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MADAME DE CAZENOVE, quoique n'étant plus dans la fleur de la jeunesse, plaisait encore généralement par les grâces d'une figure intéressante et par les charmes de son esprit. Un jeune officier du régiment de la Mark, qui en était devenu très épris et dont elle accueillait froidement les transports, se trouvant avec elle dans un bal de société où elle était dans la plus grande parure, la vit passer dans une pièce voisine, allant y prendre quelques rafraîchissements, et la suivit avec empressement. S'y voyant tête à tête avec elle, il lui fit les déclarations les plus passionnées; et ne recevant en réponses que des plaisanteries, il tira un pistolet de sa poche, et la menaça de se brûler lui-même la cervelle, si elle ne lui accordait le tendre retour auquel il aspirait. « Oh! pas ici, monsieur, lui dit-elle en se retirant de

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côté, vous tacheriez ma robe ». L'officier furieux remet son pistolet dans sa poche, et sort avec un air désespéré, en fermant brusquement la porte derrière lui. Cependant madame de Cazenove, connaissant la vivacité de ce jeune homme, et craignant les suites de son emportement, ne le voyant plus reparaître, ne tarda pas à concevoir les plus fortes inquiétudes. Elle passa près de deux heures dans une

perplexité réelle, et se décida enfin à faire part de tout ce qui s'était passé, et de ses craintes, au major du régiment, qui se trouvait dans la même assemblée, et qu'elle savait être l'ami et le protecteur de cet officier. Elle le pria d'aller prendre les informations les plus positives, et de les lui rapporter incessamment. Le major eut l'air de partager ses inquiétudes, tout en tâchant de les calmer. Il sortit, et ne revint qu'une heure après; et affectant un air trèsaffligé : « Ah! madame, lui dit-il, quelle triste «< commission m'avez-vous donnée ! Vous qui «< connaissez la tête inconséquente de ce jeune « homme, comment n'avez-vous pas pensé « aux suites des plaisanteries piquantes dont << vous l'accablez depuis si long-temps? - Eh

bien, monsieur, qu'est-il donc arrivé? — En « vous quittant, il est allé se jeter.... Ой donc? s'écria-t-elle dans le plus grand effroi.

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Hélas! madame.... sur son lit, où je crains qu'un profond sommeil ne lui fasse oublier « les rigueurs de l'amour. »

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UN des personnages du siècle dernier, les plus singuliers par ses distractions, était Rouelle,

démonstrateur de chimie au jardin du Roi. C'était un homme de génie. C'est lui qui a créé le chemin en France, quoiqu'il eût peu d'instruction et qu'il n'ait rien écrit. Il parlait avec une extrême pétulance, mais sans correction ni clarté, et il avait coutume de dire qu'il n'était point de l'académie du beau parlage. Ses vues étaient toujours profondes, mais il cherchait à en dérober la connaissance à ses auditeurs; cependant il les expliquait fort au long, et quand il avait tout dit, il ajoutait, Au reste, ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne. Souvent un de ses élèves se levait et lui répétait à l'oreille ce qu'il venait de dire tout haut; alors Rouelle croyait que l'élève avait découvert son arcane par sa propre sagacité, et le priait de ne point divulguer ce qu'il venait de dire à deux cents personnes.

Un jour, se trouvant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait sa jarretière, tire son bas sur ses souliers, se gratte la jambe à deux mains, remet son bas, et continue de parler sans soupçonner ce qu'il venait de faire.

Dans ses cours, il avait ordinairement pour aides son frère et son neveu. Ces aides ne s'y trouvaient pas toujours, et Rouelle criait :

neveu ! éternel neveu ! et l'éternel neveu ue venant pas, il allait lui-même dans son laboratoire chercher les vases dont il avait besoin pour ses expériences, et continuait sa leçon comme s'il était en présence de ses auditeurs ; à son retour il avait ordinairement achevé la démonstration, et rentrait en disant: Oui, messieurs; et alors on le priait de recom

mencer.

Un jour, faisant une expérience, il disait à ses auditeurs : « Vous voyez bien, messieurs, «< ce chaudron sur le brasier? eh bien! si je «' cessais de remuer un seul instant, il s'ensui« vrait une explosion qui nous ferait tous sauter « en l'air. » En disant ces paroles, il ne manque pas d'oublier de remuer, et sa prédiction fut accomplie. L'explosion se fit avec un fracas épouvantable : toutes les vitres furent cassées : heureusement personne ne fut blessé, parce que le plus grand effort de l'explosion avait parti par l'ouverture de la cheminée. Le démonstrateur en fut quitte pour sa perruque. J'ai bien du malheur, disait-il en racontant l'aventure, c'était ma plus belle !

et

(*) M. DE CHALUT, receveur - général des finances, possédant une immense fortune, gémissant de n'avoir pas d'enfants, alla, de concert avec sa femme, à l'hôpital des EnfantsTrouvés. Ils y prirent une petite fille qui leur plut par ses grâces ingénues, l'élevèrent auprès d'eux, et la marièrent avec des avantages considérables, à M. de Ville, secrétaire intime de M. le comte de Vergennes, et dont on ne peut faire un plus grand éloge qu'en disant qu'il était digne de toute la confiance de ce respectable ministre.

Madame de Chalut étant morte, M. de Chalut vint apporter à sa fille adoptive une somme de cent mille écus, provenant de la vente des diamants, bijoux, dentelles, robes, vaisselle et autres effets que sa femme avait légués à madame de Ville. La jeune personne, en acceptant ce don, demanda si cela lui appartenait en propre, ou devait entrer dans la communauté. Sur la réponse que c'était une propriété dont elle pouvait disposer, elle se rendit à l'hôpital des Enfants-Trouvés, et, par une modestie bien rare, voulant consacrer sa reconnaissance pour les soins qu'on avait eus de ses jeunes ans, elle plaça cette somme en leur faveur, pour en former quinze mille livres de rentes perpé

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