Page images
PDF
EPUB

et entre autres Juarros, disent que c'est un climat froid; on sait que c'est le même terme qu'on applique à la vallée de Mexico où l'on se passe aisément de feu toute l'année. L'expression n'a donc point le sens que nous pourrions lui attribuer; elle suppose pourtant une élévation de plus de 2,000 mètres sans préjudice d'une plus grande hauteur pour les cimes qui dominent le pays.

A Chimaltenango, qui est dans le même bassin, les eaux se séparent entre les deux océans. L'eau des gouttières du côté droit de la cathédrale se rend dans l'Atlantique, celle du côté gauche va dans le Pacifique; mais il ne s'ensuit absolument rien pour la possibilité d'une communication navigable entre les deux mers.

Nous tiendrons pour constant que, derrière la baie de Honduras, il peut y avoir place seulement pour des canaux de petite navigation entre les deux océans, et que sur ce point aussi nous sommes déboutés de toutes prétentions à un canal maritime. Allons donc plus loin, c'est-à-dire de l'autre côté de l'Amérique centrale, au lac de Nicaragua.

III. Isthme de Nicaragua.-Mesurée de rivage à rivage, la distance des deux océans est encore de 250 kilomètres environ; mais une grande déchirure a creusé au milieu des terres le lit d'un lac spacieux, celui de Nicaragua, inépuisable réservoir qui s'épanche dans l'Atlantique par un fleuve large et profond, le San-Juan. Les deux océans deviennent ainsi fort voisins l'un de l'autre, et deux golfes, celui de Papagayo et celui de Nicoya, ont échancré le littoral du Pacifique, comme afin que cet océan fit à son tour une partie du chemin. Au-delà de ce fleuve et de ce lac le voyageur qui vient de l'Atlantique rencontre un second lac, celui de Leon (ou de Managua) dont l'extrémité n'est aussi qu'à quelques lieues de l'Océan Pacifique, et qui se déverse dans le premier par un autre fleuve, le Tipitapa. Enfin sur la côte voisine du lac de Leon est un port, celui de Realejo, dont on a dit autrefois qu'il était le plus beau peut-être de la monarchie espagnole. Ces lacs et ces nobles cours d'eau en chapelet rappellent ceux qui, en Écosse, occupent une gorge entre les deux mers qui baignent les flancs de la Grande-Bretagne, et à l'aide desquels on a fait un canal assez spacieux pour recevoir des frégates, le canal Calédonien. Ils invitent de même l'homme à compléter de mer en mer, par une coupure, une communication dont l'importance serait à celle du canal Calédonien à peu près

dans la proportion d'un détroit au Grand-Océan, ou de l'île de la Grande-Bretagne au continent des deux Amériques.

Le lac Nicaragua a 153 kilomètres de long, 50 de large, et à peu près partout il offre une profondeur de 25 mètres. Le fleuve SanJuan, qui continue le grand axe du lac, c'est-à-dire qui coule à l'est, a un parcours de 127 kilomètres. Le lac de Leon a, dans sa plus grande dimension, 63 kilomètres, et un pourtour de 147; la rivière Tipitapa, par laquelle il se déverse dans le lac de Nicaragua, présente un développement de 48 kilomètres. Ainsi il y a de l'Atlantique au fond du lac de Nicaragua 190 kilomètres, et au fond du lac de Leon 301 (1). La ville de Leon, sur le lac du même nom, et celle de Grenade, sur le lac de Nicaragua, sont de populeuses cités.

Ici la jonction des deux océans peut s'opérer, soit par le lac de Leon, en se dirigeant de là sur le port de Realejo ou sur celui de Taramindo (2), ou encore sur la rivière Tosta, qui, sur la route de Leon à Realejo, descend du volcan de Telica, soit en allant du bord occidental du lac de Nicaragua lui-même au port de Saint-Jean du sud, dans le golfe de Papagayo; soit enfin en se rendant de la pointe méridionale du lac à la baie de Nicoya (aussi nommée baie de Caldera). Cela fait, il resterait cependant à améliorer le cours du fleuve San-Juan de Nicaragua, et, si l'on devait aller jusqu'au lac de Leon, celui du Tipitapa, de manière à les rendre praticables pour de forts navires. Le fleuve San-Juan de Nicaragua est parcouru toute l'année, d'une extrémité à l'autre, par des pirogues d'un tirant d'eau de 1 mètre à 1 mètre 20 centimètres, mais presque partout il présente une beaucoup plus grande profondeur. Par des travaux de perfectionnement à trois ou quatre rapides (3) qu'on y rencontre çà et là, il serait possible et même facile aux navires tirant 3 mètres et demi à 4 mètres de se rendre en tout temps de la pleine mer au lac. Le volume d'eau que débite le fleuve est même assez considérable pour que l'on pût, avec plus de dépense, obtenir des résultats plus avantageux encore. On peut en dire autant du Tipitapa. La barre du

(1) Ce sont les évaluations de M. Bailey. Les autres observateurs et géographes attribuent au lac de Nicaragua de plus grandes dimensions. Quant à la profondeur, ils lui en assignent une moindre, mais plus que suffisante pour de grands navires. (2) Ce port m'a été signalé par M. Léon Leconte. Je n'ai pu le retrouver sur aucune des cartes que nous avons en France.

(3) On désigne ainsi les points où le courant est beaucoup plus vif et oppose un grand obstacle aux navires qui remontent. Quand un rapide est bien caractérisé, il interrompt la ligne navigable.

fleuve San-Juan de Nicaragua a 3 mètres et demi d'eau, et, sur un point, elle offre, suivant M. Robinson, une passe étroite de 7 mètres et demi de profondeur (1).

Le grand obstacle à une communication océanique par le pays de Nicaragua ne paraît donc point résider dans le fleuve San-Juan; il n'est pas non plus dans le lac, quoiqu'il y ait quelquefois des coups de vent d'une grande violence; mais quelle serait la difficulté qu'opposerait la muraille à renverser ou à percer entre le lac de Nicaragua ou le lac de Leon et l'Océan Pacifique?

Aucune contrée n'est hérissée d'autant de volcans que cette partie de l'Amérique, du 11° degré de latitude au 13°; mais dans les environs du lac de Nicaragua, les montagnes par le cratère desquelles le feu souterrain se fraie un passage sont en petits groupes isolés et quelquefois en cimes solitaires. Ce n'est plus une chaîne continue. Elles s'élancent de la plaine, laissant entre elles des vallées, ou tout au moins des passages. L'étroite langue de terre qui sépare le lac

(1) Les traditions, qui partout sont sujettes à présenter les choses et les hommes comme allant en dégénérant, assurent qu'avant 1685 le fleuve était d'une navigation bien meilleure. On dit que jusqu'alors les trois-mâts le remontaient et venaient jeter l'ancre contre des îlots où l'on voit les ruines d'un fort près duquel on monillait, et où l'on trouve encore une profondeur de 9 à 10 mètres. Mais à cette époque le régime du fleuve subit une grande altération. Il s'ouvrit vers la mer une voie nouvelle par où s'échappe, sous le nom de Rio Colorado, une portion considérable de ses eaux. A proprement parler, c'est maintenant la principale branche. D'après un jaugeage de M. Bailey, rapporté par M. Stephens, le Colorado roule, en temps de basses eaux, 360 mètres cubes d'eau par seconde; c'est trois fois le débit de la Seine à Paris pendant l'étiage. Quand les eaux sont hautes, le Colorado ecoule par seconde 1,095 mètres cubes. Ce fut la guerre, cause de tant de dérangemens dans le monde, qui occasionna cette révolution dans le Rio San-Juan de Nicaragua. La mer des Antilles et les parages voisins étaient alors infestés de boucaniers, hommes résolus, auxquels leur courage inoui eût mérité l'admiration de la postérité, si rien pouvait faire admirer la dévastation et le pillage. Ces audacieux bandits menaçaient de leurs incursions tous les établissemens espagnols voisins de la mer. Afin de les empêcher d'entrer dans le San-Juan de Nicaragua, on coula à l'entrée du fleuve des carcasses de navires, des radeaux, tout ce qu'on put trouver. Les arbres de dérive vinrent grossir cet obstacle; bientôt il arrêta l'écoulement des eaux, et le fleuve fut forcé de se frayer un passage dans une autre direction. Depuis lors, les gros bâtimens cessèrent de remonter le fleuve. On m'a assuré qu'il existait des documens établissant qu'auparavant se tenait à Grenade une foire annuelle où paraissaient de quatorze à dix-huit navires venus d'Europe, en faisant échelle à Carthagène et à Porto-Belo. Il faudrait probablement rétablir l'ancien lit en barrant l'ouverture par laquelle s'épanche le Rio Colorado et en nettoyant le vieux chenal.

de Nicaragua de l'Océan Pacifique, toute parsemée de volcans qu'elle est, présente un terrain de peu d'élévation. Les récits du célèbre navigateur Dampier, qui avait guerroyé dans ces régions, autorisaient à supposer que, dans les trois tracés du lac de Leon à Realejo, du lac de Nicaragua à la baie de Papagayo ou à celle de Nicoya, le terrain est le plus fréquemment uni et en savanes. Entre la ville de Leon et la côte de Realejo, le sol naturel offre un bon chemin pour les voitures, et d'un bout à l'autre il semble tout-à-fait plat (1); mais l'œil d'observateurs, même exercés, apprécie difficilement les saillies du terrain lorsqu'il monte graduellement. « Rien de plus trompeur, dit M. de Humboldt, que le jugement que l'on porte de la différence de niveau sur une pente prolongée et par conséquent très douce. Au Pérou, j'ai eu de la peine à croire mes yeux en trouvant, au moyen d'une observation barométrique, que la ville de Lima est de 91 toises (176 mètres) plus élevée que le port du Callao. » Les mangliers que Dampier a vus sur la route de Realejo à Leon sont de sûrs indices d'un sol déprimé et humide; mais il ne dit point qu'il les ait observés sur toute la ligne.

Il faut donc des nivellemens soignés : rien n'y peut suppléer. A la fin du siècle dernier, quelques années avant la révolution française, alors que les idées d'amélioration et de progrès germaient partout, la cour d'Espagne fit exécuter un nivellement du golfe de Papagayo au lac de Nicaragua. C'est alors que fut connue pour la première fois l'élévation du lac au-dessus de l'Océan. L'ingénieur don Manuel Galisteo trouva que la distance de l'Océan au lac était de 29,910 mètres, que le faîte du terrain était à 86 mètres 62 centimètres au-dessus de l'Océan, et à 45 mètres 75 centimètres au-dessus du lac, ce qui donnait pour la hauteur du lac lui-même, relativement à l'Océan, 40 mètres 87 centimètres. Le creusement d'un canal au niveau du lac n'eût rencontré de difficulté que dans un intervalle de 9,600 metres attenant au lac. L'élévation du terrain au-dessus du lac y est d'au moins 18 mètres 30 centimètres, et même pendant 2,800 mètres

(1) « La ville de Leon, dit Dampier, est à 20 milles (32 kilomètres) dans le pays. On y va sur un chemin plain et uni, au travers d'un pays plat, composé de grands pâturages et de pièces de bois de haute futaie. A environ cinq milles du lieu de débarquement (voisin de Realejo), il y a une sucrerie; trois milles plus loiu, une autre, et à deux milles de là on rencontre une belle rivière qu'il faut passer et qui nest pas fort profonde. Outre cette rivière, on ne trouve d'eau qu'à une ville des Judiens qui est à deux milles de Leon. De là le chemin est agréable, sablonneux et divit. » (Traduction de Dampier, imprimée à Rouen en 1723, t. I, p. 280.)

elle est de 41 mètres 18 centimètres, et pendant 540 mètres de 52 mètres. Le canal exigerait donc un souterrain, car on ne fait pas de tranchée de 52 mètres ni même de 40.Vingt mètres représentent la limite à laquelle ordinairement on s'arrête. Il a fallu les trésors dont disposaient les vice-rois du Mexique, les souvenirs de l'ancienne grandeur castillane, et peut-être aussi l'inexpérience des ingénieurs espagnols en matière de souterrains, pour que, dans le but d'assurer l'écoulement des lacs voisins de Mexico, qui menaçaient cette belle capitale, on ait osé entreprendre et on ait pu terminer la tranchée de Huehuetoca, dont la profondeur est de 45 à 60 mètres pendant un intervalle de plus de 800 mètres, et de 30 à 50 mètres pendant un autre espace de 3,500 mètres. D'ailleurs elle a coûté des sommes inouies (1), et l'on ne répéterait pas l'expérience sur les bords du lac Nicaragua.

Les résultats du nivellement de don Manuel Galisteo ne furent divulgués qu'après l'indépendance du Guatimala. Un officier de la marine anglaise, M. Bailey, chargé par le gouvernement de l'Amérique centrale d'étudier le canal des deux océans, les découvrit et les communiqua à l'envoyé britannique, M. Thompson, qui les publia; mais M. Bailey, se méfiant de cette exploration qui semble n'avoir pas été effectuée par les moyens les plus sûrs, la recommença en suivant une autre ligne, et, dans une relation récente pleine d'intérêt sur l'Amérique centrale, M. J.-L. Stephens, ci-devant chargé d'affaires des États-Unis dans ce pays, a fait connaître le travail de M. Bailey.

M. Bailey, choisissant un autre tracé, était parti d'un point situé sur la rivière San-Juan du Sud, à 2 kilomètres de la mer Pacifique; les forts navires remontent ce cours d'eau jusque-là. Il n'a trouvé que 25,950 mètres de distance entre l'océan et le lac. Le point culminant du terrain, situé à 5,895 mètres du point de départ, est à une élévation au-dessus de la mer de 187 mètres 78 centimètres. Le lac est élevé de 39 mètres 11 centimètres, et par conséquent à 148 mètres 67 centimètres au-dessous du point culminant. On l'aborde par une plage unie. D'après un profil de canal présenté par M.Stephens (2), conformément aux données topographiques recueillies par M. Bailey, le canal irait en s'élevant à partir du lac, pour s'abaisser

(1) La longueur totale de la tranchée est de 20,585 mètres. L'écoulement des lacs a exigé quelques autres travaux moins importans, et l'opération entière a absorbé 31 millions de francs, en comptant, à la vérité, les frais de beaucoup d'écoles, d'essais avortés et de fausses manœuvres.

(2) Ce projet a été tracé, d'après les nivellemens de M. Bailey, par M. Horace

« PreviousContinue »