèrent pas. Commençait-il à pleuvoir, il s'élevait autour d'eux une maison magnifique. Leur danse incessante creusa la terre, et ils s'y enfoncèrent jusqu'à mi-corps. Au bout de l'an, l'évêque Hubert brisa les liens invisibles dont les mains des danseurs et des danseuses étaient enchaînées : la troupe tomba dans un sommeil qui dura trois jours et trois nuits.

Une vieille, nommée Thorbiorga, fameuse sorcière, fut invitée au château du comte Torchill, afin de dire quand se termineraient la peste et la famine du comté. Thorbiorga arriva sur le soir: robe de drap vert boutonnée du haut jusqu'en bas, collier de grains de verre; peau d'agneau noir, doublée d'une peau de chat blanc, sur la tête; souliers de peau de veau, le poil en dessus, liés avec des courroies; gants de peau de chat blanc, la fourrure en dedans; ceinture huntandique, au bout de laquelle pendait un sac rempli de grimoires. La sorcière soutenait son corps grêle sur un bâton à viroles de cuivre. Elle fut reçue avec beaucoup de respect: assise sur un siége élevé, elle mangea un potage de lait de chèvre et un ragoût de cœurs de différents animaux. Le lendemain Thorbiorga, après avoir symétrisé ses instruments d'astrologie selon le thème céleste, ordonna à la jeune Godréda, sa compagne, d'entonner l'invocation magique Vardlokur. Godréda chanta d'une voix si douce, que le manoir du laird Torchill en fut ravi. Il eût été bien malheureusement né celui qui ne fût pas né poète en ce temps-là. Les rois mêmes l'étaient: Alfred le Grand, Canut le Grand, furent l'honneur des walkiries. Les bardes et les scaldes s'éjouissaient à la table des princes, qui les comblaient de présents: « Si je demandais la lune à mon hôte, s'écrie un barde, il me l'accorderait.» Les poètes ont toujours été affriandés par la lune.

Coedmon rêvait en vers et composait des poëmes en dormant : poésie est songe.

«Je sais, dit un autre barde, un chant pour émousser le fer; je << sais un chant pour tuer la tempête. » On reconnaissait ces inspirés à leur air; ils semblaient ivres, leurs regards et leurs gestes étaient désignés par un mot consacré : skallviengl, a folie poétique. »

La chronique saxonne donne en vers le récit d'une victoire remportée par les Anglo-Saxons sur les Danois, et l'histoire de Norwége conserve l'apothéose d'un pirate du Danemark, tué avec cinq autres chefs de corsaires sur les côtes d'Albion.

«Le roi Ethelstan, le chef des chefs, celui qui donne des colliers • aux braves, et son frère, le noble Edmond, ont combattu à Bru

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