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ris, ne se faisait point scrupule, non seulement de demander, mais même de prendre le superflu des gens riches, soit pour les pauvres de sa paroisse, soit pour la construction et l'ornement de son église. On le connaissait si bien sur ce ton-là, et l'on était si sûr d'ailleurs du bon usage qu'il faisait de tous ces dons volontaires, ou forcés, qu'on n'était point étonné de le voir emporter quelques couverts d'argent dans les maisons où il était invité à dîner. Il avait soin eependant d'en avertir, quoique sous l'air de la plaisanterie, pour qu'on ne soupçonnât pas les domestiques.

Son frère, évêque d'Amiens, avait reçu d'un prince étranger, auquel il avait rendu des services essentiels, une superbe croix pectorale, ornée de diamants de la plus grande valeur. Cette croix ayant été faussée, et l'un des diamants déchaussé, il l'envoya à son frère pour la faire raccommoder. Celui-ci en fit faire une absolument pareille en stras, l'adressa à son frère, sans l'avertir de ce changement, et plaça la véritable en couronnement à l'ostensoir de son église. Long-temps après, l'évêque ayant chez lui des connaisseurs en ce genre, voulut leur faire admirer sa croix, qu'il tenait soigneusement enfermée dans un étui; mais il

fut étrangement surpris, quand, à l'ouverture, on lui dit et on lui prouva que les diamants étaient faux. Il écrivit tout de suite à son frère, pour le prier de faire arrêter l'ouvrier auquel il s'était confié, et qui l'avait volé aussi impudemment. « Ne faites point de ju«gement téméraire, mon cher frère, répon« dit le curé, et ne soyez point inquiet de vo« tre croix. Elle formait sur votre poitrine un «< ornement bien inutile; à présent, elle est « l'objet de la vénération des fidèles; elle em« bellit la demeure du Saint des Saints, et je « vous engage à venir vous prosterner devant << elle. >>

Ce même curé s'étant présenté chez M. le prince de Condé pour le prier de se charger du paiement des serrures de son église, le prince accueillit avec bonté sa demande, et voulut bien, sur ses instances, lui donner un billet de sa main pour ordonner de mettre cet objet sur ses comptes. Le curé en sortant ajouta un trait en travers de la première lettre du mot serrures, et en fit ainsi celui ferrures. Quoique cette supercherie grammaticale formât un supplément de dépense très-considérables, Son Altesse ne fit qu'en rire, et ordonna de solder les mémoires.

EN 1775, le Roi fit plusieurs réformes dans ses troupes, M. de N.... de B., qui était fort économe, et qui aimait beaucoup les nouvelles, parce que cela ne coûtait rien, demanda dans une société s'il y avait quelque chose de nouveau. On lui dit qu'une ordonnance du Roi venait de réformer les Cadets. (Il s'agissait des jeunes gens qui, destinés à être officiers, commençaient leur service sous cette dénomination). « Ah! répondit de bonne foi M. de N...., « qui ne connaissait de cadets que les frères « d'un aîné, on aurait bien dû faire cette opé-« ration plutôt; il y a un mois que j'ai payé la « légitime aux miens. >>

LES Cadets de famille, en Bretagne, étaient très-mal partagés du côté de la fortune, et presque entièrement dans la dépendance de leurs aînés qui possédaient tous les biens. MM. de Kerdon, nés dans cette province, étaient deux frères placés dans le même régiment, et très-liés ensemble, quoique fort opposés de caractère. Ils se contrariaient souvent avec d'autant plus d'opiniâtreté, que leurs

camarades se plaisaient à les agacer l'un contre l'autre. Lorsque la querelle s'animait trop, l'aîné la faisait cesser, en disant d'un grand sang-froid à son valet : « Va me changer ce « louis, je veux payer la légitime à mon frère.>>

M. BOUVARD était le médecin habituel du couvent de Panthemont. Chaque fois qu'il y allait, l'abbesse, impitoyable causeuse, l'impatientait par le récit fastidieux de tous les détails du monastère. Un jour qu'il sortait par la première porte qu'il trouva donnant dans l'extérieur : « Que faites-vous donc lui dit « l'abbesse, vous prenez le chemin le plus << long. — Eh non, madame, répondit-il, il « sera plus court de tout ce que vous me di<<< riez. >>

Etant un jour allé voir un de ses malades, le suisse l'arrêta, en lui disant qu'il était inutile qu'il montât, parce que le malade était mort dans la nuit : « Il est mort, reprend « M. Bouvard; ah! le gaillard!!! » et il re monte en voiture.

MONSIEUR de Bastard, chancelier de monseigneur le comte d'Artois, était accusé de prévarications graves; il tomba malade au moment où il allait être jugé. On demandait de ses nouvelles à Bouvard, qu'il avait fait appeler: « Le pauvre homme il mourra: il « ne peut plus rien prendre. » Il mourut, en effet; et, le lendemain, Bouvard disait : Il est bien heureux; je l'ai tiré d'affaire.

UN homme de condition était très-malade à une terre en Auvergne éloignée de tout secours. M. Bouvard se trouvait par hasard à Clermont. On propose de l'envoyer chercher : « C'est un médecin trop considérable, dit le « malade, je n'en veux point; je préfère le <«< chirurgien du village: qu'on l'aille cher«< cher, il n'aura peut-être pas la hardiesse de

« me tuer. »

M. DE PURY, citoyen de Neuchâtel, resta, à l'âge de dix-neuf ans, orphelin et sans fortune; mais il était né avec un esprit ardent, porté aux calculs, et exercé par l'habitude du

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