Page images
PDF
EPUB

satire pleine de verve contre les personnages de la révolution charmait une cour où se montraient la débauche de Rochester et la gràce de Grammont le ridicule était une espèce de vengeance à l'usage des courtisans.

Lorsqu'on est placé à distance des faits, qu'on n'a pas vécu au milieu des factions et des factieux, on n'est frappé que du côté grave et douloureux des événements; il n'en est pas ainsi quand on a été soi-même acteur ou spectateur compromis dans des scènes sanglantes.

Tacite, que la nature avait formé poète, eût peut-être crayonné la satire de Pétrone, s'il eût siégé au sénat de Néron; il peignit la tyrannie de ce prince, parce qu'il vécut après lui: Butler, doué d'un génie observateur, eût peut-être écrit l'histoire de Charles Ier s'il fût né sous la reine Anne; il se contenta de rimer Hudibras, parce qu'il avait vu les personnages de la révolution de Cromwell; il les avait vus toujours parlant d'indépendance, présenter leurs mains à toutes les chaînes, et, après avoir immolé le père, se courber sous le joug du fils.

Cependant le sujet du poëme de Butler, de ce poëme auquel travailla le fils aîné du duc de Buckingham, n'est pas aussi heureux que celui de la Satire Ménippée. On se pouvait railler de la Ligue malgré ses horreurs; les railleries dont elle était l'objet avaient des chances de durée, parce que la Ligue n'était pas une révolution: elle n'était qu'une sédition dont le genre humain ne tirait aucun profit. Les hommes de cette longue sédition, l'Hospital excepté, ne furent grands qu'individuellement; ils ne jalonnèrent leur passage par aucune idée, aucun principe, aucune institution politique utile à la société. La Ligue assassina Henri III, plus dévot qu'elle, et combattit Henri IV, qui la vainquit et l'achela. Évanouie qu'elle fut, rien n'apparut derrière: elle n'eut pour écho que la Fronde, misérable brouillerie qui se perdit dans le plein pouvoir de Louis XIV.

Mais les troubles en 1649, en Angleterre, étaient d'une nature autrement grave; on n'assistait pas au duel de quelques princes ambitieux; la lutte existait entre le peuple et le roi, entre la république et la monarchie : le souverain fut jugé solennellement et mis à mort; le chef populaire qui le conduisit à l'échafaud, et qui lui succéda, n'était rien moins que Cromwell: Un homme s'est rencontré.

La dictature du peuple, personnifié dans un tribun, dura neuf années en se retirant elle emporta la monarchie absolue, et déposa dans l'industrie anglaise le germe de sa puissance, l'acte de navigation. Le contre-coup de la révolution de 1649 produisit la révolution de 1688, résultat immense.

Voilà pourquoi nous ne rions plus aux gausseries d'Hudibras, comme nous rions aux plaisanteries de la Satire Ménippée. Les conséquences des troubles du règne de Charles Ier se font encore sentir au monde; les abominations de la Saint-Barthélemy, les énormités de la corruption de Henri III et de l'ambition des Guises, n'ont

laissé que l'effroi de la mémoire de ces abominations et de ces énormités. Un auteur qui essayerait de faire un poëme burlesque sur la révolution de 1789, parviendrait-il à égayer la Terreur ou à rapetisser Buonaparte? Les parodies qui restent ne sont fournies que par des événements qui ne restent pas; elles ressemblent à ces masques moulés sur le visage d'un mort tombé depuis en poussière ou sur celui d'un satyre dont le buste ne se retrouve plus.

On a dressé le catalogue des royalistes qui souffrirent pour la cause de Charles Ier : il est long: Charles II l'augmenta. Waller, conspirateur poltron sous la république, poète adulateur de l'usurpation heureuse, obtenait tout de la légitimité restaurée, tandis que Butler mourait de faim. Les couronnes ont leurs infirmités comme les bonnets rouges.

Une destinée fatale s'attache aux Muses: Valeriano Bolzani composé un traité de litteratorum infelicitate; Israeli a publié the Calamities of authors: ils sont loin d'avoir épuisé la matière. Dans la seule liste des poètes anglais que j'ai nommés on trouve:

Jacques, roi d'Écosse, dix-huit ans prisonnier et ensuite assassiné; Rivers Surrey et Thomas More, portant leur tête à l'échafaud; Lovelace et Butler, que la pauvreté dévora.

Clarendon mourut à Rouen, exilé par Charles II. On condamna à être brûlé par la main du bourreau le Mémoire justificatif du vertueux magistrat dont les écrits, mêlés à ceux de Falkland, avaient fait triompher la cause royale.

Milton, demi-proscrit, descendit aveugle au tombeau.

Dryden, vers la fin de ses jours, était obligé de vendre, morceau à morceau, son talent pour vivre : « Je n'ai guère lieu, disait-il, de « remercier mon étoile d'être né Anglais; c'est assez pour un siècle • d'avoir négligé Cowley et vu Butler mourir de faim. »

Otway, depuis, s'étouffa en avalant trop vite le morceau de pain qu'on jeta à sa misère.

Que n'a pas souffert Savage, composant au coin des rues, écrivant ses vers sur des morceaux de papier ramassés dans le ruisseau, expirant dans une prison, et laissant son cadavre à la pitié d'un geolier qui le fit enterrer à ses frais?

Chatterton, après avoir été plusieurs jours sans manger, s'empoisonna.

Dans le cloître de la cathédrale de Worcester, on remarque une plaque sépulcrale; elle ne porte ni date, ni prière, ni symbole; on y lit ce seul mot: Miserrimus. Cet inconnu, ce Miserrimus sans nom, n'est-ce point le génie?

FIN DES STUARTS.

Jacques II, après la mort de son frère, voulut tenter en faveur de l'Église romaine ce que son père n'avait pu même exécuter pour l'épiscopat il se croyait le maître d'opérer un changement dans la

religion de l'État, aussi facilement que Henri VIII; mais le peuple anglais n'était plus le peuple des Tudor; et quand Jacques eût distribué à ses sujets tous les biens du clergé anglican, il n'aurait pas fait un seul catholique. Son plus grand tort fut de jurer en parvcnant à la couronne ce qu'il n'avait pas l'intention de tenir; la foi gardée n'a pas toujours sauvé les empires; la foi mentie les a souvent perdus.

Jacques, naturellement cruel, trouva un bourreau : Jeffreys avait commencé ses œuvres vers la fin du règne de Charles II, dans le procès où Russel et Sidney perdirent la vie. Cet homme qui, à la suite de l'invasion de Monmouth, fit exécuter dans l'ouest de l'Angleterre plus de deux cent cinquante personnes, ne manquait pas d'un certain esprit de justice: une vertu qu'on n'aperçoit pas dans un homme de bien, se fait remarquer quand elle est placée dans un homme de malheur.

La Hollande était depuis longtemps le foyer des intrigues des divers partis anglais : les émissaires de ces partis s'y rassemblaient sous la protection de Marie, fille aînée de Jacques, femme du prince d'Orange, homme qui n'inspire aucune admiration, et qui pourtant a fait des choses admirables. Souvent averti par Louis XIV, Jacques ne voulait rien croire. La flotte de Guillaume mit à la voile; il aborda avec treize mille hommes à Broxholme, dans Torbay.

A son grand étonnement, il n'y trouva personne; il attendit dix jours en vain. Que fit Jacques pendant ces dix jours? rien : il avait une armée de vingt mille hommes qui se fût battue d'abord, et il ne prit aucune résolution. Sunderland, son ministre, le vendait; le prince Georges de Danemark, son gendre, et Anne, sa fille favorite, l'abandonnaient, de même que sa fille Marie et son autre gendre Guillaume. La solitude commençait à croître autour du monarque qui s'était isolé de l'opinion nationale. Jacques demanda des conseils au comte de Bedfort, père de lord Russel, décapité sous le règne précédent à la poursuite de Jacques : « J'avais un fils,» répondit le vieillard, qui aurait pu vous secourir. »

[ocr errors]

Jacques s'enfuit; il débarqua à Ambleteuse, le 2 janvier 1689; hòte fatal, il enseigna l'exil aux foyers dont il embrassa l'autel. On a retrouvé les os de Jacques II à Saint-Germain. Où sont les cendres de Louis XIV? Où sont ses fils?

Au surplus, qu'importent toutes ces choses? lord Russel embrassant lady Russel pour la dernière fois, lui dit : « Cette chair que • vous sentez encore, dans peu d'heures sera glacée. » Les générations que je viens d'indiquer, combien occupent-elles de place dans le monde et dans cette page? A mon retour en France en 1800, une nuit je voyageais en diligence; la voiture fit un léger tressaut que nous sentimes à peine; elle avait rencontré un paysan ivre couché en travers dans le chemin nous avions passé sur une vie, et la roue s'était à peine élevée de terre de quelques lignes. Les Francs, nos pères, égorgèrent à Metz les Romains surpris au mi

lieu d'une fête; nos soldats ont valsé, il n'y a pas encore vingt-cinq ans, au monastère d'Alcobaça avec le squelette d'Inès de Castro: malheurs et plaisirs, crimes et folies, quatorze siècles vous séparent, et vous êtes aussi complétement passés les uns que les autres! L'éternité commencée tout à l'heure est aussi ancienne que l'éternité datée de la première mort, du meurtre d'Abel. Néanmoins les hommes, durant leur apparition éphémère sur ce globe, se persuadent qu'ils laissent d'eux quelque trace: sans doute! chaque mouche a son ombre.

Les quatre Stuarts passèrent dans l'espace de quatre-vingt-quatre ans; les six derniers Bourbons ayant porté, ou ayant droit de porter la couronne, à compter de la mort de Louis XV, ont disparu dans la période de cinquante-quatre années.

Dans l'un et dans l'autre royaume, un roi a péri sur l'échafaud, deux restaurations ont eu lieu et ont été suivies du bannissement des souverains légitimes et pourtant il est vrai que, loin d'être au bout des révolutions, l'Europe, ou plutôt le monde, ne fait que les

commencer.

LITTÉRATURE

SOUS LA MAISON D'HANOVRE.

ACHÈVEMENT ET PERFECTIONNEMENT DE LA LANGUE ANGLAISE. MORT DES LANGUES.

En quittant les Stuarts nous entrons dans le repos de cent quarante années qui suivit la chute de ces princes, et laissa aux Muses le temps d'épurer leur langage à l'abri de la liberté.

Au commencement de cet Essai, j'ai parlé de l'origine de la langue anglaise; on a pu en remarquer les changements successifs, dans notre course rapide à travers les siècles. Maintenant que j'approche de la fin de mon travail, voyons à quel degré de perfection cette langue était parvenue, et comment, après avoir été l'idiome des conteors, des fableors, des harpeors, elle devint l'idiome des Pope, des Addison, des Swift, des Gray, des Fielding, des Walter Scott et des Byron.

La vieille langue anglaise me paraît avoir eu plus de douceur que la langue anglaise moderne ; le th y termine une foule de mots et la troisième personne des verbes au singulier du présent de l'indicatif. Le th emprunté de l'Orient ne fut prononcé (sinon introduit dans l'alphabet grec avec le X chi, le K kappa, l'a, oméga) que vers le commencement de la guerre du Péloponèse, à l'époque où Alcibiade rendait Athènes folle comme une femme, par la difficulté gracieuse avec laquelle il exprimait quelques lettres. Le th était une lettre composée que la molle Ionie semblait fournir en aide à l'élégant élève de Périclès. Le grec moderne a retenu le ✪, thêta.

Le th de l'ancien anglais, à la fin du mot, ne pouvait être que le th doux, comme il se prononce dans mouth, sooth teeth, et non le th rude du commencement du mot, comme dans thunder, throbbing, thousand.

La lettre se redoublait souvent dans l'ancien anglais. L'e qui abonde et qui dispute la fin des mots au th, était l'e muet retenu du français; il contribuait à émousser le son trop aigu. La preuve que ces lettres n'étaient point étymologiques, mais euphoniques, c'est que l'orthographe variait de comté en comté et presque de village en village selon l'oreille, écho de l'accent. Les mots même variaient dans un rayon de quelques lieues : un marchand, embarqué sur la

« PreviousContinue »