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il donne à peu près les mêmes règles qu'Horace et Boileau; mais tout à coup, se souvenant de sa dignité, il déclare fièrement que «<les braves Bretons méprisent les lois étrangères: But we, brave «Britons, foreign_laws despis'd. » Foam traduisit l'Art poétique du poète français: Dryden en revit le texte, et remplaça seulement les noms des auteurs français par des noms d'auteurs anglais : il rend le hález-vous lentement par gently make haste.

La boucle de cheveux enlevée fut inspirée par le Lutrin, et la Dunciade, imitée des Satires de l'ami de Racine. Butler a traduit une de ces satires.

Le siècle littéraire de la reine Anne est un dernier reflet du siècle de Louis XIV. Et comme si le grand roi avait eu pour destinée de rencontrer toujours Guillaume et de faire des conquêtes, ne pouvant envahir l'Angleterre avec des gens d'armes, il y pénétra avec des gens de lettres : le génie d'Albion, qui ne céda pas à nos soldats, céda à nos poètes.

PRESSE PÉRIODIQUE. ADDISON. POPE. SWIFT. STEELE.

Une autre révolution, dont les conséquences ont été et sont encore incalculables, s'opéra: la presse périodique, à la fois politique et littéraire, fut fondée aux bords de la Tamise. Steele composa, dans l'intérêt des wighs, le Tatler, le Spectator, le Mentor, L'English man, le Lover, le Reader, le Town-Talk, le Chit-Chat, le Plebeian; il combattait l'Examiner, écrit par Swift dans l'esprit tory; Addison, Congrève, Walsh, Arbuthnot, Gay, Pope, King, se rangaient, selon leur opinion, sous les étendards de Swift et de Steele.

Jonathan Swift, né en Irlande le 30 novembre 1667, est fort mal à propos appelé par Voltaire le Rabelais de l'Angleterre. Voltaire n'était sensible qu'aux impiétés de Rabelais et à sa plaisanterie, quand elle est bonne; mais la profonde satire de la société et de Phomme, la haute philosophie, le grand style du curé de Meudon, lui échappaient; comme il ne voyait que le petit côté du christianisme, et ne se doutait pas de la révolution intellectuelle et morale accomplie dans l'humanité par l'Évangile.

Le Tonneau, où le pape, Luther et Calvin sont attaqués; Gulliver, où les institutions sociales sont stigmatisées, n'offrent que de pâles copies du Gargantua. Les siècles où vécurent les deux auteurs mettent d'ailleurs entre eux une immense différence : Rabelais commença sa langue; Swift acheva la sienne. Il n'est pas certain d'ailleurs que le Tonneau soit de Swift ou qu'il l'ait fait seul. Swift s'amusa à fabriquer des vers de vingt, trente et soixante syllabes. L'historien Velly a traduit la satire sur la paix d'Utrecht, intitulée: John Bull.

Guillaume III, qui fit tant de choses, instruisit Swift dans l'art

de cultiver les asperges à la manière hollandaise. Jonathan aima Stella, l'emmena dans son doyenné de Saint-Patrick, et au bout de seize ans, quand il fut au bout de son amour, il l'épousa. Esther Van Homrigh se prit d'une passion pour Swift, bien qu'il fût vieux, laid et dégoûtant lorsqu'elle sut qu'il était sérieusement marié avec Stella dont il ne se souciait guère, elle mourut. Stella suivit de près Esther. Le vilain homme qui tua ces deux belles jeunes femmes n'a pu, à l'exemple des grands poètes, leur donner une seconde vie.

Steele, compatriote de Swift, devint son rival en politique. Parvenu à la chambre des communes, il en fut expulsé comme auteur de libelles séditieux. A l'occasion de la création de douze fairs, sous l'administration d'Oxford et de Bolingbroke, il écrivit une lettre mordante à sir Milhes Wharton sur les pairs de circonstance. La liaison de Steele avec le grand corrupteur Walpole ne l'enrichit pas; faisant trêve à ses pamphlets, il commença la littérature industrielle, et inventa une machine pour transporter du saumon frais à Londres.

On a su gré à Steele d'avoir purgé le théâtre des obscénités dont l'avaient infecté les écrivains de Charles II : le mérite était d'autant plus grand dans l'auteur des Conscious Lovers, qu'il avait des mœurs très peu régulières. Cependant son contemporain Gay, le fabuliste, faisait représenter son Beggar, dont le héros est un voleur et l'héroïne une prostituée. Le Beggar est l'original de nos mélodrames d'aujourd'hui.

PASSAGE DE LA LITTÉRATURE CLASSIQUE A LA LITTÉRATURE DIDACTIQUE, DESCRIPTIVE ET SENTIMENTALE. POEME DE DIFFÉRENTS AUTEURS.

La littérature anglaise classique, qui ressemblait à la nôtre, à la différence près des mœurs nationales, dégénéra vite, et passa du classique à l'esprit du dix-huitième siècle. Alors nous devinmes à notre tour imitateurs; nous nous mîmes à copier nos voisins avec un engouement qui nous reprend encore par accès. Ici la matière est si connue et tellement épuisée qu'il serait fastidieux de procéder dans un ordre chronologique et de répéter ce que chacun sait.

La poésie morale, technique, didactique, descriptive, compte Gay, Young, Akenside, Goldsmith, Gray, Bloomfield, Glover, Thomson, etc.; le roman rappelle Richardson et Fielding; l'histoire, Hume, Robertson et Gibbon, qu'ont suivis Smolett et Lingard.

En outre de tous ces poètes, on a lu, dans leur temps, l'Art de conserver la santé, par Armstrong; la Chasse, par Somerville; l'Acteur, par Lloyd; l'Art poétique, de Roscommon; l'Art poétique,

de Francis; l'Art de la politique, de Bramston; l'Art de la cuisine, de King.

L'Art de la politique a de la verve. L'exorde de ces poëmes divers est imité du début de l'Art poétique d'Horace : Bramston compare un homme à la fois whig et tory à une figure humaine à sein de femme et à queue de morue.

A lady's bosom, and a tail of cod.

Delacourt, dans son Prospect of poetry, essaya l'harmonie imitative technique, comme en composa depuis, en France, M. Piis. RR's jar untuneful v'er the quiv'ring tongue

And serpent S with hissings spoils the song.

Les Plaisirs de l'imagination, par Akenside, manquent d'imagination; et le poëme sur la Conversation, de Stillingfleet, n'a pu être composé que chez un peuple qui ne sait pas causer.

Il faut encore rappeler le Naufrage, par Falconer; le Voyageur, le Village abandonné, de Goldsmith; la Création, de Blackmoore; le Jugement d'Hercule, de Shenstone..

Je nomme Dyer et Denham. Il faut lire la Complainte du poète, par l'infortuné Otway, et le Wanderer, par le plus malheureux Savage c'est là qu'il a peint la furie du suicide: « Le sourcil à « moitié brisé par l'agonie de la pensée, elle crie à l'homme Pàle « misérable, attends de moi ton soulagement; née du Désespoir, le « Suicide est mon nom. »

Born on Despair, and Suicid my name.

YOUNG.

Young a fait une mauvaise école, et n'était pas lui-même un bon maître. Il dut une partie de sa première réputation au tableau que présente l'ouverture de ses Nuits. Un ministre du Tout-Puissant, un vieux père, qui a perdu sa fille unique, s'éveille au milieu de la nuit pour gémir sur des tombeaux; il associe à la mort, au temps et à l'éternité, la seule chose que l'homme ait de grand en soimême, la douleur. Ce tableau frappe.

Mais avancez un peu; quand l'imagination, éveillée par le début du poète, a déjà créé un monde de pleurs et de rêveries, vous ne trouvez rien de ce qu'on vous a promis. Vous voyez un homme qui tourmente son esprit pour enfanter des idées tendres et tristes, et qui n'arrive qu'à une philosophie morose. Young, que le fantôme du monde poursuit jusqu'au milieu des tombeaux, ne décèle, dans ses déclamations sur la mort, qu'une ambition trompée; il prend son humeur pour de la mélancolie. Point de naturel dans sa sensibilité, d'idéal dans sa douleur; c'est toujours une main pesante qui se traîne sur la lyre.

Young a cherché à donner à ses méditations le caractère de la

tristesse: ce caractère se tire de ces trois sources: les scènes de la nature, le vague des souvenirs, les pensées de la religion.

Quant aux scènes de la nature, Young a voulu les faire servir à ses plaintes : il apostrophe la lune, il parle aux étoiles, et l'on ne sesent point ému. Je ne pourrais dire où gît cette tristesse qu'un poète fait sortir des tableaux de la nature; elle est cachée dans les déserts; c'est l'écho de la Fable desséchée par la douleur, et habitante invisible de la montagne.

Ceux de nos bons écrivains qui ont connu le charme de la rêverie ont surpassé le docteur anglais. Chaulieu a mêlé, comme Horace, les pensées de la mort aux illusions de la vie :

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La page la plus rêveuse d'Young ne peut être comparée à cette page de Rousseau :

« Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l'île, et « j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac, sur la grève, dans « quelque asile caché; là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau,, « fixant mes sens et chassant de mon âme toute agitation, la plon« geaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait « souvent, sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et le reflux de « cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalle, frappant « sans relache mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouve«ments internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient « pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la « peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte « réflexion sur l'instabilité des choses du monde, dont la surface « des eaux m'offrait l'image : mais bientôt ces impressions légères « s'effaçaient dans l'uniformité du mouvement continu qui me ber«çait, et qui, sans aucun concours actif de mon âme, ne laissait < pas de m'attacher au point qu'appelé par l'heure et le signal con« venu, je ne pouvais m'arracher de là sans efforts. »

Young a mal profité des rêveries qu'inspirent de pareilles scènes, parce que son génie manquait de tendresse.

Quant aux souvenirs du malheur, ils sont nombreux dans le poète, mais sans vérité, comme le reste. Ils n'ont rien de ces accents de Gilbert, expirant à la fleur de l'âge, dans un hôpital, et abandonné de ses amis :

Au banquet de la vie, infortuné convive,

J'apparus un jour, et je meurs!

Je meurs, et sur ma tombe ou lentement j'arrive,

Nul ne viendra verser des pleurs.

Adieu, champs fortunés; adieu, douce verdure;
Adieu, riant exil des bois;

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Adieu pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée:
Tant d'amis sourds à mes adieux!

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu'un ami leur ferme les yeux!

Dans plusieurs endroits Young déclame contre la solitude : l'habitude de son cœur n'était donc ni du prêtre ni du poète. Les saints nourrissent leurs méditations au désert, et le Parnasse est aussi une montagne solitaire. Bourdaloue suppliait le chef de son ordre de lui permettre de se retirer du monde. « Je sens que mon « corps s'affaiblit et tend à sa fin, écrivait-il. J'ai achevé ma « course, et plût à Dieu que je pusse ajouter: j'ai été fidèle !... « Qu'il me soit permis d'employer uniquement pour Dieu et pour « moi-même ce qui me reste de vie... Là, oubliant toutes les choses << du monde, je passerai devant Dieu toutes les années de ma vie << dans l'amertume de mon ame. » Si Bossuet, vivant au milieu des pompes de Versailles, a su partout répandre dans ses écrits une sainte et majestueuse tristesse, c'est qu'il avait trouvé dans la religion toute une solitude.

Au surplus, dans ce genre descriptif élégiaque, notre siècle a surpassé le précédent. Ce n'est plus comme autrefois des descriptions vagues, mais des observations précises qui s'harmonient aux sentiments, qui charment par leur vérité et laissent dans l'àme comme une sorte de plainte.

Regretter ce qu'il a perdu, habiter dans ses souvenirs, marcher vers la tombe en s'isolant, c'est l'homme. Les images prises dans la nature ont mille rapports avec nos fortunes : celui-ci passe en silence, comme l'épanchement d'une source; celui-ci attache un bruit à son cours, comme un torrent; celui-ci jette sa vie, comme une cataracte elle épouvante et disparaît.

Young pleure done sur les cendres de Narcissa sans attendrir le lecteur. Une mère était aveugle; on lui avait caché que sa fille allait mourir elle ne s'aperçut de son malheur qu'en embrassant cette fille, et en trouvant sous ses lèvres maternelles l'huile sainte dont le prêtre avait touché un front virginal. Voilà ce qui saisit le cœur plus que toutes les pensées des Nuits du père de Narcissa.

GRAY. THOMSON. DELILLE. FONTANES.

De l'auteur des Nuits je passe au chantre des morts champêtres. Gray a trouvé sur la lyre une série d'accords et d'inspirations inconnus de l'antiquité. A lui commence cette école de poètes mélancoliques, qui s'est transformée de nos jours dans l'école des poètes désespérés. Le premier vers de la célèbre élégie de Gray est une

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