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l'hiver! quel tribut on lève sur l'empressement des fidèles qui ne peuvent dire, hélas! le hic illum vidi juvenem, Melibee, et sur la curiosité banale des indifférens! Les superbes épopées que l'on construit, sous la fascination des splendeurs de l'hospitalité britannique, avec ces visites aux nobles manoirs anglo-normands, avec les belles chasses au renard, avec les intentions fines et significatives des toasts, avec ces mots jetés dans les conversations des drawing-rooms que l'on va ciseler et mouler en mots historiques! Quels regards méprisans et narquois, tout allumés encore des hommages rendus à l'hôte d'Alton-` Towers et de Constable-Place, on laisse tomber sur ce pauvre pavillon de Flore! et quel dépit pour ces d'Orléans! Comprenez-vous ce triomphe? Oui, et cependant vous ne voudriez pas le disputer aux légitimistes. Vous appelez ces amusemens les jeux innocens de la politique, et vous avez raison. Vous trouvez qu'ils sont tout-à-fait à la hauteur de ce parti, et vous n'avez pas tort. Si la décrépitude ramène à l'enfance, les puérilités ne vous choquent pas dans les partis qui se meurent.

Les légitimistes ne voulaient-ils que faire parler d'eux? Je conviens qu'ils y ont réussi; mais le beau succès, et qu'il y a de raison d'en être fier dans une société où la première chose venue jouit chaque jour du privilége d'occuper tout le monde! Les légitimistes ont-ils cru arriver à l'héroïsme par une bravade? Où est donc la prouesse où le péril n'est pas? Les légitimistes ont-ils ambitionné la douce satisfaction de nous narguer? Mais si leur voyage en Angleterre disait quelque chose, n'était-ce pas, et d'une manière éclatante, l'impossibilité, pour eux aussi grande que le désir, de faire avec un personnage de plus le voyage inverse? Or, dans une pareille situation, de quel côté de la Manche étaient, je vous prie, les rieurs de bon aloi, de quel côté les tristes figures?

Et ne me reprochez pas de n'aller chercher les motifs de la manifestation des légitimistes que dans les petites choses. Voudriez-vous leur supposer les idées profondes des partis qui sont assez forts pour avoir besoin d'être habiles? Justifierez-vous au moins la manifestation légitimiste en disant que la première condition d'existence pour un parti, c'est de faire d'une manière quelconque acte de vie? Je comprends l'utilité d'une manifestation qui est une manifestation de force. Est-ce donc pour témoigner de sa force que le parti légitimiste est allé à Londres?

Il serait plaisant, monsieur, que le parti légitimiste crût que c'est la faiblesse du gouvernement qu'il démontrait en allant à Londres.

Son raisonnement serait alors celui-ci vous ne m'empêchiez pas d'aller à Londres parce que vous ne le pouviez pas. Il suffirait aux légitimistes d'un simple retour de mémoire vers leur passé pour leur prouver qu'il ne leur est pas permis à eux-mêmes d'être dupes d'une aussi grossière illusion. Supposez que, durant la restauration, Napoléon eût été libre en Angleterre (je ne sais si c'était pour prouver sa puissance que la restauration le faisait garder prisonnier à SainteHélène), supposez que des libéraux ou des impérialistes lui eussent organisé une ovation retentissante comme celle que nos jacobites viennent de dresser pour leur prétendant; supposez que Foy, Manuel, Lamarque, fussent allés saluer l'empereur, comme MM. Berryer, Valmy, Larcy, sont allés faire leur cour au comte de Chambord, et demandez aux légitimistes si la restauration eût vu autre chose qu'une conjuration dans une pareille démarche, et si les coupables eussent mérité, à ses yeux, un autre châtiment que celui qui punit la témérité de Bories, ou au moins si les députés complices auraient échappé à la dégradation politique qu'elle infligea à Manuel pour une simple hardiesse de parole? Est-ce parce qu'elle était forte que la restauration eût agi ainsi? Et la révolution de juillet elle-même, si les légitimistes avaient tenté en 1832 la démarche qu'ils viennent de faire, eût-elle pu les traiter, comme aujourd'hui, avec une dédaigneuse indulgence? Non, monsieur, et c'est précisément parce que les partis ne peuvent pas ne pas être défians et sévères lorsque leur existence est sérieusement menacée. C'est qu'on ne peut être tolérant en politique envers les ennemis que l'on craint; c'est que les partis ne peuvent être débonnaires que le jour où leur victoire est assurée, et que la clémence est en eux la preuve la plus décisive comme le plus précieux attribut de la force. Cette preuve, l'établissement actuel pourrait remercier les légitimistes de lui avoir offert une occasion signalée de la donner.

Étrange pensée! sous un régime représentatif, dont l'objet est précisément de constater les forces des divers intérêts en présence dans le pays, et qui leur donne tant de moyens légaux et réguliers de s'exprimer, d'aller faire acte de vie hors de France, en Angleterre! Quoi! en France, l'épreuve n'est-elle pas assez souvent, assez généreusement offerte aux légitimistes? N'est-ce pas au plus fort que nos institutions ouvrent le pouvoir, tandis que, par les sages combinaisons de leur mécanisme, elles ont pourvu à ce que le plus fort ne fût jamais que le plus digne? Soyez forts dans la commune, soyez forts dans le conseil-général, soyez forts dans la chambre élective. Mon Dieu! c'est là et ce n'est que là que l'on se compte et que l'on fait

compter sérieusement avec soi. Mais, monsieur, le parti légitimiste ne l'entend pas de cette façon: il faut lui faire honneur de l'originalité de sa manière. Certainement elle est sa propriété, elle lui est traditionnelle. En 1791 aussi, il était question de montrer sa force, et ce fut en allant à Coblentz, dans l'espoir d'en revenir sous la protection de la gendarmerie européenne, que le bon ton crut y réussir. Aujourd'hui, le bon ton fait ses preuves à moins de frais. Un voyage de quinze jours à Londres lui suffit, et, au lieu de la levée d'armée de Brunswick ou de Condé, cela n'aboutit plus qu'à ériger le journal le plus décrié de Londres en livre d'or de la noblesse française!

C'est d'ailleurs l'instinct, et un instinct qui ne le trompe pas, qui porte le parti légitimiste à sortir du sol français, à s'isoler de la France lorsqu'il veut se tåter, se reconnaître et se montrer au monde. Par quelle racine vivace les légitimistes tiennent-ils au pays? Y ont-ils rien de ce qui fait l'énergie et prouve la vitalité d'un parti? Un parti vivant, monsieur, ce sont des principes; un parti, ce sont des intérêts; un parti, ce sont des hommes riches des ressources de l'esprit, forts par le caractère, puissans surtout par l'application incessante de leurs facultés à un but aussi résolument poursuivi que nettement déterminé. Connaissez-vous les principes des légitimistes? Pouvez-vous dire qu'ils aient la clientelle d'un seul grand intérêt en France? Ont-ils, recrutentils des hommes?

Si je demande des principes aux légitimistes, ne croyez pas que je me méprenne sur ce que les partis appellent de ce nom. Je suis loin d'attribuer aux idées une influence désintéressée en politique. Je ne connais que les religions qui aient ému les hommes avec de pures idées, et encore les idées religieuses, à le bien voir, ne s'adressent-elles qu'à des intérêts moraux étendus par la foi à des proportions qui dépassent les bornes de ce monde et de cette vie. Mais je vois dans les principes d'un parti la formule logique des intérêts qu'il représente, et à ce point de vue ils sont un symptôme significatif et ont une valeur positive. Chez les partis vigoureux, cette formule est simple, nettement posée, soutenue avec ensemble, parce que ces partis représentent des besoins sociaux qui doivent être satisfaits. Reconnaît-on à ces qualités les principes légitimistes? C'est de celui de leurs dogmes qu'ils donnent pour le mieux arrêté qu'ils empruntent leur mot de ralliement. Ce dogme, comment l'entendent-ils ? C'est sur une question de souveraineté que leur métaphysique politique est fondée; comment définissent-ils l'origine du pouvoir? quelles sont leurs intentions à l'égard du système représentatif? Sur ces questions élémentaires et décisives, vous

ne trouvez parmi eux ni deux idées ni deux esprits d'accord. Ils ont trois ou quatre journaux qui, par leurs dissensions violentes, ont récemment mis à nu cette confusion, à l'édification durable du public.

Il ne suffit pas en effet de dire que la légitimité est un principe; il faut le prouver. Sur quoi donc les légitimistes appuient-ils le principe de la transmission héréditaire du pouvoir royal? Les légitimistes auraient sur ce point une doctrine caractéristique s'ils l'établissaient, comme ils le faisaient autrefois, sur la consécration du droit divin; or, cette doctrine grosse de tyrannie, s'il en est qui la professent in petto, personne n'a la hardiesse de l'avouer. Le dernier duc de Fitz-James et M. de Châteaubriand l'ont solennellement répudiée. Mais si cette loi n'est plus à leurs yeux qu'une garantie d'ordre, qu'une mesure de sûreté stipulée et acceptée par la société dans l'intérêt de sa conservation, si l'intérêt du pays est mis ainsi au-dessus d'un droit qui ne procède que de cet intérêt même, quelle objection sérieuse opposent-ils à l'établissement de juillet, lequel, en substituant une famille intelligente, élevée dans les idées et dans les mœurs de la France nouvelle, à une race abâtardie qu'une impuissance d'esprit avérée et des préjugés invétérés rendaient incompatible avec la France, n'a fait évidemment que réparer et affermir les garanties de conservation qu'un peuple demande au pouvoir royal? Il n'est donc plus question pour les légitimistes de la sauve-garde d'un intérêt national, il n'est plus question de principe; la question de dynastie exprime chez eux des inclinations purement personnelles ou d'amers regrets d'intérêts privés. Ainsi subjugués dès leur point de départ par l'esprit de l'époque, il est curieux de voir leurs tiraillemens entre leurs vieilles idées et les volontés notoires de la France, et les vains efforts qu'ils font pour les dissimuler dans leurs théories contradictoires sur le gouvernement représentatif. Toutefois leur métaphysique sur l'accord de la liberté indépendante avec la royauté indépendante est trop peu intelligible pour être amusante. A chaque instant, on serait tenté de leur dire, en variant, le mot de Mme de Sévigné sur les disputes de la grace : « Épaississez-moi un peu votre politique, qui s'évapore toute à force d'être subtilisée. » Grace à Dieu, cette politique est épaissie à souhait, épaissie en faits qui ne sont rien moins qu'ambigus dans l'histoire de la restauration. Là est le seul commentaire compréhensible des principes des légitimistes; le pays n'en demande jamais d'autre pour savoir à quoi s'en tenir sur leur compte. Ils ont beau faire sonner de superbes professions de dévouement à la liberté, à l'honneur, à la puissance de la France; ils sont dans le rôle de tous les partis mis à la

retraite, des partis impitoyablement condamnés pour leurs méfaits au régime édifiant du patriotisme et du libéralisme forcés, et on leur permet volontiers, comme La Rochefoucauld aux vieillards grondeurs, de donner de bons préceptes pour se consoler de ne plus pouvoir donner de mauvais exemples.

Les légitimistes, monsieur, n'ont donc pas de principes propres, quoi qu'ils disent, et ils n'ont pas de principes, parce qu'ils ne représentent dans le pays aucun intérêt actuel, aucune influence distincte et permanente. Dans nos sociétés modernes, il n'y a que trois intérêts, que trois forces qui puissent entrer dans la composition des partis : l'intérêt aristocratique, celui des classes moyennes, celui des classes populaires. Dans lequel de ces élémens le parti légitimiste est-il incarné? L'intérêt aristocratique, c'est l'immobilisation de la puissance et la concentration de la richesse, au moyen d'une législation qui retient dans les mêmes familles la fortune et les prérogatives politiques. Tel était l'intérêt naturel et traditionnel de ceux qui composent le parti légitimiste, le parti de la noblesse française; c'était celui qu'ils voulaient ridiculement affermir, lorsqu'en 1787, à l'assemblée des notables, convoquée cependant pour sauver une situation désespérée, la noblesse française demanda que les principaux emplois fussent tous donnés exclusivement aux gentilshommes, qu'on interdit aux roturiers l'usage des chiens, à moins qu'ils n'eussent les jarrets coupés; que les roturiers payassent de nouveaux droits seigneuriaux aux gentilshommes possesseurs de fiefs; que les gentilshommes fussent exempts de la contrainte par corps et de tout subside sur les denrées de leurs terres; que le tiers-état fùt obligé de porter un habit différent de celui des gentilshommes, etc. C'était l'intérêt aristocratique que la restauration, refusant de s'appuyer sur les classes moyennes, voulait reconstituer avec l'organisation de la pairie, avec le droit d'aînesse, avec le double vote; c'est pour cet intérêt et par lui qu'elle s'est perdue. Le tiers-état a forcé les gentilshommes à porter son habit; mais ces gentilshommes, qui s'appellent aujourd'hui légitimistes, ont perdu pied lorsque la révolution de juillet a balayé pour toujours l'édifice qu'ils s'efforçaient de reconstruire. Après juillet, les débris du parti de l'aristocratie, en présence des deux forces qui s'étaient réunies pour le vaincre, ont pris, pour réparer sa défaite, l'attitude qui est l'aveu le plus formel de leur impuissance intrinsèque. Ceux de ces hommes qui avaient conservé quelque activité d'esprit, et auxquels la liberté assurée par le nouvel ordre de choses permettait de simuler la vie par l'agitation, ont complètement renié leurs théories aristocratiques;

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