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Il n'a point d'enfants!

MACDUFF.

Ce dialogue rappelle celui de Flavian et de Curiace dans Corneille. Flavian vient annoncer à l'amant de Camille qu'il a été choisi pour combattre les Horaces.

CURIACE.

Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix?

FLAVIAN.

Je viens pour vous l'apprendre.

CURIACE.

Eh bien! qui sont les trois?

FLAVIAN.

Vos deux frères et vous.

CURIACE.

Qui?

FLAVIAN.

Vous et vos deux frères.

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Les interrogations de Macduff et de Curiace sont des beautés du même ordre Mes enfants aussi? Femmes, enfants. - Et ma femme aussi? Je vous l'ai dit.-EH BIEN! QUI SONT LES TROIS? VOS DEUX FRÈRES ET VOUS. QUI? VOUS ET VOS DEUX FRÈRES. Mais le mot de Shakespeare: Il n'a point d'enfants! reste sans parallèle.

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Le même homme qui a tracé ce tableau, a soupiré la scène charmante de Roméo et Juliette. Roméo, condamné à l'exil, est surpris par le jour naissant chez Juliette, à laquelle il est marié secrètement:

Wilt thou be gone? It is not yet near day:

It was the nightingale, and not the lark
That pierced the fearful hollow of thine ear, etc.

JULIETTE.

Veux-tu déjà partir? le jour ne paraît point encore : c'était le rossignol, et non l'alouette, dont la voix a frappé ton oreille alarmée : il chante toute la nuit sur cet oranger lointain. Crois-moi, mon jeune époux, c'était le rossignol.

ROMÉO.

C'était l'alouette, qui annonce l'aurore, ce n'était pas le rossignol. Regarde, ô mon amour! regarde les traits de lumière qui pénètrent les nuages dans l'orient. Les flambeaux de la nuit s'éteignent, et le jour se lève sur le sommet vaporeux des montagnes. Il faut ou partir et vivie, ou rester et mourir.

JULIETTE.

La lumière que tu vois là-bas n'est pas celle du jour : c'est quelque météore qui te servira de flambeau, et t'éclairera sur la route de Mantoue. Reste encore; il n'est pas encore nécessaire que tu me quittes.

ROMÉO.

Eh bien! que je sois arrêté! que je sois conduit à la mort! si tu le désires, je suis satisfait. Je dirai: « Cette blancheur lointaine n'est

pas celle du matin; ce n'est que le pàle reflet de la lune; ce n'est « pas l'alouette dont les chants retentissent si haut au-dessus de nos « tètes, dans la voûte du ciel!» Ah! je crains moins de rester que de partir. Viens, ô mort! Mais que regardes-tu, ma bien-aimée! Parlons, parlons encore ensemble; il n'est pas encore jour!

JULIETTE.

Il est jour! il est jour! Fuis, pars, éloigne-toi! C'est l'alouette qui chante; je reconnais sa voix aiguë. Ah! dérobe-toi à la mort : la lumière croît de plus en plus.

Ce contraste des charmes du matin et des derniers plaisirs des deux jeunes époux avec la catastrophe qui va suivre est bien touchant le sentiment dramatique en est plus naïf encore que celui des pièces grecques, et moins pastoral que celui des tragi-comédies italiennes. Je ne connais qu'une scène indienne de quelque ressemblance lointaine avec la scène de Roméo et Juliette; encore n'est-ce que par la fraîcheur des images, la simplicité des regrets et des adieux, nullement par l'intérêt de la situation. Sacontala, prête à quitter le séjour paternel, se sent arrêtée par son voile.

SACONTALA.

Qui saisit ainsi les plis de mon voile?

UN VIEILLARD.

C'est le chevreau que tu as tant de fois nourri des grains du synmaka. Il ne veut pas quitter les pas de sa bienfaitrice.

SACONTALA.

Pourquoi pleures-tu, tendre chevreau? Je suis forcée d'abandon, ner notre commune demeure. Lorsque tu perdis ta mère, peu de temps après ta naissance, je te pris sous ma garde. Retourne à ta crèche, pauvre jeune chevreau; il faut à présent nous séparer.

La scène des adieux de Roméo et Juliette n'est point indiquée dans Bandello, elle appartient à Shakespeare. Bandello raconte en peu de mots la séparation des deux amants.

A la fine cominciando l'aurora a voler uscire si basciarono, estrettamente abbraciarono gli amanti, e pieni di lagrime e sospiri si dissero adio.

« Enfin l'aurore commençant à paraitre, les deux amants se bai sèrent, s'embrassèrent étroitement, et, pleins de larmes et de soupirs, ils se dirent adieu. »

SUITE DES CITATIONS.

FEMMES.

Rapprochez lady Macbeth et Marguerite de Desdémone, d'Ophé

lia, de Miranda, de Cordélia, de Jessica, de Perdita, d'Imogène, et vous serez émerveillés de la souplesse du talent du poète. Ces jeunes femmes ont une idéalité ravissante: le vieux roi Léar, aveugle, dit à sa fidèle Cordélia : « Quand tu me demanderas ma bénédiction, je « me mettrai à genoux et je te demanderai pardon; nous vivrons ainsi en priant et en chantant. »>

Ophélia, bizarrement parée de brins de paille et de fleurs, prenant son frère pour Hamlet qu'elle aime et qui a tué son père, lui adresse ces paroles: « Voilà du romarin; c'est pour la mémoire; « je vous en prie, cher amour, souvenez-vous de moi. . . . Je « vous donnerais bien des violettes, mais elles se sont toutes fa«nées quand mon père est mort. »

Dans Hamlet, dans cette tragédie des aliénés, dans ce Bedlam royal où tout le monde est insensé et criminel, où la démence simulée se joint à la démence vraie, où le fou contrefait le fou, où les morts eux-mêmes fournissent à la scène la tête d'un fou; dans cet odéon des ombres, où l'on ne voit que des spectres, où l'on n'entend que des rêveries, que le qui vive des sentinelles, que le criaillement des oiseaux de nuit et le bruit de la mer, Gertrude raconte qu'Ophélia s'est noyée : «Au bord du ruisseau croît un « saule qui réfléchit son feuillage gris dans le cristal de l'onde. «Elle fit avec ce feuillage de capricieuses guirlandes entrelacées de

coquelicots, d'orties, de marguerites et de ces longues fleurs « pourpres que nos simples bergers appellent d'un nom grossier, « mais que nos froides vierges nomment des doigts de mort. Là, « grimpant pour attacher aux rameaux pendants sa couronne « d'herbes sauvages, une jalouse éclisse se rompt; Ophélia et son << trophée rustique tombent dans le ruisseau en pleurs; ses robes « s'étalent larges, et la soutiennent un moment, semblable à une

mermaid'. Pendant ce temps, elle chantait des morceaux de << vieilles ballades, comme une personne incapable de sentir son « propre péril, ou comme une créature née et revêtue de l'élément «qu'elle habite. Mais cela ne pouvait durer; ses vêtements, appe<< santis par l'eau qu'ils avaient bue, entraînèrent la pauvre infor«tunée de ses lais mélodieux à une fangeuse mort: From melodious lay to muddy death. »

On apporte le corps d'Ophélia dans le cimetière. La coupable reine. s'écrie « Des parfums au parfum! adieu!» sweetsto sweet! Farewell! elle répand des fleurs sur le corps de la jeune fille. « J'avais espéré que tu serais la femme de mon Hamlet; je pensais, aimable fille, que je sèmerais de fleurs ton lit nuptial et non ton cercueil. » C'est un enchantement que tout cela.

Othello, au milieu de son délire, dit à Desdemone : « O toi, fleur « des bois, qui es si belle et exhales un parfum si doux! ton ap« proche enivre les sens!... je voudrais que tu ne fusses jamais « née....

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Vierge de la mer, fée de mer, sirène.

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