Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

cuter dans les négociations les intérêts du pays avec les nations étrangères, n'a pas été l'œuvre de la noblesse; c'était l'affaire de roturiers comme Colbert, d'hommes de robe longue comme les Letellier, les Lyonne, les d'Avaux. L'affaire de la noblesse, c'étaient les tabourets à la cour, c'était l'entrée aux carrosses du roi, c'étaient les invitations à Marly ou à Trianon. « La noblesse de France, écrivait Bolingbroke, qui pour son malheur avait eu le loisir de l'étudier de près, semblable aux enfans des tribus parmi les anciens Sarrasins, aux mamelouks parmi les Turcs, est élevée à faire l'amour, à chasser et à se battre (they are bred to make love, to hunt, and to fight). » <<< Pendant que les grands négligent de rien connaître, écrivait un des plus grands esprits du XVIIe siècle, La Bruyère, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires..., qu'ils se contentent d'être gourmets ou coteaux, d'aller chez Thaïs ou chez Phryné, de parler de la meute et de la vieille meute, de dire combien il y a de postes de Paris à Besançon ou à Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedans ou du dehors d'un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un état, songent à se mieux placer, se placent, s'élèvent, deviennent puissans, soulagent le prince d'une partie des soins publics. Les grands, qui les dédaignaient, les révèrent; heureux s'ils deviennent leurs gendres. »Voilà, monsieur, ce qu'a été, comme corps, la noblesse française sous l'ancienne monarchie; ainsi on l'a vue à la veille de la révolution; ainsi elle est revenue de l'émigration non corrigée, quoique sévèrement punie, n'ayant rien appris ni rien oublié. N'ai-je donc pas raison de me réjouir de voir pour adversaire aux institutions de juillet ce qui survit de ce corps mutilé par les révolutions? Nous sommes contre lui avec tout le passé de la France; que s'imagine-t-il pouvoir faire contre notre avenir? Qu'il continue ses pèlerinages; la France en rira lorsqu'elle voudra bien y prendre garde, et la royauté fantastique qu'il poursuit de son ombre pourra bien, si elle a un peu plus d'esprit que lui ou lorsqu'elle aura de l'expérience, le renvoyer au mot profond que Voltaire met dans la bouche des six prétendans qu'il a si plaisamment réunis au souper de Candide : « Je me résigne à la Providence, et je suis venu passer mon carnaval à Venise. »

E... DE...

REVUE MUSICALE.

Le Théâtre-Italien en est encore aux débuts de sa campagne, et déjà l'ensemble de la nouvelle troupe se montre tel, qu'il promet de faire oublier les plus beaux souvenirs du passé. A l'ancienne combinaison, qui fut illustre, nul ne le conteste, mais dont la retraite de Rubini avait rompu le nœud, succède aujourd'hui un corps d'armée chaleureux et brave, une autre légion d'élite : Ronconi, Fornasari, Salvi, M. de Candia (nous le rangeons parmi les nouveaux et pour cause), tous jeunes, tous vaillans, et dans cette généreuse période de la vie où le talent se dépense librement et sans compter avec lui-même, bien sûr que le travail et l'exercice, loin d'épuiser ses forces, les développent et les accroissent; où les encouragemens d'une année nous préparent de l'émulation et des progrès pour l'autre. Si les cantatrices restent les mêmes que par le passé, c'est apparemment qu'il ne s'en est pas formé de plus dignes de se produire sur notre scène. D'ailleurs, qui songerait à souhaiter sérieusement l'abdication de la Grisi? Où trouverait-on, à l'heure qu'il est, en Italie aussi bien qu'en Allemagne, une voix plus énergique à la fois et plus charmante, plus susceptible de se prêter aux conditions des deux genres en honneur à l'Opéra-Italien? Où trouverait-on un geste plus noble, une plus belle cantatrice? Certes, la Grisi a ses défauts, qui en doute? Les dix années qui viennent de s'écouler ont passé sur elle comme sur tant d'autres; mais, grace à la complexion de sa nature généreuse, cette expérience qui, au théâtre comme dans la vie, ne s'acquiert jamais qu'à nos dépens, lui a fourni de puissantes ressources, des moyens d'action qu'elle ignorait aux premiers jours, et, chez elle, si la prima donna a perdu quelque chose de son timbre enchanteur, on sent que la tragédienne a gagné en grandeur, en tenue, en aplomb, qualités qui font au théâtre les cantatrices qui durent, que la Pasta

possédait au plus haut degré, et qu'avec tout son génie, ou plutôt à cause de ce génie dont le feu la dévorait, la Malibran n'aurait jamais eues. Quant à la Persiani, c'est toujours le mécanisme le plus rare qui se puisse imaginer, et, à ce compte, l'administration a bien fait de la retenir, d'autant plus que cette singulière faculté d'éblouir les oreilles par toutes sortes de trilles et de fusées chromatiques semble encore avoir grandi chez elle cette année. La Persiani est une curiosité, même sur la scène italienne, un véritable objet de luxe, même sur ce théâtre où tant de voix de sirènes ont égrené leurs merveilleux colliers.

Au début de la saison, le public des Bouffes, un peu embarrassé de se trouver pris à l'improviste, et d'avoir à se former une opinion sur des chanteurs entièrement nouveaux pour lui, le public des Bouffes affectait une réserve extrême, et, s'il émettait un avis, c'était avec prudence et de ce ton équivoque qui n'a garde de vouloir engager l'avenir. Évidemment, les gens qui disposent de l'opinion n'avaient point encore parlé. Le public des Italiens puise assez volontiers ses impressions de dédain ou d'enthousiasme dans le monde, qui s'inspire à son tour de trois ou quatre dilettanti féminins dont l'aimable voix a force d'oracle en pareille question. Pour ce public-là, les sentences des journaux ne signifient absolument rien, et tel feuilletoniste qui trouve plaisant de renverser chaque matin l'idole de la veille, et d'amuser les badauds de je ne sais quelle partie de raquettes dont son opinion est le volant, perdrait ici parfaitement sa peine les journaux auront beau s'être prononcés d'avance; pour qu'on sache définitivement à quoi s'en tenir sur le mérite des uns et les prétentions des autres, pour que des classifications légitimes s'établissent entre les triomphateurs et ceux qui doivent simplement réussir, il faudra que le monde revienne et que les salons s'ouvrent. Laissez donc faire le public des premiers jours, et il va vous mettre d'emblée Ronconi et Salvi sur la même ligne, arrêt sublime que les journaux du lendemain ne manqueront pas de sanctionner à son de trompe. Trop heureux Ronconi s'ils n'accordent point la palme à Salvi, dont le talent, d'un ordre inférieur, devait nécessairement être plus remarqué de la foule. —Salvi est un ténor élégant, d'une voix agréable et pure, mais qui manque de puissance, et surtout de cette verve originale, de cet entraînement, de ce diable au corps de Voltaire, qui caractérise les grands chanteurs. Entre Ronconi et Salvi, il y a la différence du maître à l'élève. Ronconi, lui, est un véritable maître, un de ces hommes qui, comme Davide, comme Rubini, comme Duprez, impriment au chant de leur époque une physionomie, un tour particulier, et qui inventent dans leur art, un de ces hommes qui chantent par le cœur avant de chanter par la voix, témoin Duprez, chez lequel tout fut artificiel. Salvi, au contraire, se contente de suivre paisiblement la route battue : il a une voix, donc il chante, puisque du temps où nous vivons, les cavatines se paient à prix d'or. Du reste, la même remarque pourrait se faire à propos de M. de Candia, délicieux chanteur, et qui, bien qu'en voie de progrès 'année en année, ne dépassera pourtant jamais, je le crains bien, certaines

limites modérées. Le progrès parcourt une étape au bout de laquelle il doit fatalement s'arrêter, et le haut rang dont je parle se conquiert plutôt qu'il ne se gagne. Dès ses seconds débuts à Paris, Rubini fut ce grand maître qu'il est encore aujourd'hui à Pétersbourg. Pour la force et l'ampleur du son, M. de Candia me paraît de beaucoup l'emporter sur Salvi. Ainsi dans le magnifique adagio du troisième acte de la Lucia, où M. de Candia trouvait de beaux accens, même après Rubini, Salvi demeure tout-à-fait insuffisant. Mais ce qu'il dit à ravir, ce qu'il chante avec une onction remplie de grace et de délicatesse, c'est la romance de Chalais dans Maria di Rohan : Alma soave. On n'imagine rien de plus pur, de plus tendre, de plus délicieusement nuancé que l'exécution de cette aimable cantilène, où sa voix donne, avec un rare bonheur, tout ce qu'elle a d'exquis. Ainsi, pour l'expression, l'ampleur et le style dramatique, M. de Candia; pour la grace, le chant nuancé, le goût pur, Salvi; celui-ci pour Chalais, celui-là pour Rawenswood. Voilà l'héritage de Rubini tombé en bonnes mains. Est-ce à dire qu'ils parviendront à deux à combler ce vide immense que laisse l'absence d'un seul; non, certes, deux hommes ne feront jamais ce qu'a pu faire seul celui dont ils prennent la tâche, et d'ailleurs ce qu'on a perdu ne se retrouve pas, dans les mêmes conditions du moins. Mais, par cette combinaison nouvelle, l'ensemble du Théâtre-Italien sera plus riche encore et plus imposant qu'autrefois, et quant à l'individualité dominante, s'il en existe, elle s'est déplacée, elle a passé du ténor au baryton, et le virtuose par excellence ne s'appelle plus aujourd'hui Rubini, mais Ronconi.

Jusqu'à présent, les honneurs de la saison ont été pour la Maria di Rohan de M. Donizetti, partition incomplète sans doute, mais qui justifie par certains mérites la double faveur qu'elle a trouvée à Vienne et à Paris. Il est rare que, dans le cours d'un ouvrage en trois actes, M. Donizetti ne saisisse pas au vol quelques-unes de ces mélodies qui séduisent irrésistiblement une salle, pourvu qu'elles passent par le gosier des chanteurs italiens. Cela trouvé, -tout va pour le mieux, et l'infatigable maestro triomphe une fois de plus. Je ne m'explique pas autrement les vicissitudes de la fortune musicale de M. Donizetti, qui, avec deux partitions de mérite à peu près égal, va réussir à Ventadour et tomber à l'Opéra. C'est qu'aux Italiens l'auteur de Maria di Rohan combat en s'appuyant sur la Grisi, sur Ronconi et Salvi, tandis qu'à l'Académie royale de musique le chantre de Dom Sébastien en est réduit à ses propres forces pour se tirer d'affaire; et franchement, avec sa manière de travailler d'aujourd'hui, être seul ce n'est point assez. Dans Maria di Rohan, les motifs bien trouvés ne manquent pas, et l'on citerait au besoin plus d'une excellente inspiration: la cavatine de Maria, la romance de Chalais dont nous parlions tout à l'heure, le duo semi-seria entre Chalais et le comte de Rohan, sont des morceaux de choix par lesquels les deux premiers actes se recommandent. Quant au troisième, je n'hésite pas à le dire, si le reste de la partition répondait au style de cet acte, la Maria di Rohan prendrait place à bon droit entre les deux chefs-d'œuvre de M. Donizetti. Peut

être aussi l'exécution véritablement merveilleuse de cette musique fait-elle qu'on s'en exagère la valeur. Ce troisième acte, d'un mouvement dramatique plein d'intérêt, n'a que trois interprètes, la Grisi, Salvi et Ronconi, Ronconi surtout qui, presque inaperçu dans le courant de l'ouvrage, se redresse là tout à coup dans toute la fougue de l'inspiration la plus véhémente, dans toute la puissance de la voix la plus tragique et la plus passionnée. Il faut remonter aux souvenirs de la cavatine de Niobé pour se faire une idée de l'explosion d'applaudissemens qui éclate sur la strette de son air, que la salle entière redemande toujours. Puis vient le trio du dénouement, l'un des plus dramatiques morceaux de M. Donizetti, et dont ces trois voix de baryton, de soprano et de ténor portent l'effet jusqu'à l'enthousiasme. — Avant Maria di Rohan, le Théâtre-Italien avait donné pour les débuts de Fornasari le Belisario du même auteur, et si le premier de ces deux opéras se rattache à la série des bonnes compositions de M. Donizetti, c'est à coup sûr à la catégorie des pires qu'appartient le second. Si l'on excepte le duo pour basse et mezzo soprano, et la cavatine de soprano, deux morceaux qui depuis cinq ans traînent sur tous les pianos, la partition de Belisario n'a pas une phrase qu'on puisse remarquer. Cela est monotone et languissant, mais d'une monotonie commune, d'un languissant vulgaire, et qui ne prend même pas la peine de se donner pour prétexte la recherche d'un certain style admiratif que la nature du poème excuserait. De sorte que vous passez là trois heures dans votre stalle solitaire sans pouvoir faire autre chose que bâiller, car le monde dilettante, pour si fanatique qu'on le tienne, ne se laisse point prendre deux fois à pareil piége. Quelle idée aussi d'aller mettre en musique le tableau de David! L'agréable personnage pour contribuer à varier les situations du drame que ce pauvre aveugle qui, faute d'interlocuteur, passe son temps à chanter des duos avec son Antigone! Ce rôle de Belisario, si larmoyant et si décoloré qu'il soit, est encore le seul qu'on rencontre dans cette partition, écrite sans doute pour quelqu'une de ces troupes incomplètes d'Italie où le virtuose absorbe à lui seul toutes les ressources du théâtre il n'en faut pas davantage pour s'expliquer comment Fornasari devait choisir pour ses débuts un semblable opéra. On connaît en effet la prédilection de tous les chanteurs pour les partitions qui n'ont qu'un rôle, prédilection qui se hausse d'ordinaire à l'enthousiasme lorsqu'au mérite de primer tous les autres le rôle en question joint celui de donner son nom à la pièce. Fornasari fait valoir comme il peut ce triste rôle de Belisario, dont il chante habilement certains morceaux, entre autres le célèbre duo du second acte. Cependant, quelques bonnes qualités qu'on se plaise à lui reconnaître, Fornasari n'appartient pas encore à cette classe de virtuoses éminens auxquels un talent hors ligne semble parfois donner le privilége d'imposer au public de détestable musique. Il a donc prudemment agi en abandonnant au plus vite son choix du premier jour pour continuer ses débuts dans Assur de la Semiramide, où du reste il s'en faut qu'il puisse entrer en lutte avec les souvenirs de La

« PreviousContinue »