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<< un eynique, ni mignard et délicat comme une épousée; mais mangez d'une façon franche, virile et honnête.

Soyez pareillement modéré en votre dormir... ne vous arrêtez point aux songes ni aux présages... Votre habillement doit être « modeste, non superflu comme d'un débauché, non chétif et mécanique comme d'un faquin, non trop curieusement enrichi et « façonné comme d'un galant de cour, ni d'une façon grossière et • rustique comme celui d'un manant, non bigarré comme d'un ⚫ gendarme éventé ou d'un mignon frisé, ni trop grave et simple comme d'un homme d'Église... En temps de guerre, que votre « vêtement soit plus grave et votre contenance plus gaillarde et relevée. Toutefois que ce soit sans porter vos cheveux longs ou laisser croître vos ongles, qui ne sont qu'excrément de nature. » Quant aux jeux et aux exercices, Jacques veut que son fils y mette du choix; il recommande le courir, le sauter, le tirer des armes, le tirer de l'arc, le jouer à la paume. « Exercez-vous, mon fils, à « dompter les grands chevaux, et qui ont le plus de fougue, afin « que je puisse dire de vous ce que Philippe disait de son fils • Alexandre: « La Macédoine est trop peu de chose pour lui. »

Jacques permet aussi la chasse, mais la chasse aux chiens courants, qu'il trouve plus noble et plus propre à un prince. Au reste, il renvoie sur ce point son fils à Xénophon, « auteur ancien et re« nommé, lequel n'a eu dessein, dit-il, de flatter ni vous ni moi.

Quant au langage, mon fils, soyez franc en votre parler, naïf, net, court et sentencieux, évitant ces deux extrémités, ou de « termes grossiers et rustiques, ou de mots trop recherchés qui « ressentent l'écritoire... Si votre esprit vous porte à composer en vers ou en prose, c'est chose que je ne veux blâmer. N'entre« prenez point de trop long ouvrage; que cela ne vous divertisse • de votre charge.

« Pour écrire dignement, il faut élire un sujet digne de vous, plein de vertu et non de vanité, vous rendant toujours clair et « intelligible le plus que vous pourrez. Et si ce sont vers, souvenez« vous que ce n'est la partie principale de la poésie de bien rimer « et couler doucement avec mots bien propres et bien choisis « mais plutôt, lorsqu'elle sera tournée en prose, d'y faire voir une • riche invention des fleurs poétiques et des comparaisons belles et judicieuses, afin que la prose même retienne le lustre et la grâce « du poëme. Je vous avise aussi d'écrire en votre langue propre; <«< car il ne nous reste quasi rien à dire en grec et en latin, et prou « de petits écoliers vous surpasseront en ces deux langues. Joint « qu'il est plus séant à un roi d'orner et enrichir sa langue propre, << en laquelle il peut et doit devancer tous ses sujets, comme pareille«ment en toutes autres choses honnêtes et recommandables.»

Ces derniers conseils sont curieux : ce roi auteur qui s'exprimait avec tant d'emphase devant ses parlements, montre ici du goût et de la mesure. Son ouvrage finit par une grande vue: Jacques croit

que tôt ou tard la réunion de l'Écosse et de l'Angleterre produira un puissant empire.

Je me suis étendu sur le traité du Don royal, presque ignoré aujourd'hui; on ne le connaît guère que par un de ces jugements composés à l'usage de ceux qui ne lisent rien, par ceux qui n'ont point lu. Voltaire feuilletait tout, sans se donner le temps d'étudier; il a jeté dans le monde une foule de ces opinions de prime-abord, qu'adoptent l'ignorance et la paresse; si quelquefois l'auteur de l'Essai sur les mœurs rencontre juste, c'est qu'il devine. Ainsi de siècle en siècle, des choses d'une fausseté évidente sont crues et répétées comme articles de foi; elles acquièrent par le temps une sorte de vérité et d'authenticité de mensonge que rien ne saurait détruire. Heari, ce nom me fait mal à écrire; Henri, à qui le Basilicon Doron est adressé, mourut à l'âge dix-huit ans. S'il eût vécu Charles Ier n'eût pas régné; les révolutions de 1649 et de 4688 n'auraient pas eu lieu; notre révolution n'aurait pas eu les mêmes conséquences: sans l'antécédent du jugement de Charles Ier, l'idée ne serait venue à personne, en France, de conduire Louis XVI à l'échafaud; le monde était changé.

Ces réflexions, qui se présentent à l'occasion de toutes les catastrophes historiques, sont vaines: il y a toujours un moment dans les annales des peuples où, si telle chose n'était pas advenue, si tel homme n'était pas mort ou était mort, si telle mesure avait été prise si telle faute n'avait été faite, rien de ce qui est arrivé ne serait arrivé. Mais Dieu veut que les hommes naissent avec le caractère propre à l'événement qu'ils doivent amener: Louis XVI a cent fois pu se sauver; il ne s'est pas sauvé, tout simplement parce qu'il était Louis XVI. Il est donc puéril de se lamenter sur des accidents qui produisent ce qu'ils sont destinés à produire : à chaque pas dans la vie, mille lointains divers, mille futuritions s'ouvrent devant nous; cependant vous n'atteignez qu'un horizon, vous ne courez qu'à un avenir.

RALEIGH. COWLEY.

Jacques Ier tua le fameux Walter Raleigh: l'Histoire universelle est encore lue à cause de sir Walter lui-même s'il y a des livres qui font vivre le nom de leurs auteurs, il y a des auteurs dont le nom fait vivre leurs livres.

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Cowley, dans l'ordre des poètes, arrive immédiatement après Shakespeare, bien qu'il fût né plus tard que Milton: royaliste d'opi nion, il travailla pour le théâtre, et composa des poëmes, des sa tires et des élégies. Il abonde en traits d'esprit; sa versification manque, dit-on, d'harmonie; son style, souvent recherché, est cependant plus naturel et plus correct que celui de ses prédécesseurs. Cowley nous attaque: depuis Surrey jusqu'à lord Byron, il n'y a eu peut-être pas un écrivain anglais qui n'insulte le nom, le carac

tère et le génie français. Nous, avec une impartialité et une abnégation admirables, nous acceptons l'outrage: confessant humblement notre infériorité, nous célébrons à son de trompe l'excellence de tous les auteurs d'outre-mer nés ou à naître, petits ou grands, måles ou femelles.

Dans son poëme de la guerre civile, Cowley s'écrie:

It was not so, when Edward prov'd his cause,
By a sword stronger than the salique laws,

; when the French did fight,

With women's hearts, against the women's right.

« Il n'en était pas ainsi quand Édouard soutenait sa cause par « une épée plus forte que la loi salique, alors que les Français combattaient avec des cœurs de femmes contre le droit des femmes. » Le roi Jean, Charny, Ribeaumont, Beaumanoir, les trente Bretons, Duguesclin, Clisson, et cent mille autres, avaient des cœurs de femmes.

De tous les hommes qui ont illustré la Grande-Bretagne, celui qui m'attire le plus est lord Falkland : j'ai souhaité cent fois avoir été ce modèle accompli de lumières, de générosité, d'indépendance; de n'avoir jamais paru sur la terre dans ma propre forme et sous mon nom. Doué du triple génie des lettres, des armes et de la politique; fidèle aux Muses sous la tente, à la liberté dans les palais; dévoué à un monarque infortuné, sans méconnaître les fautes de ce monarque Falkland a laissé un souvenir mêlé de mélancolie et d'admiration. Les vers que Cowley lui adresse au retour d'une expédition militaire sont nobles et vrais le poète commence par énumérer les vertus et les talents de son héros; puis il ajoute :

Such is the man vhom we require the same
We lent the north; untouch'd, as is his fame.
He is too good for war, and ought to be
As far from danger, as from fear he's free.
Those men alone.

Whose valour is the only art they know,

Were for sad war and bloody battles born;
Let them the state defend, and he adorn.

• Voilà l'homme que nous demandons aux Écossais, tel que nous le leur avons prêté, exempt de blessures comme sa gloire. Trop bon pour la guerre, il doit être tenu aussi loin du danger qu'il est de la crainte. Les guerriers dont la valeur est le seul art... sont nés pour la triste guerre et les batailles sanglantes: qu'ils défendent l'État et que Falkland l'embellisse. »>

Inutiles vœux ! la vie au milieu des malheurs de son pays devint à charge à l'ami des Muses. Sa tristesse se laissait remarquer jusque dans la négligence de ses vêtements. Le matin de la première bataille de Naseby, on devina son dessein de mourir au changement

de ses habits; il se para comme pour un jour de fête; il demanda du linge blanc: « Je ne veux pas, dit-il en souriant, que mon corps << soit trouvé dans du linge sale je prévois de grands malheurs,

mais j'en serai dehors avant la fin de la journée. » Il se mit au premier rang du régiment de lord Byron une balle de la liberté qu'il aimait l'affranchit des serments de l'honneur dont il était l'esclave.

Il reste quelques discours et quelques vers de Falkland: secrétaire d'État de Charles Ier, il rédigeait avec Clarendon les proclamations royales. Il aida Chilling Worth dans son Histoire du Protestantisme.

La Bible, traduite en partie sous Henri VIII, fut retraduite sous Jacques II par les quarante-sept savants : cette dernière traduction est un chef-d'oeuvre. Les auteurs de cet immense ouvrage firent pour la langue anglaise ce que Luther fit pour la langue allemande, ce que les écrivains, sous Louis XIII, firent pour la langue française ils la fixèrent.

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ÉCRITS POLITIQUES SOUS CHARLES I' ET CROMWELL.

Chercher les lettres dans les temps d'orage, c'est demander un abri à ces vallées paisibles que les poètes placent au bord de la mer; mais si l'on n'est mené par quelque génie heureux dans ces retraites, d'autres esprits vous poussent au milieu de la tempête et des flots. La politique monte sur le trépied et se transforme en sibylle, les pamphlets, les libelles, les vers satiriques abondent, s'imprègnent de haines et sont écrits avec le sang des factions. Les guerres civiles d'Angleterre firent pulluler des productions déplorables.

Un de ces fanatiques, que Butler a livrés au ridicule, s'écrie: « An aların to all flesh, etc.

« Howle, howle, shriek, bawl and roar, ye lustfull, cursing, « swearing, drunken, lewd, superstitions, devilish, sensual, earthly inhabitants of the whole earth; bow, bow you most surly << trees and lofty oaks; ye tall cedars and low shrubs, cry out aloud; « hear, hear ye, proud waves, and boistrous seas; also listen, ye << uncircumcised, stiff-necked, and mad-raging bubbles, who even << hate to be reformed. »

<< Alarme à toute chair, etc.

« Hurlez, hurlez, criez, beuglez, rugissez, ô vous, libidineux, maudits, jureurs, ivrognes, impurs, superstitieux, diaboliques, « sensuels, habitants terrestres de la terre. Courbez-vous, courbez« vous, à vous, arbres très dédaigneux; et vous, chênes élevés, « vous, hauts cèdres et petits buissons, criez de toutes vos forces; « écoutez, écoutez, vagues orgueilleuses, et vous, mers indomp<tables, écoutez aussi, vous, incirconcis, écume roide, nue et enragée, qui haïssez la réforme. »

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dear friend; a member joyntly knit To all in Christ, in heavenly places sit;

And there, to friends no stranger would I be,

For truly, friend, I dearly love and own
All travelling souls, who truly sigh and groan
For the adoption which sets free from sin, etc.

• Cher ami Jésus-Christ, je te salue avec un amour sans ré

« serve.

« Cher ami, moi membre conjointement uni à tous en Christ, qui « est assis aux lieux célestes. Là, je ne serais point étranger parmi les amis; j'aime tendrement, et je l'avoue, les âmes voyageuses qui soupirent et gémissent véritablement pour l'adoption qui ra« chète les péchés.

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Cromwell ne s'élevait guère au-dessus de cette éloquence; on peut en juger par ses discours obscurs et ses lettres diffuses. Sa poésie était dans les faits et dans son épée : il fut poète quand il regarda Charles Ier dans son cercueil. Sa muse était cette femme qui, à son dire, lui était apparue dans son enfance et lui avait annoncé la royauté.

L'ABBÉ DE LAMENNAIS.

La révolution française a produit aussi des écrivains qui ont vu la liberté dans la religion; mais ici notre supériorité est manifeste. C'est dans les champs de la Croix que l'abbé de Lamennais a recueilli cet intérêt si tendre pour la nature humaine, pour les classes laborieuses, pauvres et souffrantes de la société; c'est en errant avec le Christ sur les chemins, en voyant les petits rassemblés aux pieds du Sauveur du monde, qu'il a retrouvé la poésie de l'Évangile. Ne dirait-on pas que ce tableau est une parabole détachée du sermon de la Montagne?

« C'était une nuit d'hiver. Le vent soufflait dehors, et la neige a blanchissait les toits.

« Sous un de ces toits, dans une chambre étroite, étaient assises, travaillant de leurs mains, une femme à cheveux blancs et une jeune fille.

« Et de temps en temps la vieille femme réchauffait à un petit abrasier ses mains pâles. Une lampe d'argile éclairait cette pauvre < demeure, et un rayon de la lampe venait expirer sur une image de «la Vierge, suspendue au mur.

« Et la jeune fille levant les yeux regarda en silence, pendant quelques moments, la femme à cheveux blancs; puis elle lui

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