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« Le clergé anglican était savant, hospitalier et généreux; il avait reçu le clergé français avec une charité toute chrétienne. L'université d'Oxford fit imprimer à ses frais, et distribuer gratis aux curés, un Nouveau Testament, selon la leçon romaine, avec ces mots: A l'usage du clergé catholique, exilé pour la religion.

Quant à la haute société anglaise, chétif exilé, je n'en apercevais que les dehors. Lors des réceptions à la cour, ou chez la princesse de Galles, passaient des ladies assises de côté dans des chaises à porteur; leurs grands paniers sortaient par la porte de la chaise, comme des devants d'autel; elles ressemblaient elles-mêmes, sur ces autels de leur ceinture, à des madones ou à des pagodes. Ces belles dames étaient les filles dont le duc de Guines et le duc de Lauzun avaient adoré les mères, et ces filles étaient, en 1822, les mères et grand❜mères des petites filles qui dansaient chez moi, en robe courte, au son du galoubet de Collinet. Il y a de cela onze années onze années attachées au bas d'une robe doivent avoir rendu les pas moins légers. Et chacune de ces petites filles a peutêtre à présent onze petites filles, les plus vieilles âgées de onze ans, et prêtes à se marier bientôt sur la célèbre bruyère; rapides générations de fleurs.

« Georges III survécut à M. Pitt; mais il avait perdu la raison et la vue. Chaque session, à l'ouverture du parlement, les ministres lisaient, aux chambres silencieuses et attendries, le bulletin de la santé du roi. On rencontrait le monarque aveugle, errant comme le roi Léar dans ses palais, tâtonnant avec ses mains les murs des salles du château de Windsor, ou assis devant un piano, jouant, en cheveux blancs, une sonate de Heddel, ou l'air favori de Shakespeare c'est une belle fin de la vieille Angleterre, « OLD ENGLAND 1.

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VOYAGES. LE CAPITAINE ROSS, JACQUEMONT. LAMARTINE.

Voyage! grand mot! il me rappelle ma vie entière. Les Américains veulent bien me regarder comme le chantre de leurs anciennes forêts, et l'Arabe Abou-Gosh se souvient encore de ma course dans les montagnes de la Judée. J'ai ouvert la porte de l'Orient à lord Byron et aux voyageurs qui depuis moi ont visité le Céphise, le Jourdain et le Nil; postérité nombreuse que j'ai envoyée en Egypte, comme Jacob y envoya ses fils. Mes vieux et jeunes amis ont élargi le petit sentier qu'avait laissé mon passage: M. Michaud, dernier pèlerin de ses croisades, s'est présenté au saint-sépulcre; M. Lenormant a visité les tombeaux de Thèbes pour nous conserver la langue de Champollion; il a vu renaître parmi les ruines de la Grèce la liberté que j'y avais vue expirer sous le turban ivre de

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fanatisme, d'opium et de femmes. Mes traces en tous pays ont été effacées par d'autres traces; elles ne sont restées solitaires que dans la poussière de Carthage, comme les vestiges d'un hôte du désert sur les neiges canadiennes. Dans les savanes mêmes d'Atala, les herbes sont remplacées par des moissons; trois grands chemins mènent aux Natchez, et si Chactas vivait encore, il pourrait être député au congrès de Washington. Enfin j'ai reçu une brochure des Chéroquois ces Sauvages me complimentent en anglais, comme un « éminent écrivain et le conducteur de la presse publique. » (Eminent writer and conductor of the public press.)

Les voyages doivent être compris dans la littérature anglaise. Il s'est opéré bien des changements dans la manière de les écrire depuis Shaw, Chandler, Raleph, Hudson, Baffine, Anson, etc., jusqu'aux derniers explorateurs de terre et de mer. Il faudrait faire un volume sur les capitaines Cook et Van Couver, sur les mille et une courses à travers l'Inde, sur les découvertes de Claperston et de Laing, de Mungo-Park et des frères Lander; sur celles des capitaines Francklin, Parry et Ross. Si je me laissais entraîner à mon goût pour les voyages, il me serait impossible de sortir de Tombouctou, des bords du Niger ou des vallées de l'Himalaya. Cependant, et afin de ne pas omettre cette grande branche de la littérature anglaise, je citerai quelques passages extraits du journal du capitaine Ross je m'intéresse particulièrement à ce monde arctique dont je rêvai la découverte dans ma jeunesse.

Le capitaine Ross, parti d'Angleterre en 1829, à la recherche du passage du nord-ouest, pénétra dans le détroit de Lancaster et l'inlet du Prince Régent; arrêté par les glaces dans le golfe auquel il a donné le nom de Boothia, il demeura quatre ans enfermé sur la côte occidentale de ce golfe. Obligé d'abandonner son navire, la Victoire, il revint, sur la surface d'un océan gelé, chercher la baie de Baffin, où il eut le bonheur de rencontrer le vaisseau baleinier l'Isabelle qui le reçut à son bord par un concours de circonstances extraordinaires, l'Isabelle était le vaisseau même que montait le capitaine Ross lors de son premier voyage en 1828.

Pendant les quatre années de sa détention dans les glaces, le capitaine découvrit le pôle magnétique et la mer polaire de l'ouest, séparée seulement de la mer de l'est par un isthme fort étroit. Voyons maintenant les souffrances des voyageurs, et l'espèce de poésie désolée de ces régions. Le capitaine peint de cette manière la nature hyperboréenne: je me sers de la traduction de M. Defauconpret.

«La neige détruit l'effet de tout le paysage et en fait disparaître ◄ l'ensemble en confondant les distances, les proportions, et surtout ⚫ l'harmonie du coloris; en nous donnant une misérable mosaïque « de noir et de blanc, au lieu de ces douces dégradations de teintes • et de ces combinaisons de couleurs que produit la nature dans sa • parure d'été, au milieu des paysages les moins attrayants et les • plus agrestes.

« Telles sont mes objections contre une vue de neige. L'expé<rience d'un jour suffit pour les suggérer. A plus forte raison devaient-elles se présenter à nous dans une misérable région où, < pendant plus de la moitié de l'année, on n'a au-dessus de la tête que de la neige; où l'ouragan a des ailes de neige; où le brouil«lard est de la neige, où le soleil ne se montre que pour briller sur « la terre que couvre la neige, quoiqu'il n'en tombe pas; où l'ha«<leine qui sort de la bouche se change en neige, où la neige s'at<< tache aux cheveux, aux cils et à tous les vêtements; où elle rem<< plit nos chambres, nos plats et nos lits, si nous ouvrons une porte ⚫ pour donner accès à l'air extérieur; où le cristal liquide qui doit << étancher notre soif sort d'une bouilloire remplie de neige et « suspendue sur une lampe; où nous avons des sofas, des lits, « des maisons de neige; où la neige couvre le pont et le toit de << notre navire, et forme nos observatoires et nos garde-manger; << enfin où la neige, quand elle ne pourrait plus nous être d'aucun « autre usage, servirait à former nos cercueils et nos tombes. » Le commandant Ross, neveu du capitaine, était allé faire une course chez une horde d'Esquimaux :

« Nos guides étaient complétement en défaut, car la neige qui << tombait était si épaisse, qu'ils ne pouvaient voir à dix toises de<< vant eux. Nous fûmes donc forcés de renoncer à toute tentative ultérieure, et de consentir à ce qu'ils construisissent une hutte ⚫ de neige.

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«Elle fut terminée en une demi-heure, et jamais nous n'eûmes lieu d'être plus satisfaits de ce genre d'architecture, qui, en si peu de temps, nous procura un abri contre le vent et la neige aussi << bien qu'aurait pu faire la meilleure maison construite en pierre.

Nos vêtements avaient été tellement pénétrés par la neige qui ⚫ s'y était ensuite gelée, que nous ne pûmes les òter que lorsque la « chaleur de nos corps les eut rendus plus souples. Nous souffrions beaucoup de la soif, et tandis que les Esquimaux construisaient la <hutte, nous fimes fondre de la neige à l'aide d'une lampe à l'esprit<< de-vin. Nous en eûmes bientôt une quantité suffisante pour nous quatre, et nos guides en furent aussi enchantés que surpris, car la • même opération qu'ils font dans un vase de pierre suspendu sur leur lampe, est pour eux l'ouvrage de trois à quatre heures.

« Notre habitation n'était pourtant pas sans inconvénient. Son • extrême petitesse en était déjà un; mais le plus grand était que les murs se fondaient, et que l'eau tombant sur nos habits, les « mouillait à un tel point que nous fûmes obligés de les ôter, et de nous glisser dans les sacs de fourrure dont nous étions munis. «Par ce moyen nous écartàmes l'ennemi et nous pûmes dormir.

« Nous eûmes un ouragan venant du nord, et il dura toute la ⚫ journée avec tant de force que nous ne pûmes sortir de la hutte.... Le vent hurlait autour de nos murs de neige, et celle qu'il chassait

<< battait contre eux avec un sifflement que j'étais charmé de pouvoir oublier en me livrant à une conversation qui m'empêchait « d'y faire attention. »

Le moment où le commandant Ross découvre l'Océan de l'ouest est remarquable:

a Mes compagnons, que j'avais quittés un moment, avaient an« noncé leur arrivée sur les bords de l'Océan occidental par trois « acclamations. C'était en effet pour eux, et encore plus pour moi, « leur chef, un spectacle palpitant d'intérêt, et qui méritait bien lé << salut ordinaire du marin. C'était cet Océan que nous avions « cherché ; l'objet de notre ambition et de nos efforts; l'espace « d'eau libre qui, comme nous l'avions espéré, devait nous porter autour du continent de l'Amérique et nous procurer le triomphe « si désiré par nos prédécesseurs, et que nous-mêmes nous avions si longtemps et si inutilement travaillé à obtenir. Notre but eût <«< été atteint si la nature n'y eût mis obstacle; si notre chaîne de « lacs eût été un bras de mer; si cette vallée eût ouvert une com«munication libre entre les deux mers. Du moins, nous en avions « reconnu l'impossibilité. Cet Océan tant désiré était à nos pieds; << nous allions bientôt voyager sur sa surface, et au milieu de notre « désappointement nous avions du moins la consolation d'avoir « écarté tous les doutes, banni toute incertitude, et de sentir que, « lorsque Dieu a dit non, il ne reste à l'homme autre chose à faire « qu'à se soumettre et à lui rendre grâces de ce qu'il a accordé. « C'était un moment solennel, un moment à ne jamais oublier; « les acclamations des marins ne produisirent jamais une impresasion plus profonde qu'en ce moment où elles interrompaient le « silence de la nuit, au milieu d'un désert de glace et de neige, où « il n'y avait pas un seul objet qui pût rappeler qu'il existait des « êtres vivants, et où il semblait qu'aucun son n'eût jamais été en« tendu..

« On peut s'imaginer combien il me répugnait de retourner au << vaisseau du point où nous étions parvenus, à l'instant où nous « touchions presque à l'objet principal de notre expédition; mais «< il faudrait être dans la situation où nous nous trouvions pour « concevoir toute l'étendue de nos regrets et de notre désappointe«ment. Notre distance du cap Turnagain n'était pas alors plus « grande que l'espace que nous avions déjà parcouru, et quelques jours de plus à notre disposition nous auraient permis d'achever << tout ce qui restait à faire, de retourner triomphants à la Victoire, « et de reporter en Angleterre un fruit véritablement digne de nos « longs et pénibles travaux. Mais ce peu de jours n'était pas en << notre pouvoir. .

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« Nous déployâmes donc notre drapeau pour accomplir le céré<< monial d'usage, et nous prîmes possession de tout le pays que nous apercevions jusqu'à cette pointe éloignée. Nous donnámes

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« à celle sur laquelle nous étions le nom de Pointe de la Victoire; « c'était le nec plus ultra de nos travaux.

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« Nous élevâmes sur la pointe de la Victoire un monticule de « pierres de six pieds de hauteur, et dans l'intérieur nous plaçâmes « une caisse d'étain contenant une courte relation de ce que nous avions fait depuis notre départ d'Angleterre. Telle est la cou<< tume, et nous devions nous y conformer, quoiqu'il n'y eût pas la « moindre apparence que notre petite histoire tombât jamais sous « les yeux d'un Européen. Nous aurions pourtant travaillé à cet « ouvrage avec une sorte d'espoir, si nous avions su alors qu'on « nous regardait comme des hommes perdus, sinon morts; et que

notre ancien ami Back, notre ami éprouvé, était sur le point de « partir pour nous chercher et nous rendre à la société et à notre « patrie. S'il arrive que le cours des recherches qu'il continue en « ce moment le conduise au cap Turnagain, en cet endroit, et << qu'il y trouve la preuve de la visite que nous y avons faite, nous « savons ce que c'est pour le voyageur errant dans ces solitudes « de trouver des traces qui lui rappellent sa patrie et ses amis, et « nous pourrions presque lui envier ce bonheur imaginaire. »

Le sentiment de patrie exprimé au milieu de ces souffrances inouïes et de ces affreux climats; ces noms confiés à un monument de neige, et qui ne seront pas retrouvés; cette gloire inconnue reposant sur quelques pierres, s'adressant du fond d'une solitude éternelle à une postérité qui n'existera jamais; ces paroles écrites qui ne parleront point dans ces régions muettes, ou qui s'éteindront sous le bruit des glaces brisées par une tempête qu'aucune oreille n'entendra : tout cet ensemble de choses étonne. Mais la première émotion passée, on trouve, en dernier résultat, que la mort est au bout de tout la vie et la mémoire de l'homme se perdent sur tous les rivages, dans le silence et les glaces de la tombe.

Voyez l'infortuné Jacquemont mourir loin de la France, environné de toutes les populations de l'Indostan sa voix est-elle moins poignante que celle de ces marins se souvenant de leur pays dans les solitudes hyperboréennes? Couché sur le dos, parce qu'il n'avait plus la force de se tenir assis, il traçait au crayon, lẻ 4er décembre 1832, ce billet à son frère:

«Ma fin, si c'est elle qui s'approche, est douce et tranquille. Si « tu étais là assis sur le bord de mon lit, avec notre père et Frédéric, j'aurais l'âme brisée et ne verrais pas venir la mort avec « cette résignation et cette sérénité. Console-toi; console notre père; « consolez-vous mutuellement, mes amis.

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« Mais je suis épuisé par cet effort d'écrire. Il faut vous dire adieu! « adieu! Oh! que vous êtes aimés de votre pauvre Victor! — Adieu < pour la dernière fois. »

Les voyageurs modernes de la France peuvent lutter dans leurs descriptions avec les tableaux présentés par les voyageurs anglais :

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