Page images
PDF
EPUB

« qu'après avoir changé quelque chose à votre « déguisement. » M. de l'Etorrière, piqué d'être obligé de quitter la femme aimable à laquelle il faisait sa cour, et plus encore peutêtre de se voir l'objet de la curiosité qui avait attiré auprès de lui beaucoup de monde, envoya promener le sergent-major, et refusa. nettement de se rendre à son invitation; celuici insista avec toute l'honnêteté possible, et finit par dire qu'il serait obligé d'appeler des fusiliers pour faire exécuter les ordres qui lui étaient confiés. Nouveaux refus, nouvelles insultes; et, à un signal, deux fusiliers parais sent à la porte de la loge. M. de l'Etorrière sentit alors qu'il n'était plus possible de résister: il voulut capituler, pour que les soldats. fussent renvoyés; mais trop de témoins étaient à attendre l'événement, pour que le sergentmajor pût avoir cette indulgeuce, et M. de l'Etorrière sortit entre les deux fusiliers, qui, après avoir fermé la porte de la loge, lui rendirent sa liberté.

Cependant l'officier - major des mousquetaires, qui s'était trouvé présent au commencement de cette scène, et qui n'en connaissait ni le motif ni les acteurs, n'y voyant qu'un masque qui insultait grièvement un chevalier

de Saint-Louis, qu'il ne savait pas être le sergent-major du régiment des Gardes, crut devoir envoyer à l'un et à l'autre des gardes des maréchaux de France, pour s'opposer à toutes voies de fait. Le maréchal de Biron, instruit dès le lendemain, et dans les plus grands détails, de tout ce qui s'était passé, ayant chez lui un grand nombre d'officiers de son régiment, leur fit le récit de ce scandaleux événement, et parut d'autant plus irrité contre le marquis de l'Etorrière, que jusqu'alors il l'avait comblé de bontés. Il ne parlait pas de moins que de prendre les ordres du Roi pour Je faire casser, lorsque le coupable se présente lui-même dans le salon, avec l'air le plus humilié, fait publiquement l'aveu de sa faute, sans chercher aucun prétexte pour l'excuser, et prie M. le maréchal de lui ordonner la punition la plus sévère, à laquelle il est prêt à se soumettre. « Messieurs, dit le maréchal, en << s'adressant aux officiers aux Gardes, vous « êtes ses camarades et ses amis; punissez-le, << si vous le pouvez, pour moi je n'en ai pas la « force la sincérité de son repentir me dé« sarme. » A ces mots, M. de l'Etorrière lève les yeux, aperçoit le sergent-major qu'il avait insulté la veille, et qui se tenait modestement

:

à l'écart. Il va précipitamment à lui, se jette entre ses bras, et lui fait hautement réparation avec autant de grâce que de franchise. Les gardes des maréchaux de France furent renvoyés, et le jeune officier promit, en présence de tous ses camarades, et sans doute de bonne foi, de ne plus abuser de la bonté de son digne chef. Mais il est rare qu'une telle résolution se soutienne long-temps, lorsqu'elle est attaquée par toutes les illusions de la jeunesse.

Le marquis de l'Etorrière dissipa, en folles dépenses, la plus grande partie de sa fortune, et obtint un congé pour aller mettre quelque ordre à ses affaires. Pendant son absence, il vaqua un emploi aux grenadiers : c'était une place que le maréchal n'accordait ordinairement qu'à la plus grande faveur, méritée par une excellente conduite. Les principaux chefs du corps vinrent la solliciter pour M. de l'Etorrière; elle fut refusée, sous prétexte de son dérangement. On insista; on chercha à pallier des fautes qui, disait-on, étaient entièrement réparées. Alors le maréchal annonça que le jeune homme pour lequel on s'intéressait si mal à propos, était tellement dérangé, qu'il n'avait pas même payé les dettes les plus criardes, puisqu'un malheureux tailleur, au

quel il devait mille écus, venait de lui adresser un placet pour le prier d'ordonner la retenue de cette somme sur ses appointements. « Ah! M. le maréchal, s'écria le comte de La « Tour, capitaine aux Gardes, c'est moi seul << qui ai tort en cette occasion. Mon jeune ca« marade m'avait laissé cette somme pour << payer son tailleur ; j'ai égaré l'adresse de « cet homme, et ne savais plus où le trouver; « mais je vous prie de l'envoyer chez moi, il << sera acquitté tout de suite. » M. le maréchal ne résista plus, et le subterfuge de l'amitié l'emporta sur la juste sévérité du chef, qui ne douta pas d'une assertion aussi positive.

M. de l'Etorrière se fit bientôt aimer de ses grenadiers comme il l'était de ses camarades. En revenant de l'armée, le corps passait par Péronne, et, à cette barrière si rigide pour la contrebande, on visitait très-strictement les havresacs des soldats. Ceux-ci, bien sûrs que leur officier serait à l'abri de cette désagréable cérémonie, le prièrent de vouloir bien se charger de beaucoup de bouts de tabac qu'ils avaient achetés. Il y consentit volontiers, et, placé sur un cheval fort tranquille, il se laissa ficeler du haut en bas de carottes de tabac, qui furent ensuite recouvertes de son man

teau. Malheureusement, au moment de la visite, une de ces carottes se détache et va tomber aux pieds d'un commis. M. de l'Etorrière tire un pistolet de son arçon, et le baissant; dit au commis : « Monsieur, voulez-vous bien « ramasser cela, et me le rendre? » Le commis, à ce signe, n'hésita pas, et remplit trèsrespectueusement l'ordre qui lui était donné.

Le maréchal de Biron excusait facilement les étourderies de jeunesse, mais il était, avec raison, inexorable sur celles qui blessaient l'honneur et la délicatesse, et M. de l'Etorrière eut le malheur de tomber dans un écart de ce genre, qui le priva à jamais de l'estime et de l'attachement de son chef.

Coraline, actrice de la Comédie Italienne, célèbre par sa beauté, s'était éprise pour lui de la plus violente passion, et il y répondait, plus par habitude que par inclination. S'apercevant que depuis quelques jours il n'avait point sa gaieté ordinaire, elle lui demanda la cause de ses distractions, de sa tristesse; et M. de l'Etorrière lui répondit très-franchement qu'il était amoureux de mademoiselle Dubois, actrice du Théâtre-Français; qu'il aurait honte d'aller faire le Céladon à ses pieds, et qu'il n'avait point d'argent à lui offrir. « Eh bien,

« PreviousContinue »