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de l'abîme des ténèbres il salue cette lumière sacrée interdite à ses yeux.

<< Salut, lumière sacrée, fille du ciel, née la première, ou de l'Éaternel coéternel rayon! Puis-je te nommer ainsi sans blâme? « Puisque DIEU est lumière, et que de toute éternité il n'habite jamais que dans une lumière impénétrable, il habite donc en toi, << brillante effusion d'une brillante essence incréée ! Ou si tu préfères << t'entendre appeler ruisseau de pur éther, qui dira ta source? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais à la voix de DIEU tu « couvris comme d'un manteau le monde qui naissait des eaux noires << et profondes; conquête faite sur le vide infini et sans forme.

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« Maintenant je te visite de nouveau sur une aile plus hardie: « échappé du lac stygien...... je sens l'influence de ton vivifiant et << souverain flambeau. Mais toi tu ne visites point ces yeux qui roulent en vain pour trouver ton rayon perçant et ne rencontrent « aucune aurore; tant ils sont profondément éteints dans leur orbite, « ou voilés d'un sombre tissu!

«

Cependant je ne cesse d'errer aux lieux fréquentés des Muses... « Je n'oublie pas non plus ces deux mortels semblables à moi en « malheur (puissé-je les égaier en gloire!). L'aveugle THAYRIS et « l'aveugle MÉONIDES, et THYRÉSIAS et PHRINÉE, devins antiques. « Nourri des pensées qui mettent en mouvement les nombres har«monieux, je suis semblable à l'oiseau qui veille et chante dans l'obscurité caché sous le plus épais couvert, il soupire ses noc• turnes complaintes.

« Ainsi avec l'année reviennent les saisons; mais le jour ne revient pas pour moi, ni ne reviennent la douce approche du matin « ou du soir, la vue de la fleur du printemps, de la rose de l'été, « des troupeaux et de la face divine de l'homme. Des nuages et des té• nèbres qui durent toujours m'environnent. Les chemins agréables

des hommes me sont coupés; le livre du beau savoir ne me présente • qu'un blanc universel où les ouvrages de la nature sont pour moi « effacés et rayés. La sagesse à son entrée m'est entièrement fermée! <<< Brille donc davantage intérieurement, ô céleste lumière ! que toutes les facultés de mon esprit soient pénétrées de tes rayons; « mets des yeux à mon âme, écarte et disperse tous les brouillards, afin que je puisse voir et dire les choses invisibles à l'œil des « mortels. »

Ailleurs, non moins pathétique, il s'écrie :

« Ah! si j'obtenais de ma céleste patronne un style qui répondît à • ma pensée! Elle daigne me visiter la nuit sans que je l'implore... « Il me reste à chanter un sujet plus élevé; il suffira pour immor << taliser mon nom, si je ne suis venu un siècle trop tard, si la froideur du climat ou des ans n'engourdit mes ailes humiliées. » Quelle hauteur d'intelligence ne faut-il pas à Milton pour soutenir ce tête-à-tête avec Dieu et les prodigieux personnages qu'il a créés! Il n'a jamais existé un génie plus sérieux et en même temps plus

tendre que celui de cet homme. « Milton, dit Hume, pauvre, vieux, « aveugle dans la disgrâce, environné de périls, écrivit le poëme merveilleux qui non-seulement surpasse tous les ouvrages de ses a contemporains, mais encore tous ceux qu'il écrivit lui-même dans sa jeunesse et au temps de sa plus haute prospérité. » On sent en effet dans ce poëme, à travers la passion des légères années, la maturité de l'âge et la gravité du malheur : ce qui donne au Paradis perdu un charme extraordinaire de vieillesse et de jeunesse, d'inquiétude et de paix, de tristesse et de joie, de raison et d'amour.

LITTÉRATURE

SOUS LES DEUX DERNIERS STUARTS.

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HOMMES ET CHOSES DE LA RÉVOLUTION ANGLAISE ET DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE COMPARÉS.

En quittant Milton, si nous passions sans transition aux écrivains sous les deux derniers Stuarts, nous trébucherions de plus haut que les anges du Paradis perdu, qui tombèrent du ciel dans l'abîme. Mais il nous reste à jeter un regard sur la révolution d'où sortit le poète, et à la comparer à notre révolution : en nous entretenant encore du siècle de Milton, nous parviendrons à descendre ainsi d'un mouvement insensible jusqu'au niveau des règnes de Charles et de Jacques. On a de la peine à se détacher de ces temps de 1649; ils eurent de curieuses affinités avec les nôtres : nous allons voir, par le parallèle des choses et des hommes, que nos jours révolutionnaires conservent sur les jours révolutionnaires de la république et du protectorat anglais, une incontestable, mais souvent malheureuse supériorité.

La révolution française a été vaincue dans les lettres par la révolution anglaise la république, l'empire, la restauration, n'ont rien à opposer au chantre du Paradis perdu; sous les autres rapports, excepté sous le rapport moral et religieux, notre révolution a laissé loin derrière elle la révolution de nos voisins.

Quand la révolution de 1649 s'accomplit, les communications entre les peuples n'étaient point arrivées au point où elles le sont aujourd'hui; les idées et les événements d'une nation n'étaient pas rendus communs à toute la terre par la multiplicité des chemins, la rapidité des courriers, l'extension du commerce et de l'industrie, les publications de la presse périodique. La révolution de la GrandeBretagne ne mit point l'Europe en feu renfermée dans une île, elle ne porta point ses armes et ses principes aux extrémités de l'Europe; elle ne prêcha point la liberté et les droits de l'homme, le cimeterre à la main, comme Mahomet prêcha le Coran et le despotisme; elle ne fut ni obligée de repousser au dehors une invasion, ni de se défendre au dedans contre un système de terreur : l'état religieux et social n'était pas tel qu'aujourd'hui.

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Aussi les personnages de cette révolution n'atteignirent point la

hauteur des personnages de la révolution française, mesurée sur une bien plus grande échelle, et menée par une nation bien plus liée au destin général du monde. Est-ce Hampden ou Ludlow que l'on pourrait comparer à Mirabeau? supérieurs en morale, ils lui étaient fort inférieurs en génie '.

« Mêlé par les désordres et les hasards de sa vie aux plus grands événements et à l'existence des repris de justice, des ravisseurs et des aventuriers, Mirabeau, tribun de l'aristocratie, député de la démocratie, avait du Gracchus et du Don Juan, du Catilina et du Gusman d'Alfarache, du cardinal de Richelieu et du cardinal de Retz, du roué de la régence et du Sauvage de la révolution; il avait dé plus du Mirabeau, famille florentine exilée, qui gardait quelque chose de ces palais armés et de ces grands factieux célébrés par Dante; famille naturalisée française, où l'esprit républicain du moyen âge de l'Italie et l'esprit féodal de notre moyen àge, se trouvaient réunis dans une succession d'hommes extraordinaires,

<< La laideur de Mirabeau, appliquée sur le fond de beauté particulière à sa race, produisait une sorte de puissante figure du Jugement dernier de Michel-Ange, compatriote des Arrighetti. Les sillons creusés par la petite vérole sur le visage de l'orateur, avaient plutôt l'air d'escarres laissées par la flamme. La nature semblait avoir moulé sa tête pour l'empire ou pour le gibet, taillé ses bras pour étreindre une nation ou pour enlever une femme. Quand il seCouait sa crinière en regardant le peuple, il l'arrêtait; quand il levait sa palte et montrait ses ongles, la plèbe courait furieuse. Au milieu de l'effroyable désordre d'une séance, je l'ai vu à la tribune, sombre, laid et immobile; il rappelait le chaos de Milton, impassible et sans forme au centre de sa confusion.

« Deux fois j'ai rencontré Mirabeau à un banquet: une fois chez la nièce de Voltaire, madame la marquise de Villette; une autre fois au Palais-Royal, avec des députés de l'opposition que Chapelier m'avait fait connaître. Chapelier est allé à l'échafaud dans le même tombereau que mon frère et M. de Malesherbes.

« En sortant de notre dîner on discutait des ennemis de Mirabeau : jeune homme timide et inconnu, je me trouvais à côté de lui et n'avais pas prononcé un mot. Il me regarda en face avec ses yeux de vice et de génie, et m'appliquant sa main épatée sur l'épaule, il me dit: «Ils ne me pardonneront jamais ma supériorité!» Je sens encore l'impression de cette main, comme si Satan m'eût touché de sa griffe de feu 2.

Trop tôt pour lui, trop tard pour elle, Mirabeau se vendit à la cour, et la cour l'acheta. Il risqua l'enjeu de sa renommée devant

Jasques et y compris le parallèle de Buonaparte et de Cromwell, tout ce qui suit est extrait, mais fort en abrégé, de mes Mémoires. Le commencement de chaque paragraphe est guillemeté.

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Mirabeau se vantait d'avoir la main très belle : je ne m'y oppose pas; mais j'étais fort maigre et il était fort gros, et sa main me couvrait toute l'épaule.

une pension et une ambassade: Cromwell fut au moment de troquer son avenir contre un titre et l'ordre de la Jarretière. Malgré sa superbe, il ne s'évaluait pas assez haut: depuis, l'abondance du numéraire et des places a élevé le prix des consciences.

« La tombe délia Mirabeau de ses promesses et le mit à l'abri des périls que vraisemblablement il n'aurait pu vaincre sa vie eût montré sa faiblesse dans le bien; sa mort l'a laissé en puissance de sa force dans le mal. »

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CLUBS.

Il y eut des factieux et des partis en Angleterre, mais qu'est-ce que les meetings des saints, des puritains, des niveleurs, des agitateurs, auprès des clubs de notre révolution? J'ai dit ailleurs (Génie du Christianisme) que Milton avait placé dans son enfer une image des perversités dont il avait été le témoin : qu'eût-il peint s'il avait vu ce que je vis à Paris dans l'été de 1792, lorsque, revenant d'Amérique, je traversais la France pour aller à mes destinées?

La fuite du roi, du 21 juin 1791', fit faire à la révolution un pas immense. Ramené à Paris le 25 du même mois, il avait été détrôné une première fois, puisque l'assemblée nationale déclara que les décrets auraient force de loi, sans qu'il fût besoin de la sanction ou de l'acceptation royale. Une haute cour de justice, devançant le tribunal révolutionnaire, était établie à Orléans. Dès cette époque, madame Roland demandait la tête de la reine, en attendant que la révolution lui demandât la sienne. L'attroupement du Champ-deMars avait eu lieu contre le décret qui suspendait le roi de ses fonctions, au lieu de le mettre en jugement. L'acceptation de la constitution, le 14 septembre, ne calma rien. Le décret du 29 septembre, pour le règlement des sociétés populaires, ne servit qu'à les rendre plus violentes: ce fut le dernier acte de l'assemblée constituante; elle se sépara le lendemain, et laissa à la France une révolution éternelle.

« L'assemblée législative, installée le 1er octobre 1791, roula dans le tourbillon qui allait balayer les vivants et les morts. Des troubles ensanglantèrent les départements: à Caen, on se rassasia de massacres et l'on mangea le cœur de M. de Belzunce. Le roi opposa son veto au décret contre les émigrés, et cet acte légal augmenta l'agitation. Pétion était devenu maire de Paris. Les députés décrétèrent d'accusation, le 1er janvier 1792, les princes émigrés : le 2, ils fixèrent à ce 1er janvier le commencement de l'an quatrième de la liberté. Vers le 13 de février, les bonnets rouges se montrèrent dans les rues de Paris, et la municipalité fit fabriquer des piques. Le manifeste des émigrés parut le 1er mars. L'Autriche armait. Le traité de Pilnitz et la convention entre l'empereur et le roi de Prusse étaient connus. Paris était divisé en sections plus ou moins hos

Mes Mémoires.

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