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« rossignol répétait ses plaintes amoureuses, et le silence était ravi. » Cinq ou six vers, hors de tous les lieux communs, lui suffisent pour offrir le spectacle religieux du matin. « La lumière sacrée commença de poindre dans l'orient parmi les fleurs humides; elles exhalaient leur encens matinal, alors que tout ce qui respire sur le grand autel de la terre élève vers le Créateur des ⚫ louanges silencieuses et une odeur qui lui est agréable. » On croit lire un verset des psaumes: Jubilate Deo omnis terra; Benedic anima mea Domino.

Enfin, si le poète montre quelquefois de la fatigue, si la lyre échappe à sa main lassée, il repose et je me repose avec lui: je ne voudrais pas que les beaux endroits du Cid et des Horaces fussent joints ensemble par des harmonies élégantes et travaillées; les simplicités de Corneille sont un passage à ses grandeurs qui me charme

encore.

PLAN DU PARADIS PERDU.

Que dirai-je du Paradis perdu qui n'ait déjà été dit? Mille fois on en a cité les traits sublimes, les discours, les combats, la chute des anges, et cet enfer qui eût fui épouvanté si Dieu n'en avait creusé sz profondément l'abîme. J'insisterai donc principalement sur la composition générale de l'ouvrage, pour faire remarquer l'art avec lequel le tout est conduit.

Satan s'est réveillé au milieu du lac de feu (et quel réveil!). Il rassemble le conseil des légions punies; il rappelle à ses compagnons de malheur et de désobéissance, un ancien oracle qui annonçait la naissance d'un monde nouveau, la création d'une nouvelle race formée à dessein de remplir le vide laissé par les anges tombés : chose formidable! c'est dans l'enfer que l'on entend prononcer pour la première fois le nom de l'HOMME.

Satan propose d'aller à la recherche de ce monde inconnu, de le détruire ou de le corrompre. Il part, explore l'enfer, rencontre le Péché et la Mort, se fait ouvrir les portes de l'abîme, traverse le chaos, découvre la création, descend au soleil, arrive sur la terre, voit nos premiers parents dans Eden, est touché de leur beauté et dé leur innocence, et donne, par ses remords et son attendrissement, une idée ineffable de leur nature et de leur bonheur. Dieu aperçoit Satan du haut du ciel, prédit la faiblesse de l'homme, annonce sa perte totale, à moins que quelqu'un ne se présente pour être sa caution et mourir pour lui: les anges restent muets d'épouvante. Dans le silence du ciel, le FILS seul prend la parole et s'offre en sacrifice. La victime est acceptée, et l'homme est racheté avant même d'être tombé.

Le Tout-Puissant envoie Raphaël prévenir nos premiers pères de l'arrivée et des projets de leur ennemi. Le messager céleste fait à Adam le récit de la révolte des anges, arrivée au moment où le PÈRE

annonça du haut de la montagne sainte qu'il avait engendré son FILS, et qu'il lui remettait tout pouvoir. L'orgueil et la jalousie de Satan, excités par cette déclaration, l'entraînent au combat: vaincu avec ses légions, il est précipité dans l'enfer. Milton n'avait aucunes données; pour trouver le motif de la révolte de Satan, il a fallu qu'il tirat tout de son génie. Ainsi, avec l'art d'un grand maître, il fait connaître ce qui a précédé l'ouverture du poëme. Raphaël raconte encore à Adam l'œuvre des six jours. Adam raconte à son tour à Raphael sa propre création. L'ange retourne au ciel. Ève se laisse séduire, goûte au fruit, et entraîne Adam dans sa chute.

Au dixième livre, tous les personnages reparaissent; ils viennent subir leur sort. Au onzième et au douzième livres, Adam voit la suite de sa faute et tout ce qui arrivera jusqu'à l'incarnation du Christ le FILS doit, en s'immolant, racheter l'homme. Le FILS est un des personnages du poëme au moyen d'une vision, il reste seul et le dernier sur la scène, afin d'accomplir dans le monologue de la croix l'action définitive: consummatum est.

Voilà l'ouvrage en sa simplicité. Les faits et les récits naissent les uns des autres; on parcourt l'enfer, le chaos, le ciel, la terre, l'éternité, le temps, au milieu des blasphèmes et des cantiques, des supplices et des joies; on se promène dans ces immensités tout naturellement, sans s'en apercevoir, sans ressentir aucun mouvement, sans se douter des efforts qu'il a fallu pour vous porter si haut sur des ailes d'aigle, pour créer un pareil univers.

je

Cette observation touchant la dernière apparition du FILS montre, contre l'opinion de certains critiques, que Milton aurait eu tort de retrancher les deux derniers livres. Ces livres, que l'on regarde, ne sais pourquoi, comme les plus faibles du poëme, sont, selon moi, tout aussi beaux que les autres; ils ont même un intérêt humain qui manque aux premiers. Du plus grand des poètes qu'il était, l'auteur devient le plus grand historien, sans cesser d'ètre poète. Michel annonce à nos premiers pères qu'il faut sortir du paradis. Ève pleure; elle se désole de quitter ses fleurs : « O fleurs, dit-elle, « qui toutes avez reçu de moi vos noms.» Trait charmant, qu'on a cru d'un dernier poète germanique, et qui n'est qu'une de ces beautés dont les ouvrages de Milton fourmillent. Adam se plaint aussi, mais c'est d'abandonner les lieux que Dieu avait daigné honorer de sa présence : « J'aurais pu dire à mes enfants : « Sur cette « montagne il m'apparut; sous cet arbre il se rendit visible à mes « yeux; entre ces pins j'entendis sa voix; au bord de cette fontaine « je m'entretins avec lui. »

Cette idée de Dieu, dont l'homme est dominé dans le Paradis perdu, est d'une sublimité extraordinaire. Ève, en naissant à la vie, n'est occupée que de sa beauté et ne voit Dieu qu'à travers l'homme; Adam, aussitôt qu'il est créé, devinant qu'il n'a pas pu se créer seul, cherche et appelle aussitôt son créateur.

Eve demeure endormie au pied de la montagne : Michel, au

sommet de la même montagne, montre à Adam, dans une vision, toute sa race. Alors se déroule la Bible. D'abord vient l'histoire de Caïn et d'Abel : « O maître, s'écrie Adam à l'ange, en voyant « tomber Abel, est-ce là la mort? est-ce par ce chemin que je dois re« tourner à ma poussière natale?» Remarquons que dans l'Écriture il n'est plus question d'Adam après sa chute; un grand silence s'étend entre son péché et sa mort: pendant neuf cent trente années, il semble que le genre humain, sa postérité malheureuse, n'a osé parler de lui; saint Paul même ne le nomme pas parmi les saints qui ont vécu de la foi; l'apôtre n'en commence la liste qu'à Abel. Adam passe pour le chef des morts, parce que tous les hommes sont morts en lui; et néanmoins, durant neuf siècles, il vit défiler ses fils vers la tombe dont il était l'inventeur, et qu'il leur avait ouverte.

Après le meurtre d'Abel, l'ange montre à Adam un hôpital et les différentes espèces de mort; tableau plein de vigueur à la manière du Tintoret. « Adam pleure à cette vue, dit le poète, quoiqu'il ne « fût pas né d'une femme. » Réflexion pathétique inspirée au poète par ee passage de Job: « L'homme né de la femme ne vit que peu « de temps, et il est rempli de beaucoup de misères. »

L'histoire des géants de la montagne, que séduisent les femmes de la plaine, est merveilleusement contée. Le déluge offre une vaste scène. Dans ce x1 livre, Milton imite Dante par ses formes d'interpellations du dialogue: MAITRE! Dante aurait invité Milton, comme un frère, à entrer avec lui dans le groupe des grands poètes.

Au xи livre, ce n'est plus une vision, c'est un récit. La tour de Babel, la vocation d'Abraham, la venue du Christ, son incarnation, sa résurrection, sont remplies de beautés de tous les genres. Le livre se termine par le bannissement d'Adam et d'Eve, et par les vers si tristes que tout le monde sait par cœur.

Dans ces deux derniers livres la mélancolie du poète s'est augmentée; il paraît sentir davantage le poids du malheur et des ans. Il met dans la bouche de Michel ces paroles :

« Tu jouiras de la vie; et, pareil à un fruit parvenu à sa maturité, « tu retomberas dans le sein de la terre d'où tu es sorti. Tu seras, « non pas durement arraché, mais doucement cueilli par la mort, quand tu seras parvenu à cette maturité qui s'appelle vieillesse. Mais alors il te faudra survivre à ta jeunesse, à ta force, « à ta beauté qui se changera en laideur, en faiblesse, en maia greur. Tes sens émoussés auront perdu ces goûts et ces douceurs ⚫ qui les flattent maintenant, et au lieu de cet air de jeunesse, de a gaieté, de vivacité qui t'anime, régnera dans ton sang desséché << une froide et stérile mélancolie, qui appesantira tes esprits et « consumera enfin le baume de ta vie. »

Un commentateur, à propos du génie de Milton, dans ces derniers livres du Paradis perdu, dit : « C'est le même océan, mais

⚫ dans le temps du reflux; le même soleil, mais au moment où il • finit sa carrière. »

Soit. La mer me paraît plus belle lorsqu'elle me permet d'errer sur ses grèves abandonnées, et qu'elle se retire à l'horizon avec le soleil couchant,

CARACTÈRES DES PERSONNAGES DU PARADIS PERDU.
ADAM ET ÈVE.

Milton a placé dans le premier homme et la première femme le type original de leurs fils et de leurs filles sur la terre.

Dans leurs regards divins brillait l'image de leur glorieux au«<teur, avec la vérité, la sagesse, la sainteté sévère et pure; sé« vère, mais placée dans cette véritable liberté filiale d'où vient la « véritable autorité dans les hommes. Ils ne sont pas égaux, comme « leur sexe n'est pas semblable: LUI, formé pour la contemplation « et le courage; ELLE, pour la mollesse et la douce grâce séduiasante; LUI, pour Dieu seulement; ELLE, pour Dieu en LUI. Le « beau large front de l'homme et son œil sublime déclaraicnt sa su« prême puissance; ses cheveux d'hyacinthe, partagés autour de « son front, pendent en grappe d'une manière måle, mais non au« dessous de ses larges épaules. La femme porte comme un voile « sa chevelure d'or qui descend éparse et sans ornement jusqu'à sa ceinture déliée ses tresses roulent en capricieux anneaux, « comme la vigne replie ses attaches; ce qui implique la dépendance, mais une dépendance demandée avec un doux empire; « par la femme accordée, par l'homme mieux reçue; accordée avec << une soumission modeste, un décent orgueil, une tendre résis«tance; amoureux délai !....

<< Ainsi ils passaient nus; ils n'évitaient ni la vue de Dieu, ni celle « de l'ange, car ils ne songeaient point au mal; ainsi en se tenant par la main, passait le plus charmant couple qui s'unît jamais de« puis dans les embrassements de l'amour, Adam le plus beau des hommes qui furent ses fils, Eve la plus belle des femmes qui naquirent ses filles. » (Paradis perdu, liv. IV.)

Adam, simple et sublime, instruit du ciel, et tirant son expérience de Dieu, n'a qu'une faiblesse, et l'on voit que cette faiblesse le perdra après avoir raconté sa propre création à Raphaël, ses conversations avec Dieu sur la solitude, il peint ses transports à la première vue de sa compagne.

<«< Il me sembla voir, quoique endormi, le lieu où j'étais et la figure glorieuse devant laquelle je m'étais tenu éveillé. En se bais<< sant elle m'ouvrit le côté gauche, y prit une côte chaude des es« prits du cœur, et ruisselant du sang nouveau de la vie. Large était la blessure, mais soudain remplie de chair et guérie. Il pé<< trit et modela cette côte avec ses mains: sous ses mains se forma

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«

⚫ une créature semblable à l'homme, mais d'un sexe différent. Elle « était si agréablement belle, que tout ce qui avait paru beau dans « le monde ne parut plus rien maintenant, ou sembla confondu en « elle, réuni en elle et dans ses regards qui depuis ce temps ont ré« pandu dans mon cœur une douceur non auparavant' éprouvée. « Sa présence inspira à toutes choses l'esprit d'amour et les amou« reuses délices. Cette créature disparut et me laissa sombre : je « m'éveillai pour la trouver ou pour déplorer à jamais sa perte, et abjurer tous les autres plaisirs. Lorsque j'étais hors de tout espoir, la voici non loin, telle que je la vis dans mon songe, ornée « de tout ce que le ciel et la terre pouvaient prodiguer pour la rendre « aimable. Elle s'avança conduite par son divin Créateur (quoique invisible). Elle n'était pas ignorante de la nuptiale sainteté et des «rites du mariage; la gràce était dans tous ses pas, le ciel, dans ses « yeux; dans chacun de ses mouvements, la dignité et l'amour. Moi, « transporté de joie, je ne pus m'empêcher de m'écrier à voix haute: « Tu as rempli ta promesse, Créateur bon et doux, donateur de a toutes choses belles! mais celui-ci est le plus beau de tes présents, et tu n'y as rien épargné! Je vois maintenant l'os de mes os, la • chair de ma chair, moi-même devant moi.

«

« Elle m'entendit; et quoiqu'elle fût divinement amenée, son • innocence, sa modestie virginale, sa vertu, la conscience de son prix.... pour tout dire enfin, la nature elle-même, toute pure « qu'elle était de pensée pécheresse, produisit dans Évé un tel effet, « qu'en me voyant elle se détourna. Je la suivis ; elle connut ce que « c'était que l'honneur, et avec une soumission majestueuse, il lui

plut d'agréer mes raisons. Je la conduisis au berceau nuptial, « rougissant comme le matin. Tous les cieux et les étoiles fortu« nées versèrent sur cette heure leur influence choisie. La terre et « chaque colline donnèrent un signe de congratulation; les oiseaux « furent joyeux; les fraîches brises, les vents légers murmurèrent dans « les bois; en se jouant, leurs ailes nous jetèrent des roses, nous « jetèrent les parfums du buisson embaumé, jusqu'à ce que l'a«moureux oiseau de la nuit chanta les noces et ordonna à l'étoile « du soir de se hàter sur le sommet de sa colline, pour allumer la lampe nuptiale. >>

<< Ainsi je t'ai raconté ma condition, et j'ai amené mon histoire « jusqu'au comble de la félicité terrestre dont jejouis. Je dois avouer « que dans toutes les autres choses je trouve à la vérité du bonheur, « mais soit que j'en use ou non, il ne produit dans mon esprit ni changement, ni véhéments désirs..... Mais ici tout autre

ment: transporté je vois, transporté je touche! Ici pour la première • fois j'ai senti la passion, commotion étrange! Supérieur et calme ◄ dans toute autre joie, ici faible contre le charme d'un regard puis«sant de la beauté. Ou la nature a failli en moi et m'a laissé quelque • partie non à l'épreuve d'un pareil objet; ou, soustraite de mon côté, on m'a peut-être pris trop de vie, du moins on a prodigué

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