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• l'océan d'azur, les montagnes grisâtres, le lac qui brille faiblement • parmi les bruyères vaporeuses, et la longue vallée étendue vers ■ l'occident, où le jour lutte encore avec les ombres.

« Quelquefois, pendant les brouillards de l'automne, vous le verriez escalader le sommet des monts. O plaisir effrayant! debout sur la pointe d'un roc, comme un matelot sauvé du nau■ frage sur une côte déserte, il aime à voir les vapeurs se rouler en ⚫ vagues énormes, s'allonger sur les horizons, là se creuser un • golfe, ici s'arrondir autour des montagnes. Du fond du gouffre, « au-dessous de lui, la voix de la bergère et le bêlement des trou• peaux remontent jusqu'à son oreille, à travers la brume épaisse.

« Le romanesque enfant sort de l'asile où il s'était mis à cou« vert des tièdes ondées du midi. Elle est passée la pluie de l'orage, « maintenant l'air est frais et parfumé. Dans l'orient obscur, dé

ployant un arc immense, l'iris brille au soleil couchant. Jeune insensé qui croit pouvoir saisir le glorieux météore! combien « vaine est la course que ton ardeur a commencée! La brillante • apparition s'éloigne à mesure que tu la poursuis. Ah! puisses-tu savoir qu'il en est ainsi dans la jeunesse, lorsque nous pousuivons les chimères de la vie.

« Quand la cloche du soir chargeait de ses gémissements la brise solitaire, le jeune Edwin, marchant avec lenteur et prêtant une « oreille attentive, se plongeait dans le fond des vallées; tout autour de lui, il croyait voir errer des convois funèbres, de pâles ⚫ombres, des fantômes traînant des chaînes ou de longs voiles; mais • bientôt ces bruits de la mort se perdaient dans le cri lugubre du ◄ hibou, ou dans les murmures du vent des nuits, qui ébranlait par intervalles les vieux dômes d'une église.

Si la lune rougeâtre se penchait à son couchant sur la mer mélancolique et sombre, Edwin allait chercher les bords de ces « sources inconnues, où s'assemblaient sur les bruyères les magi«ciennes des temps passés. Là, souvent le sommeil venait le sur« prendre, et lui apportait ses visions.

« Le songe a fui.... Edwin, réveillé avec l'aurore, ouvre ses yeux << enchantés sur les scènes du matin; chaque zéphyr lui apporte ⚫ mille sons délicieux; on entend le bélement du troupeau, le tin⚫tement de la cloche de la brebis, le bourdonnement de l'abeille; ◄ la cornemuse fait retentir les rochers, et se mêle au bruit sourd de l'Océan lointain qui bat ses rivages.

« Le chien de la cabane aboie en voyant passer le pèlerin matinal; la laitière, couronnée de son vase, chante en descendant la « colline; le laboureur traverse les guérets en sifflant; le lourd cha« riot crie en gravissant le sentier de la montagne; le lièvre étonné sort des épis vacillants; la perdrix s'élève sur son aile bruyante; le ramier gémit dans son arbre solitaire, et l'alouette gazouille au

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« Quand la jeunesse du village danse au son du chalumeau, • Edwin, assis à l'écart, se plaît à rêver au bruit de la musique. « Oh! comme alors tous les jeux bruyants semblent vains et tu<< multueux à son âme! Céleste mélancolie, que sont près de toi les • profanes plaisirs du vulgaire !

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« Le chant fut le premier amour d'Edwin; souvent la harpe de la « montagne soupira sous sa main aventureuse, et la flûte plaintive a gémit suspendue à son souffle. Sa muse, encore enfant, ignorait l'art du poète, fruit du travail et du temps. Edwin atteignit pour<tant cette perfection si rare, ainsi que mes vers le diront quelque < jour. »

La citation est longue; mais elle est importante pour l'histoire de la poésie Beattie a parcouru la série entière des rêveries et des idées mélancoliques dont cent autres poètes se sont crus les discoverers. Beattie se proposait de continuer son poëme; en effet, il en a écrit le second chant : Edwin entend un soir une voix grave s'élevant du fond d'une vallée; c'est celle d'un solitaire qui, après avoir connu les illusions du monde, s'est enseveli dans cette retraite, pour y recueillir son âme et chanter les merveilles du Créateur. Cet ermite instruit le jeune minstrel, et lui révèle le secret de son génie. L'idée était heureuse, mais l'exécution n'a pas répondu au bonheur de l'idée. Les dernières strophes du nouveau chant sont consacrées au souvenir d'un ami. Beattie était destiné à verser des larmes ; la mort de son fils brisa son cœur paternel: comme Ossian après la perte de son Oscar, il suspendit sa harpe aux branches d'un chêne. Peut-être le fils de Beattie était-il ce jeune minstrel qu'un père avait chanté, et dont il ne voyait plus les pas sur la montagne.

LORD BYRON. L'ORME D'HARROW'.

On retrouve dans les premiers vers de lord Byron des imitations frappantes du minstrel. A l'époque de mon exil en Angleterre, lord Byron habitait l'école de Harrow, dans un village à dix milles de Londres. Il était enfant; j'étais jeune et aussi inconnu que lui: je le devais précéder dans la carrière des lettres et y rester après lui. Il avait été élevé sur les bruyères de l'Écosse, au bord de la mer,

Tout ce qui suit, jusqu'à la conclusion, est tiré de mes Mémoires; j'ai seulement abrégé quelques passages quand il s'est agi de moi, ne pouvant dire de mon vivant tout ce que j'en dirai dans ma tombe: c'est une chose fort commode que d'être mort pour parler à son aise. Je n'ai point cette fois guillemeté le commencement des paragraphes pour annoncer la citation des Mémoires, parce que des citations de lord Byron étant insérées dans le texte même des Mémoires, il y aurait eu confusion de guillemets.

comme moi dans les landes de la Bretagne, au bord de la mer : il aima d'abord la Bible et Ossian, comme je les aimais; il chanta dans Newstead-Abbey les souvenirs de l'enfance, comme je les chantai dans le château de Combourg.

When I roved, a young highlander, o'er the dark heath,

And climb'd thy stoop summit, oh! Morven of snow, etc.

• Lorsque j'explorais, jeune montagnard, la noire bruyère et gravissais ta cime penchée, ô Morven couronné de neiges, pour « m'ébahir au torrent qui tonnait au-dessous de moi, ou aux va« peurs de la tempête qui s'amoncelaient à mes pieds.

Je me levais avec l'aube. Mon chien pour guide, je bondissais de montagne en montagne. Je fendais avec ma poitrine les vagues de la marée envahissante de la Dee, et j'écoutais de loin la chanson du highlander. Le soir, à mon repos, sur ma couche « de bruyère, aucun songe, si ce n'est celui de Marie, ne se présen<< tait à ma vue.

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« J'ai quitté ma givreuse demeure; mes visions sont passées, mes montagnes évanouies: ma jeunesse n'est plus. Comme le « dernier de ma race, je dois me faner seul et ne trouver de délices « qu'aux jours dont je fus jadis le témoin. Ah! l'éclat est venu, « mais il a rendu mon lot amer! Plus chères furent les scènes que « mon enfance a connues!

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« Adieu donc, vous, collines où mon enfance fut nourrie! et toi, « douce fluente Dee, adieu à tes eaux! aucun toit dans la forêt « n'abritera ma tête. Ah! Marie, aucun toit ne peut être le mien • qu'avec vous ! »>

Dans mes longues courses solitaires aux environs de Londres, j'ai traversé plusieurs fois le village de Harrow, sans savoir quel génie il renfermait. Je me suis assis dans le cimetière, au pied de l'orme sous lequel, en 1807, lord Byron écrivait ces vers au moment où je revenais de la Palestine:

Spot of my youth! whose hoary branches sigh,

Swept by the breeze that fans thy cloudless sky, etc.

« Lieu de ma jeunesse, où soupirent les branches chenues effleurées par la brise qui rafraîchit ton ciel sans nuage! Lieu où « je vague aujourd'hui seul, moi qui souvent ai foulé, avec ceux que j'aimais, ton gazon mol et vert, avec ceux qui, dispersés au loin, regrettent comme moi par aventure les heureuses scènes • qu'ils connurent jadis! Oh! lorsque de nouveau je fais le tour de «ta colline arrondie, mes yeux t'admirent, mon cœur l'adore, à toi, ⚫orme affaissé sous les rameaux duquel je m'étendais, en livrant

aux songes les heures du crépuscule! J'y délasse aujourd'hui mes • membres fatigués comme j'avais coutume, mais, hélas ! sans mes

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« Quand la destinée glacera ce sein qu'une fièvre dévore; quand elle en aura calmé les soucies et les passions. . . . . . i'i où il palpita, ici mon cœur pourra reposer. Puissé-je m'endormir où s'éveillèrent mes espérances.

« mêlé à terre où coururent mes pas.

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• pleuré de ceux qui furent en société avec mes jeunes années, oublié du reste du monde !

Et moi je dirai: Salut, antique ormeau des songes, au pied duquel Byron enfant s'abandonnait aux caprices de son âge, alors que je rêvais René sous ton ombre, sous cette même ombre où, plus tard, le poète vint à son tour rèver Childe-Harold! Byron demandait au cimetière témoin des premiers jeux de sa vie une tombe ignorée : inutile prière que n'a point exaucée la gloire.

LES DEUX NOUVELLES ÉCOLES LITTÉRAIRES. QUELQUES RESSEMBLANCES DE DESTINÉE.

Il y aura peut-être quelque intérêt à remarquer dans l'avenir (si pour moi il y a avenir) la rencontre des deux chefs de la nouvelle école française et anglaise, ayant un même fond d'idées, des destinées, sinon des mœurs, à peu près pareilles : l'un pair d'Angleterre, l'autre pair de France; tous deux voyageurs dans l'Orient, assez souvent l'un près de l'autre, et ne se voyant jamais seulement la vie du poète anglais a été mêlée à de moins grands événements que la mienne.

Lord Byron est allé visiter après moi les ruines de la Grèce : dans Childe-Harold il semble embellir de ses propres couleurs les descriptions de l'Itinéraire. Au commencement de mon pèlerinage, je reproduis l'adieu du sire de Joinville à son château; Byron dit un égal adieu à sa demeure gothique.

Dans les Martyrs, Eudore part de la Messénie pour se rendre à Rome.

« Notre navigation fut longue, dit-il. . .

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Nous vîmes tous ces promontoires

« marqués par des temples ou des tombeaux.

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• Nous traversâmes le golfe de Mégare. Devant nous était Égine; à droite, le Pirée; à gauche, Corinthe. Ces villes, jadis si florissantes, n'offraient que des monceaux de ruines. Les matelots • mêmes parurent touchés de ce spectacle. La foule accourue sur le pont gardait le silence; chacun tenait ses regards attachés à ces ⚫ débris; chacun en tirait peut-être secrètement une consolation

Suite de la citation des Mémoires,

⚫ dans ses maux, en songeant combien nos propres douleurs sont ⚫ peu de chose, comparées à ces calamités qui frappent des nations • entières, et qui avaient étendu sous nos yeux les cadavres de ces • cités.

Mes jeunes compagnons n'avaient entendu • parler que des métamorphoses de Jupiter, et ils ne comprirent • rien aux débris qu'ils avaient sous les yeux; moi, je m'étais déjà assis, avec le prophète, sur les ruines des villes désolées, et Babylone m'enseignait Corinthe. »

Lisez maintenant lord Byron, quatrième chant de ChildeHarold:

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Lorsque ma barque effleurait le brillant azur • des vagues sous une fraîche brise, Mégare vint devant moi, Ægine restait derrière, le Pirée à ma droite, Corinthe à ma gauche. J'étais appuyé sur la proue, et je vis ces ruines réunies.

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Le Romain vit ces tombes dans son propre temps, ces sépulcres • de cités qui excitent un triste étonnement; et cette page qui leur servit, porte la morale leçon tirée d'un tel pèlerinage. »

Le poète anglais est ici, comme le prosateur français, derrière la lettre de Sulpicius à Cicéron; mais une rencontre si parfaite m'est singulièrement glorieuse, puisque j'ai devancé le chantre immortel au rivage où nous avons eu les mêmes souvenirs, et où nous avons commémoré les mêmes ruines.

J'ai encore l'honneur d'être en rapport avec lord Byron dans la description de Rome : les Martyrs et ma Lettre sur la campagne romaine ont l'inappréciable avantage pour moi d'avoir deviné les inspirations d'un beau génie. M. de Béranger, notre immortel chansonnier, a placé dans le dernier volume de ses Chansons une note trop obligeante pour que je la rapporte en entier; il a osé dire, en rappelant le mouvement que j'ai imprimé, selon lui, à la poésie française: L'influence de l'auteur du Génie du Christianisme s'est • fait ressentir également à l'étranger, et il y aurait peut-être jus◄tice à « reconnaître que le chantre de Childe-Harold est de la • famille de René 1. »

'Dans un excellent article (Biograph. univers. suppl.) sur lord Byron, M. Villemain a renouvelé la remarque de M. de Béranger: qu'on me pardonne

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