Page images
PDF
EPUB

:

jamais en plein jour sans ses pistolets de poche, et que chacun, comme Rodolphe, ait chez soi le salon de la justice et la chambre aux exécutions. En vérité, et pour parler sérieusement, nos lois sont-elles aussi impuissantes qu'on se plaît à le dire? Notre police est-elle si faible, si aveugle? Mais qu'on fasse donc connaître à quelle époque de l'histoire les lois ont eu plus de force unie à plus de douceur, et à quelle époque l'administration de la police a eu la main plus longue et les yeux plus ouverts. Allons, il y a encore des juges à Paris, et, tout bien considéré, je préfère nos tribunaux à celui du seigneur Rodolphe et de Murph, son digne bailli. Je vais plus loin, et je suppose que ce tribunal clandestin n'exercerait pas long-temps ses fonctions au beau milieu de Paris, sans que cette police, qui n'y voit pas clair, ne fît main-basse sur notre grand-juge, et ne l'envoyât sur les bancs de la cour d'assises, où son altesse royale s'apercevrait facilement que notre code pénal n'est pas tombé en désuétude. Ainsi, ce n'est pas assez d'être licencieuse, la pseudo-philanthropie s'est jetée dans le sophisme anti-social. C'était appeler à soi une petite cohorte. Le sophisme antisocial est toujours adoré dans un coin. M. Sue sacrifiait à l'idole de bois les disciples de Fourier battirent aux champs. M. Sue est presque un des leurs. Le système de Fourier est un immense épicuréisme; peut-on nier que les Mystères de Paris ne soient de la secte d'Épicure? Il est vrai que le fouriérisme actuel met son drapeau dans sa poche, fait le bon apôtre, et ne présente que le côté présentable de sa doctrine. Les légions de bayadères que le maître promenait si joyeusement de phalanstère en phalanstère ont été mises en non-activité, à cause du malheur des temps, et le thyrse des bacchantes reste dans l'armoire. Le public, qui avait du bon sens cette fois, s'obstinait à rire de la folie de ces innovations; alors on a pris un biais, on s'est accommodé aux circonstances, et on est devenu, en un mot, une variété de cette fausse philanthropie qui nous occupe. M. Sue devait être parfaitement compris de ce côté, et on lui devait l'accolade fraternelle. Toutefois, ce baiser de philanthropes devant tout le monde pourrait servir au poète comique. Les bons livres, contre les lois de la perspective, grandissent en s'éloignant; les Mystères de Paris diminuent déjà. En attendant que justice se fasse, ce roman, qui a causé beaucoup de mal, est encore dangereux. Les esprits corrompus y trouvent une pâture, les rêveurs anti-sociaux une arme contre la société; c'est en même temps un leurre pour les cœurs honnêtes et naïfs qu'il gâte en les mystifiant. Les choses étant ainsi, n'était-ce pas un devoir d'exprimer toute notre pensée?

L'illustration, en bonne marchande, ne pouvait manquer aux Mystères de Paris; elle est amie du succès. En livrant son œuvre au complaisant crayon, M. Sue ne se doutait point qu'il venait de trouver son plus dangereux critique. Le peintre ne peut pas avoir recours aux mille précautions oratoires de l'écrivain, et il présente son personnage ou sa scène d'emblée. Le procédé n'a pas été favorable aux créations de M. Sue; ce qui leur convenait le mieux, c'était le demi-jour du livre; les arracher de leur demi-obscurité propice, pour les exposer dans un cadre au grand jour, c'était les trahir; la trahison serait plus complète encore, si on les traduisait devant la rampe. Dès qu'on verrait, en chair et en os, se mouvoir, parler, agir, toute cette lèpre humaine, le dégoût ne serait-il pas universel? L'illustration a commencé la preuve, le théâtre pourrait bien l'achever. Le roman de M. Sue a tout à craindre de ses deux alliés.

De même que tout bonheur a son côté triste, on dit que toute calamité a sa consolation. Les Mystères de Paris apportent la leur : du coup, ils ont blessé à mort le roman-feuilleton; une maladie aiguë a tué une maladie chronique. Les anciens coryphées du genre, les triomphateurs d'hier, ont perdu contenance, et, comme des gens troublés, ils cherchent au hasard et ne trouvent point. La détresse est si grande, qu'ils ont mis toute vanité à part, et se sont cotisés bravement pour une concurrence impossible; on ne copie pas le succès; les Mystères de la Province sont tombés à plat. Le roman pseudo-philanthrope est le dernier mot du roman-feuilleton, qui va s'éteindre sans crise, sans douleur, parce qu'il éprouvera une difficulté de vivre. Cette maladie littéraire que nous avons essayé de décrire emporte le malade. Au point où on en est venu, il est impossible que le public, dont on s'est joué si effrontément, n'ouvre pas les yeux. Il n'y a qu'un dénouement possible à cette comédie, et c'est le dénouement qu'a trouvé Molière. Pour qui sait voir, le moment est donc favorable. Un mauvais règne qui finit est un beau jour, et le lendemain est comme une renaissance. La littérature peut se relever. Un retour franc au goût et à la morale, qu'on y songe, il y a là une bonne place à prendre et de la vraie gloire à gagner.

PAULIN LIMAYRAC.

TOME V.

7

DU

MOUVEMENT CATHOLIQUE.

PREMIÈRE PARTIE.

I. RENAISSANCE CATHOLIQUE.

Chaque siècle, comme chaque homme, a ses exagérations, ses contrastes. Sous ce rapport, nous n'avons rien à envier aux générations qui nous ont précédés, et ce serait une étrange histoire que celle des opinions et des idées extrêmes qui ont eu cours dans l'époque troublée où nous vivons. Le peuple qui tuait son roi, qui proscrivait son Dieu, il y a tantôt cinquante ans, s'est agenouillé devant les autels qu'il avait brisés naguère. C'est là, à part l'imprescriptible puissance du sentiment religieux, une loi éternelle des choses de ce monde, un reflux inévitable qui nous ramène toujours au point que nous avons quitté, pour nous emporter de nouveau et nous y ramener encore. L'outrage révolutionnaire, en tombant sur les choses saintes, avait préparé une réaction religieuse, comme le régicide avait préparé une restauration. L'église de France eut bientôt cicatrisé ses plaies de grands esprits, de grands écrivains se rallièrent à la cause du catholicisme et la défendirent, les uns par la logique, les autres par la poésie; Dieu fut, pour ainsi dire, rappelé de l'exil.

A l'origine même du siècle, le point de départ de cette ère nouvelle est marqué dans la politique par le concordat de 1801, dans la littérature par le Génie du christianisme, qui parut un an après le concordat. Retardé sous la restauration par l'appui même que lui prêtait le pouvoir, dans l'intérêt d'une politique qui se rejetait vers le passé, le mouvement religieux a pris, depuis 1830, un développement nouveau. On sait l'affluence qui se porte aux églises dans les grandes solennités, l'empressement du public à suivre les prédications des orateurs chrétiens, le succès des cours de la faculté de théologie, et, s'il convient de faire une assez large part à la curiosité de la foule, il est juste aussi de reconnaître qu'auprès des oisifs et des curieux il y a les chrétiens sincères. Sans aucun doute, il faut attribuer la cause principale de ce mouvement à la séparation de la religion et de la politique opérée par la révolution de juillet, à la pensée, encourageante pour la foi sérieuse, que la liberté de conscience était acquise, et que le pouvoir ne spéculerait plus sur les croyances.

La renaissance des idées catholiques s'est produite dans la littérature par des manifestations diverses. Il a été fondé dans plusieurs villes, et sur le plan de la Société littéraire de l'université catholique de Louvain, des académies religieuses, qui se recrutent surtout parmi les jeunes gens, et qui ont pour but de discipliner aux mêmes doctrines les hommes qui s'occupent des travaux de l'esprit. Nous citerons à Paris le Cercle catholique, qui a été présidé par M. Rendu, conseiller de l'Université; l'Institut catholique, qui est présidé par M. de Villeneuve-Bargemont; la Société de Saint-Paul, qui publie, comme appendice de l'Univers, un recueil mensuel, la Revue de Saint-Paul, dont la mission est d'immoler, sans respect de la langue et des convenances, tous les écrivains qui ne se font pas les champions aveugles de l'intolérance; à Lyon, l'Institut catholique, présidé par M. le cardinal de Bonald.

La propagande trouve des auxiliaires plus puissans encore dans les sociétés de bons livres, dans l'activité des imprimeries spéciales, dont quelques-unes sont même dirigées par des prêtres. En 1840, M. l'abbé Migne, ancien directeur de l'Univers religieux, fondait au Petit-Montrouge une imprimerie qui occupa dès la première année cent quarante ouvriers, et qui devait donner, par séries de publications successives, toute une encyclopédie catholique. Saint-Sulpice et Saint-Thomas d'Aquin ont aujourd'hui des bibliothèques paroissiales, et la presse religieuse semble lutter d'activité avec les presses des sociétés bibliques du protestantisme. Cette librairie, qui a résisté aux crises les plus graves, a pour principaux centres Paris, Lyon et Tours. Paris produit en général les grandes collections, les éditions de luxe, les Bibles ou les Évangiles illustrés; Lyon, les éditions populaires et à bon marché. Voici à peu près pour toute la France, depuis 1835, le terme moyen des publications de chaque année, dans chaque genre:

[merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors]
[blocks in formation]

Il est à noter que les livres de prières à l'usage du culte ne sont pas compris dans ce chiffre déjà si élevé, et qui donne par les tirages à grand nombre une masse d'exemplaires beaucoup plus considérable que les autres branches de la librairie, à l'exception toutefois de la librairie universitaire. A part l'empressement du public religieux et la modicité des prix, cette remarquable propagation s'explique par le patronage constant du clergé. Ainsi il existe dans plusieurs séminaires de véritables boutiques (c'est le mot dont on se sert pour désigner ces sortes de dépôts), destinées à approvisionner le diocèse. Les annonces sont affichées sous le portail des églises, quelquefois même on fait la vente dans les sacristies; on joint au volume quelque prière emportant indulgence, et au besoin des distributions gratuites sont faites à titre d'aumônes spirituelles. Certaines congrégations s'occupent même activement des placemens de la librairie religieuse; c'est ainsi que parmi les frères de SaintAugustin, qui ont leur principal établissement à Avignon, on trouve, à côté des frères solitaires et des hospitaliers, les missionnaires propagateurs des bons livres.

Les arts, comme la littérature, ont subi l'influence du prosélytisme. La peinture, après avoir épuisé l'élément païen, a demandé au christianisme, et quelquefois sans trop le comprendre, des inspirations nouvelles. Les nombreux travaux exécutés dans les églises favorisaient d'ailleurs, par un côté positif, cette tendance des esprits, et, sans que les artistes en soient peut-être pour cela plus catholiques, le nombre des sujets religieux s'est considérablement accru dans ces dernières années. En 1833, le chiffre des peintures pieuses exposées au salon, et pouvant figurer dans les églises, était de vingt seulement; il s'est élevé en 1838 à quatre-vingt-six, et à cent soixante-un en 1842. Dans l'architecture, la réaction a été plus sensible encore, et du moins profitable à l'art même. L'iconographie chrétienne, appliquée à la conservation des monumens, s'est constituée de nos jours comme une science toute nouvelle. Des cours d'archéologie religieuse ont été ouverts dans les séminaires, et la dévotion s'est éveillée de toutes parts pour les reliques de pierre, comme on dit, qui sont les seuls poèmes complets et achevés que nous ait légués le moyen-âge. A défaut d'une inspiration originale et d'une foi suffisante pour les grandes créations, on a reproduit textuellement les compositions du passé. C'est un progrès néanmoins; puisqu'il s'agit de christianisme, mieux vaut la copie ogivale que le pastiche païen. On a vu même, dans la construction des églises, les choses se passer exactement comme au

« PreviousContinue »