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que la nécessité seule, plus encore que l'amour du gain, avait dicté cet ouvrage; mais que si, au lieu de recourir à des voies aussi odieuses, il avait eu l'honnêteté de s'adresser à lui-même, il aurait été enchanté de lui offrir les secours que les bontés du public le mettaient dans le cas de lui donner. Ici il fut interrompu par l'applaudissement le plus général; il ajouta ensuite que, pour prouver qu'il ne voulait point en imposer, il priait une des personnes qui étaient sur le théâtre, de prendre le livre, de lui indiquer, à sa volonté, l'un des tours qui y étaient cités, qu'il le ferait devant l'assemblée, en en expliquant publiquement les moyens et les procédés, et que l'on serait alors convaincu qu'ils n'avaient rien de commun avec ceux de M. de Cremps. Un des spectateurs prend en effet le livre, et indique le premier article qui lui tombe sous les yeux. Pineti l'exécute avec lenteur, en en détaillant hautement chaque procédé, et démontrant qu'aucun d'eux n'a le moindre rapport avec ceux énoncés dans l'ouvrage.

Alors il s'élève une voix du parterre qui crie: quicrie << Cela n'est pas vrai; il l'a toujours fait jusqu'à « présent comme il est marqué dans le livre. » On s'écrie à l'instant : « c'est sûrement de

<< Cremps. Oui, c'est moi; et je suis prêt à « prouver ce que j'avance. » Aussitôt le parterre se jette avec la plus grande effervescence sur le malheureux interlocuteur, qui, pressé, baffoué, battu, demande grâce, et ne l'obtient qu'à condition d'aller s'humilier à genoux, sur le théâtre, aux pieds de Pineti. En vain celui-ci conjure, sollicite, de la manière la plus intéressante, l'indulgence du public: il fallut que la sentence prononcée s'exécutât. On transporte l'homme sur le théâtre, on le fait mettre à genoux. Pineti le relève avec bonté, l'embrasse, le conduit au fond du théâtre pour le faire sortir par une porte de derrière, et en même temps lui glisse dans la main une poignée d'écus, sous l'air du mystère, mais avec assez d'adresse pour qu'une grande partie des spectateurs l'aperçoive. Ce dernier trait de générosité, qui, en un instant fut connu dans toute la salle, ajouta infiniment à l'effet qu'avait produit son discours, ainsi que l'épreuve à laquelle il s'était soumis. Le petit ouvrage ne fut plus regardé que comme un libelle infâme, et pendant quinze jours les séances du théâtre des Menus furent plus courues que jamais. Cependant peu à peu

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le bruit se répandit

que toute cette belle scène n'était qu'un nouveau tour de Pineti; et il fut démontré que le public seul avait été complétement mystifié, le prétendu de Cremps, si humilié, n'étant autre qu'un commissionnaire de place intelligent, qui avait parfaitement bien joué son rôle, et en avait été bien payé, l'indicateur du tour expliqué, et les assistants qui avaient excité la fureur du parterre étant les amis de l'escamoteur. Ceux mêmes qui en furent la dupe ne purent s'empêcher de rire d'une facétie aussi bien combinée; et l'on fut convaincu que Pineti avait en réserve beaucoup de tours, qu'il savait employer avec art dans les occa~

sions.

A PEU PRÈS dans le même temps de la petite aventure de Pineti, et à l'époque où le public semblait exclusivement occupé des découvertes nouvelles dans les sciences, l'abbé Miolans, qui s'était adonné particulièrement à l'étude de la mécanique, imagina la construction d'une nacelle, qui, à la faveur d'ailes à ressort servant de rames, devait voguer dans les airs. Il fit annoncer son expérience dans les journaux, et l'affluence, soit des souscrip

teurs, soit des curieux, fut telle au jour indiqué, qu'on assure que la recette alla à près de huit mille francs. Cependant tous les essais pour enlever seulement de terre la machine furent inutiles, et après quatre heures consécutives d'attente le public s'impatienta si fort, l'abbé fut obligé de se soustraire, par que la fuite, à la fureur des assistants. La nacelle fut brisée, et les jardins de M. le comte de Viennay, où elle avait été établie, furent très-endommagés. La prétendue découverte ne fut regardée que comme un charlatanisme pour attraper de l'argent, et l'effervescence contre le pauvre abbé fut générale à Paris.

Ce même jour, au parterre de l'Opéra, un particulier ayant devant lui un homme en redingote brune et perruque ronde, qui, par sa position, le gênait beaucoup, le pria fort honnêtement de se retirer un peu sur le côté. L'homme n'en tint compte, et répondit même assez brusquement à cette invitation. Le particulier, piqué, imagina un tour assez singulier pour le forcer à la retraite. Il dit assez haut pour être entendu : « Parbleu! il est bien « dur que M. l'abbé Miolans, après nous avoir « escroqué notre argent ce matin, vienne en« core ici ce soir gêner nos plaisirs, et prendre

«un ton aussi impertinent!.... Quoi! c'est « l'abbé Miolans! s'écria-t-on......Il faut le faire «miauler, dit quelqu'un. » Et ce mauvais calembour égayant le parterre, on se met à F'instant à serrer, à pincer, à piétiner le pauvre malheureux, qui eut beau assurer qu'il n'était pas l'abbé Miolans, ne put jamais parvenir à se faire croire. La rumeur fut telle, que le spectacle fut interrompu : les sentinelles s'avancèrent, et pour rétablir la tranquillité, elles furent obligées de faire sortir de la salle celui qui occasionait tout ce bruit. Ainsi, le plaignant, par cette espièglérie, obtint sa place franche, et trouva le moyen de se débarmasser tout-à-fait de son incommode voisin.

FRÉDÉRIC II abliorrait autant les Autrichiens qu'il aimait les Français. Quelques-uns de marque parmi ces derniers, jaloux de se former à l'école de ce monarque, allèrent à Berlin l'année même où il mourut. Ils y observèrent, avec un vif intérêt, ses troupes, ses beaux établissements, ses excellentes institutions, le ton noble et militaire de sa cour

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