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2o Que son élargissement serait d'autant plus dangereux, qu'il possède l'art coupable de cacher son incivisme sous des dehors patriotes, et de servir la cause des tyrans en persécutant sourdement ceux de ses concitoyens qui se montrent dans le sens de la révolution;

› L'assemblée a arrêté qu'elle formerait les demandes sui

vantes :

1° Que la loi soit exécutée dans toute son étendue, vis-à-vis du sieur abbé Sicard;

> 2° Qu'il soit remplacé par le savant et modeste abbé Salvan, second instituteur des sourds et muets (héritier, comme plusieurs autres, de la sublime méthode inventée par l'immortel abbé de I'Épée), assermenté et agréé de l'assemblée nationale;

› Enfin qu'il soit porté des copies du présent arrêté au pouvoir exécutif, au comité de surveillance, au conseil de la Commune et au greffe de la prison, pár MM. Pelez et Perrot, commissaires nommés à cet effet. Signé BOULA, président; RIVIÈRE, secrétaire.»

Je ne pouvais me méprendre sur l'auteur de cette pièce, dans laquelle on avait pris tant de précautions pour que je ne pusse échapper à la mort. Il m'avait été signifié, un mois auparavant, un dire sur lequel étaient ces propres expressions': « M. Sicard ne doit pas être si difficile à accorder ce qu'on lui demande. Il ne doit pas oublier que, n'ayant pas fait le SERMENT CIVIQUE, il pourrait être REMPLACÉ PAR LE SAVANT ET MODESTE SALVAN, HÉRITIER, COMME LUI, DE LA SUBLIME MÉTHODE INVENTÉE PAR L'IMmortel Abbé de L'ÉPÉE, ASSERMENTÉ. ›

Je montrai cet écrit à mon digne coopérateur SALVAN, dont l'honnêteté m'était si connue. Indigné de voir son nom dans cette pièce homicide, il alla s'en plaindre à celui que nous soupçonnions l'avoir rédigée. L'accusé nia fortement de l'avoir jamais connue; mais depuis cette époque, on en a retrouvé la minute écrite tout entière de sa main dans les papiers du comité révolutionnaire de la section, sans le trouver écrit sur aucun des registres: C'est que, dans ce temps-là, une poignée de scélérats," quand la séance générale des sections, était terminée, faisaient des arrêtés

au nom de toute l'assemblée, et les faisaient exécuter sans qu'ils fussent connus que de ceux qui les avaient faits, et de ceux qui en étaient les malheureuses victimes. Celui-ci n'eût jamais été connu, sans l'extrême bonhomie de l'homme qui l'avait porté à la prison, et la maladresse de l'auteur qui oublia d'en soustraire la coupable minute.

J'ai oublié, dans ma relation des 2, 3 et 4 septembre, quelques traits qui méritent d'être connus. Quelqu'un à qui je les ai racontés plus d'une fois désire que je les publie; les voici :

J'ai dit que les dames du quartier de l'Abbaye se rendaient en foule aux scènes d'horreur qui se passaient dans cette malheureuse enceinte. On imagine quelles dames c'étaient. Eh bien! ces mêmes dames firent demander au comité où j'étais, qu'on leur procurât le plaisir de voir tout à leur aise les aristocrates égorgés dans la cour du comité. Pour faire droit à la demande, on plaça un lampion auprès de la tête de chaque cadavre, et aussitôt les dames jouirent de cette exécrable illumination. Au milieu de la nuit, B... de V... (Billand de Varennes) apprend que les égorgeurs volent les prisonniers après les avoir tués; il se rend dans la cour de l'Abbaye, et là, sur une estrade, il parle à ses ouvriers:

. Mes amis! mes bons amis! la Commune m'envoie vers vous pour vous représenter que vous déshonorez cette bBELLE JOURNÉE. On leur a dit que vous voliez ces coquins d'aristocrates après en avoir fait justice. Laissez, laissez tous les bijoux, tout l'argent et tous les effets qu'ils ont sur eux, pour les frais du grand acte de justice que vous exercez. On aura soin de vous payer, comme on en est convenu avec vous. Soyez nobles, grands et généreux comme la profession que vous remplissez. Que tout, dans ce grand jour, soit digne du PEUPLE dont la SOUVERAINETÉ vous est commise. »

MANUEL, quelques minutes avant, au milieu de la rue de Sainte-Marguerite, en face de la grande prison, et au moment où les massacreurs avaient commencé, avait parlé ainsi à ce même peuple : « Peuple français, au milieu des vengeances LÉGI

TIMES que vous allez exercer, que votre hache ne frappe pas indistinctement toutes les têtes. Tous les criminels que renferment ces cachots ne sont pas tous également coupables. ›

Et ce MANUEL est le même qu'un honnête homme tâchait de justifier, un de ces jours, au sujet de ces égorgemens? Ce discours, entendu de plusieurs témoins dignes de foi, rapproché de celui que, deux jours avant, j'avais entendu moi-même à la prison de la mairie, laisse-t-il quelque doute sur la complicité de ce grand coupable qui a expié sur un échafaud, et les crimes de cette journée d'horreur, et tous les blasphèmes qu'il avait vomis dans la Commune contre la religion?

Et qu'on ne doute pas de l'effet de la promesse que fit aux égorgeurs B... de V... Oui, les malheureux qui répandirent tant de sang dans ces journées de deuil, ont reçu leur salaire, comme on le leur avait promis. On a trouvé, et les noms de ceux qui ont reçu ce prix du sang innocent, et les noms de ceux qui les ont payés. On lit encore ces noms, écrits avec du sang, sur les registres de la section du Jardin-des-Plantes, sur ceux de la Commune, sur ceux de la section de l'Unité. Je peux moins en douter qu'un autre. Un des commissaires de cette section, qui a été forcé, sous peine d'être tué sur-le-champ, par les égorgeurs, de contribuer à leur paiement, me l'a dit à moi-même. Oui! ils ont reçu leur salaire, et quel salaire! Les malheureux, poursuivis par les remords, trouvant partout des voix accusatrices, ont la plupart fui de Paris; ils ont été dans les armées, espérant y trouver des CAMARÁDES : les scélérats! pouvaient-ils ainsi se méprendre sur les soldats français? On les a reconnus, et ils n'y ont

trouvé que des vengeurs. Il n'en reste plus que quelques-uns

que redemande l'échafaud, que va enfin poursuivre la justice nationale, qui n'a suspendu si long-temps son glaive que pour n'en épargner aucun.

SICARD.

MON AGONIE

DE TRENTE-HUIT HEURES,

Ou Récit de ce qui m'est arrivé, de ce que j'ai vu et entendu pendant ma détention dans la prison de l'Abbaye Saint-Germain, depuis le 22 août jusqu'au 4 septembre 1792, par M. de JOURGNIAC SAINT-MÉARD, ci-devant capitaine - commandant des chasseurs du régiment d'infanterie du roi.

Avertissement placé par l'auteur en tête de la quinzième édition (1). — Accablé de questions et comblé de marques d'intérêt depuis ma sortie de prison, je ne peux mieux répondre aux unes et aux autres qu'en retraçant ce qui s'est passé sous mes yeux et autour de moi; qu'en publiant les exécutions sanglantes dont j'ai failli être une des malheureuses victimes.

1

La principale raison qui me détermine à cette publication, est de faire voir que, si le peuple est impétueux et irrésistible lorsqu'il se croit trahi, il ne faut point pour cela désespérer de sa justice.

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Je n'entrerai point dans le détail des causes qui, depuis M. Necker, de désastreuse mémoire, jusqu'à ceux qui n'ont subtilisé la confiance de la nation que pour la tromper, ont contribué à faire couler le sang des Français: assez d'autres l'ont fait et le feront encore; je me contenterai de prouver à mes concitoyens qu'avec le calme de l'innocence, soutenu par la présence d'esprit et une pleine confiance dans la justice du peuple, on est sûr de dérober sa tête à ses vengeances.

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J'ai eu le temps de remarquer que quelques-uns de mes compagnons d'infortune n'ont pu proférer une parole pour leur justification, et peut-être ce silence a-t-il causé leur mort, qu'une contenance ferme et des réponses franches auraient pu détourner aussi, ma narration ne servit-elle qu'à sauver un seul homme, si de pareils événemens pouvaient jamais se renouveler,

(1) Cet ouvrage a eu cinquante-sept éditions. (Note des auteurs.)

je serais assez payé de ce que j'ai souffert et du sentiment douloureux avec lequel j'ai tracé cet écrit (1).

MON AGONIE DE TRENTE-HUIT HEURES.

Quatorze heures du comité de surveillance de la Commune.

Ce comité me fit arrêter le 22 août ; je fus emmené à la mairie à neuf heures du matin, où je restai jusqu'à ouze heures du soir (2). Deux messieurs, sans doute membres de ce comité, me firent entrer dans une sale; un d'eux, accablé de fatigue, s'endormit. Celui qui ne dormait pas me demanda si j'étais M. Jourgniac Saint-Méard.

Je répondis oui.

• Asseyez-vous nous sommes tous égaux. Savez-vous pourquoi on vous a arrêté ?

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Un de ceux qui m'ont conduit ici m'a dit qu'on me soupçonnait d'être le rédacteur d'un journal anti-constitutionnel. -Soupçonné n'est pas le mot; car je sais que le Gautier,

(1) Le 15 septembre 1792, onze jours après ma sortie de l'Abbaye, je fis présent à Desenne, libraire au Palais-Royal, du manuscrit de mon Agonie : il la mit en vente. Le 20 du même mois, deux jours après, il fut obligé d'en faire une seconde édition, et son succès fut si rapide, que, malgré douze contrefaçons qui ont paru à Paris, il en a fait paraitre quinze éditions, dont la dernière, à laquelle il ajouta mon portrait, parut le 20 juin. Tous les journaux de Paris sans exception, et plusieurs des départemens, ainsi que toutes les brochures qui parurent dans ce temps, en ont fait l'éloge, et je ne crois pas dire trop en disant qu'à l'époque du 1er mai 1793, il s'en est vendu à Paris deux cent quatre-vingt mille exemplaires.

Je fus curieux de savoir ce qu'en pensait l'ami du peuple, Marat: je lui en donnai six exemplaires. Que'ques jours après je retournai chez lui, et je le priai de me dire franchement son avis; il me répondit qu'il l'avait lue avec le plus grand intérêt, mais qu'il était seulement fâché que j'eusse cherché à apitoyer le public sur le sort du mercenaire Reding, et que j'eusse parlé de la bénédiction que nous donna l'abbé Lenfant. (Note de Saint Meard.)

(2) Je fus arrêté par le sieur Miquette et par le sieur Pommier, qui fut fusillé ensuite à l'armée de Moreau. Il avait servi d'abord au régiment du Roi, où il avait été nommé président du club révolutionnaire des soldats. Ils étaient accompagnés de dix ou douze soldats, qu'ils renvoyèrent lorsque je les assurai que mon intention était de me soumettre à la loi. Ils me dirent qu'ils n'avaient emmené avec eux une force aussi considérable que parce qu'on leur avait assuré que j'étais dans l'intention de faire une vigoureuse résistance. (Note de Saint-Meard.}

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