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I.

les Seigneurs furent tyrans jufqu'à Louis XI; CHAP. & les Rois, toujours occupés à foutenir leur autorité contre leurs vaffaux, n'eurent jamais ni le tems de fonger au bonheur de leurs fujets, ni le pouvoir de les rendre heureux.

Louis XI fit beaucoup pour la puiffance royale, mais rien pour la félicité & la gloire de la nation. François I fit naître le commerce, la navigation, les lettres & tous les arts; mais il fut trop malheureux pour leur faire prendre racine en France, & tous périrent avec lui. Henri le Grand allait retirer la France des calamités & de la barbarie où trente ans de difcorde l'avaient replongée, quand il fut affaffiné dans fa capitale, au milieu du peuple dont il commençait à faire le bonheur. Le Cardinal de Richelieu, occupé d'abaiffer la Maifon d'Autriche, le Calvivilme & les Grands, ne jouït point d'une puiffance affez paifible pour reformer la nation; mais au moins il commença cet heureux ouvrage.

Ainfi pendant neuf cent années, le génie des Français a été prefque toujours rétréci fous un gouvernement Gothique au milieu des divifions & des guerres civiles, n'ayant ni loix ni coutumes fixes, changeant de deux fiécles en deux fiécles un langage toujours groffier; les Nobles fans difcipline, ne connaiffant que la guerre & l'oifiveté; les Eccléfiaftiques vivant dans le défordre & dans l'ignorance; & les peuples fans industrie, croupiffant dans leur mifère."

Les Français n'eurent part, ni aux grandes découvertes, ni aux inventions admirables des autres nations l'Imprimerie, la poudre, les glaces, les télescopes, les compas de proportion la machine pneumatique, le vrai fyftême de l'u nivers, ne leur appartiennent point; ils faifaient des tournois; pendant que les Portugais & les Efpagnols découvraient & conquéraient de nouveaux mondes à l'Orient & à l'Occident du: monde connu. Charles-Quint prodiguait déja en Europe les tréfors du Mexique, avant que quelques fujets de François I euffent découvert la

contrée inculte du Canada; mais par le peu même que firent les Français dans le commencement du feiziéme fiécle, on vit de quoi ils font CHAP. capables quand ils font conduits.

On fe propose de montrer ce qu'ils ont été fous Louis XIV.

Il ne faut pas qu'on s'attende à trouver ici plus que dans le tableau des fiécles précédens, les détails immenfes des guerres, des attaques de villes, prifes & reprifes par les armes, données & rendues par des traités. Mille circonftances intéreffantés pour les contemporains fe perdent aux yeux de la poftérité, & difparaiffent pour ne laiffer voir que les grands événemens qui ont fixé la deftinée des Empires. Tout ce qui s'eft fait ne mérite pas d'être écrit. On ne s'attachera dans cette histoire qu'à ce qui mérite l'attention de tous les tems, à ce qui peut peindre le génie & les mœurs des hommes, à ce qui peut fervir d'inftruction, & confeiller l'amour de la vertu, des arts & de la patrie.

On a déja vû ce qu'étaient & la France & les autres Etats de l'Europe avant la naiffance de Louis XIV; on décrira ici les grands événemens politiques & militaires de fon régne. Le gouvernement intérieur du Royaume, objet plus important pour les peuples, fera traité à part. La vie privée de Louis XIV, les particularités de fa Cour & de fon régne, tiendront une grande place. D'autres articles feront pour les arts, pour les fciences, pour les progrès de l'efprit humain dans ce fiécle. Enfin on parlera de l'Eglife, qui depuis fi longtems eft liée au gouvernement, qui tantôt l'inquiète & tantôt le fortifie ; & qui inftituée pour enfeigner la morale, fe livre fouvent à la politique & aux paffions humaines.

1.

CHAP.

CHAPITRE SECOND.

Des Etats de l'Europe avant Louis XIV.

AL y avait déja longtems qu'on pouvait regarII. der l'Europe Chrétienne (à la Ruffie près) comme une espèce de grande république partagée en plufieurs Etats, les uns monarchiques les autres mixtes; ceux-ci ariftocratiques, ceuxlà populaires; mais tous correfpondans les uns avec les autres; tous ayant un même fonds de religion, quoique divifés en plufieurs fectes; tous ayant les mêmes principes de droit public & de politique, inconnus dans les autres parties du monde. C'est par ces principes que les nations Européanes ne font point efclaves leurs prifonniers, qu'elles refpectent les ambaffadeurs de leurs ennemis, qu'elles conviennent ensemble de la prééminence & de quelques droits de certains Princes, comme de l'Empereur, des Rois, & des autres moindres Potentats; & qu'elles s'accordent furtout dans la fage politique de tenir entr'elles, autant qu'elles peuvent, une balance égale de pouvoir, employant fans ceffe les négociations, même au milieu de la guerre, & entretenant les unes chez les autres des ambaffadeurs ou des efpions moins honorables, qui peuvent avertir toutes les Cours des deffeins d'une feule, donner à la fois l'allarme à l'Europe, & garantir les plus faibles des invafions que le plus fort eft toujours prêt d'entreprendre.

Depuis Charles-Quint la balance penchait du côté de la Maifon d'Autriche. Cette Maison puiffante était, vers l'an 1630, maîtreffe de l'Efpagne, du Portugal, & des tréfors de l'Amérique; les Pays-bas, le Milanais, le Royaume de Naples, la Bohême, la Hongrie, l'Allemagne même (fi on peut le dire) étaient devenus

fon

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fon patrimoine; & fi tant d'Etats avaient été réunis fous un feul Chef de cette Maifon, il CHAP eft à croire que l'Europe lui aurait enfin été. 11. affervie.

DE L'ALLEMAGNE.

L'Empire d'Allemagne eft le plus puiffant voifin qu'ait la France: il eft d'une plus grande étenduë; moins riche peut-être en argent, mais plus fécond en hommes robuftes & patiens dans le travail. La nation Allemande eft gouvernée, peu s'en faut, comme l'était la France fous les premiers Rois Capétiens, qui étaient des Chefs fouvent mal obéïs, de plufieurs grands vaffaux, & d'un grand nombre de petits. Aujourd'hui foixante villes libres, & qu'on nomme Impériales, environ autant de Souverains féculiers, près de quarante Princes Eccléfiaftiques, foit Abbés, foit Evêques; neuf Electeurs, parmi lefquels on peut compter aujourd'hui quatre Rois ; enfin l'Empereur, chef de tous ces Potentats; compofent ce grand corps Germanique, que le flegme Allemand a fait fubfifter jufqu'à nos jours avec prefque autant d'ordre qu'il y avait autrefois de confufion dans le gouvernement Français.

Chaque membre de l'Empire a fes droits, fes priviléges, fes obligations; & la connaissance difficile de tant de loix, fouvent contestées, fait ce que l'on appelle en Allemagne, l'étude du droit public, pour laquelle la nation Germanique eft

fi renommée.

par

L'Empereur lui-même ne ferait guère à la vérité plus puiffant, ni plus riche qu'un Doge de Venife. Vous favez que l'Allemagne tagée en villes-& en principautés, ne laiffe au Chef de tant d'Etats, que la prééminence avec d'extrêmes honneurs, fans domaines, fans argent, & par conféquent fans pouvoir. Il ne pofTéde pas à titre d'Empereur un feul village. Cependant cette dignité fouvent auffi vaine que fuSiécle de Louis XIV.

H

prême, était devenue fi puiffante entre les mains CHAP. des Autrichiens, qu'on a craint fouvent qu'ils ne convertiffent en Monarchie abfolue cette République de Princes.

II.

Deux partis divifaient alors & partagent encor aujourd'hui l'Europe Chrétienne & furtout l'Allemagne. Le premier eft celui des Catholiques, plus ou moins foumis au Pape. Le fecond eft celui des ennemis de la domination fpirituelle & temporelle du Pape & des Prélats Catholiques. Nous appellons ceux de ce parti du nom général des Proteftans, quoiqu'ils foient divifés en Luthériens, Calviniftes & autres, qui fe haïffent entr'eux prefque autant qu'ils haïffent Rome.

En Allemagne, la Saxe, une partie du Brandebourg, le Palatinat, une partie de la Bohême de la Hongrie, les Etats de la Maifon de Brunswick, le Virtemberg, la Heffe fuivent la Religion Luthérienne, qu'on nomme Evangélique. Toutes les villes libres Impériales ont embraffé cette fecte, qui a femblé plus convenable que la Religion Catholique à des peuples jaloux de leur liberté.

Les Calviniftes, répandus parmi les Luthériens qui font les plus forts, ne font qu'un parti médiocre les Catholiques compofent le refte de l'Empire, & ayant à leur tête la Maifon d'Autriche, ils étaient fans doute les plus puiffans.

Non-feulement l'Allemagne, mais tous les Etats Chrétiens, faignaient encor des playes qu'ils avaient reçues de tant de guerres de religion; fureur particulière aux Chrétiens, ignorée des idolâtres, & fuite malheureufe de l'efprit dogmatique introduit depuis fi longtems dans toutes les conditions. Il y a peu de points de controverfe qui n'ayent caufé une guerre civile; & les nations étrangères ( peut-être notre poftérité) ne pourront un jour comprendre que nos pères fe foient égorgés mutuellement pendant tant d'années en prêchant la patience.

Je vous ai déja fait voir comment Ferdinand

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