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cette mission. Elle obtint un succès complet: non - seulement le gouvernement français accorda aux Américains un don de 6 millions, mais il se rendit en outre garant d'un prêt de 10 millons que leur fit la république de Hollande. Pendant son séjour à Paris, Payne conçut le téméraire projet de se rendre en secret en Angleterre, pour y publier un ouvrage sur l'état des affaires en Amérique, propre à ouvrir les yeux du peuple et à convaincre tous les hommes de boune foi de l'inutilité des efforts qu'on tentait pour subjuguer les colonies; mais le colonel Lawrence s'opposa à ce départ, et ne voulut point se séparer de son collègue, qu'il ramena presque malgré luien Amérique, où ils reçurent tous deux l'accueil que leur méritait une mission si honorablement terminée en Europe. La plus glorieuse paix vint couronner dès l'année suivante les nobles efforts des Américains pour conquérir leur liberté, et la nouvelle république des Etats-Unis fut solennellement reconnue par toutes les puissances. L'Angleterre gagna en commerce plus qu'elle ne perdit en domination par l'indépendance de ses colonies, et ses intérêts furent mieux soignés que ceux de la France, dont on parut assez vite avoir oublié les éminens services. Le ministère anglais en garda seul un long souvenir, et ses projets de vengeance passèrent en héritage d'une administration à l'autre. Le congrès des Etats-Unis s'empressa de reconnaître les services de Payne, et lui fit un don de 3000 dollars; l'état de New-York y joignit une concession de 300 acres de

terre avec une habitation; l'état de Pensylvanie lui donna 5000 livres sterlings, et celui de Virginie se disposait à suivre cet exemple, mais on y observa que Payne dans un de ses écrits, the Public Good, avait contesté les droits des Virginiens sur un grand territoire à l'ouest, et, à la majorité d'une voix, la motion de récompenser l'auteur du commun Sense fut rejetée. Rentré dans la vie privée, il se livra avec une nouvelle ardeur à l'étude des sciences et des arts mécaniques. L'université de Philadelphie le nomma maître èsarts, et la société philosophique américaine l'admit au nombre de ses membres. En 1787, Payne revint à Paris, et présenta à l'académie des sciences le modèle d'un pont en fer, tel qu'on commençait alors à en construire en Amérique. Son plan fut approuvé; mais il ne trouva point de capitaux pour exécuter son projet. Il passa alors en Angleterre, visita sa ville natale, et y trouva sa inère qui, devenue veuve, vivait dans un état voisin de l'indigence; il pourvut généreusement à ses besoins, et assura son sort pour l'avenir. S'étant ensuite associé avec un maître de forges à Rotherham, dans le Yorkshire, il poursuivit ses projets de construction de ponts en fer, en présenta les plans à la société des arts de Londres, et publia une lettre à ce sujet, adressée à sir Georges Staunton, imprimée à Rotherham en 1789, dans laquelle il développait les avantages qu'on pouvait retirer de ce genre de constructions. Les premiers fonds mis à la disposition de Payne ne suffirent point

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pour sa grande entreprise. Il en- lui faudrait prodiguer en des lutgagea alors tous ses biens en Améri- tes nouvelles, et prouva victoque, mais la faillite de son agent rieusement que chaque guerre ne le jeta dans le plus grand embar- ferait qu'ajouter à ses embarras et il fut même détenu financiers, au poids accablant des pour dettes pendant quelques taxes, sous lequel le peuple gésemaines. On vint enfin à son se- missait, et à sa dette publique, cours. Un ouvrage, que Payne a- déjà si énorme. Dès 1787, Payne vait publié depuis son retour en avait fait imprimer d'autres préEurope, sur la politique de la dictions remarquables : « C'est un Grande-Bretagne et les intérêts >> fait connu, disait-il, de tous ceux du continent, venait d'ajouter à »>qui ont été récemment en Fransa réputation comme écrivain. On »>ce, qu'un changement très-exy trouve des aperçus d'une saga>>traordinaire s'opère dans l'esprit cité remarquable. L'auteur avait du peuple de ce royaume; chansu démêler de bonne heure les »gement qui rendra la France forvues ambitieuses du jeune minis-midable, aussitôt que son goutre placé à la tête des affaires de >> vernement voudra saisir l'heul'Angleterre. Le fils de lord Cha- >> reuse occasion qui se présente, tham avait hérité de toute l'ani- » pour doubler sa force, en unismosité de son père, contre la sant, s'il est permis de le dire, France, et n'épargnait rien pour la majesté du souverain à la maassurer la prépondérance de son »jesté de la nation. » Cet ouvrapays, en semant les troubles et les ge, publié à Londres, eut trois divisions sur le continent. Les éditions consécutives. Deux ans querelles du stathouder avec les plus tard, la révolution éclata. patriotes de la république des Payne s'était lié, tant en France Provinces-Unies,avaient déjà four- qu'en Angleterre, avec des homni à Pitt les moyens de s'attacher mes marquans. Il avait eu à Pala maison d'Orange par des liens ris un libre accès auprès de l'arqui se sont perpétués jusqu'à ce chevêque de Toulouse, alors à la jour. Il faisait de plus agir à son tête du ministère français, qui dégré la Prusse, et saisit avidement sirait une paix constante entre la l'occasion d'humilier la France, France et l'Angleterre. Condorqui d'abord avait soutenu les pa- cet, Achille Duchâtelet, des phitriotes hollandais, mais qui les losophes, des littérateurs distinabandonna bientôt, retira ses trou- gués, étaient au nombre des amis pes des frontières, et laissa le et des admirateurs de Payne. champ libre aux 30,000 Prus- Il entretenait une correspondance siens, avec lesquels le duc de suivie avec le célèbre Burke, qui Brunswick envahit la Hollande, avait soutenu, avec autant d'éet la soumit à l'influence anglaise. nergie que d'éloquence, la cause Payne prédit à l'Angleterre les des Américans devant le parlemaux que traînerait à sa suite le ment britannique. Burke était enmachiavélisme de ses ministres, core alors au nombre des memcalcula tout l'or et le sang qu'il bres les plus opposés au ministè

re de son pays; il paraissait adopter, avec la chaleur qu'il mettait à tout, le système politique de Payne, qui, au lieu d'exciter et d'entretenir les haines nationales, tendait à les éteindre, et à les remplacer par des sentimens plus justes, d'estime et d'affection réciproques. Il croyait que deux peuples voisins, tous deux puissans, riches, et industrieux, mais dont les cruels débats avaient si long-temps ensanglanté la terre et les mers, devaient cesser de se déchirer, confondre leurs intérêts, et former une alliance étroite, pour leur propre bonheur, comme pour celui des autres nations qui se trouveraient bientôt soumises à leur influence. Les Français et les Anglais se seraient ainsi placés à la tête de la civilisation européenne, et jamais les autocrates du Nord n'auraient été appelés à devenir les arbitres des destinées de la plus belle partie du monde. Mais Pitt en avait autrement décidé. Les premiers excès de la révolution le servirent à souhait. L'étranger ne cessa de fomenter depuis des troubles et des excès nouveaux en France, et toutes les haines trouvèrent d'abondans alimens. L'âme ardente et généreuse de Burke se révolta une des prenières, et en entraîna d'autres. Lui-même ne sut point renfermer son indignation dans de justes bornes. Abandonnant son parti, rompant avec tous ses anciens amis, et Fox en pleura de douleur, il seconda les vues d'un ministère qu'il détestait, et lança ses véhémentes Philippiques contre la France. Payne y répondit par ses fameux Droits de l'homme, qui

furent imprimés à Londres en 1791. Plus de 5000 exemplaires en furent enlevés en peu de temps. L'année suivante il en publia, de même à Londres, une seconde partie. Le succès de l'ouvrage en Angleterre, quoiqu'il fût vivement attaqué par les nombreux partisans du ministère, inspira à celuici quelques alarmes. Il résolut de faire poursuivre l'auteur comine ayant excité le peuple à la révolte contre le gouvernement monarchique. Payne fut traduit devant le tribunal du banc du roi, et y fut défendu par un des plus célèbres avocats du barreau anglais, Thomas Erskine, orateur généralement estimé pour son beau talent, et plus encore pour son noble caractère. Son plaidoyer passe pour un chef-d'œuvre d'éloquence et de raisonnement. Des démarches de plus d'un genre avaient été faites auprès de lui pour l'empêcher de se charger de cette cause. Dans son exorde, il ne peut s'empêcher de parler de ces faits déjà connus, et de déplorer qu'on l'ait cru capable de refuser son ministère à un accusé qui se confie à lui, et qui n'a violé aucune loi. Lui-même, sincèrement attaché aux lois et au gouvernement de son pays, et dont le dévouement n'est point ignoré de ses concitoyens, il ne prétend nullement discuter les opinions ou faire l'apologie des principes de son client; mais il croit pouvoir prouver que celui-ci avait le droit de les énoncer, et que selon les lois anglaises établies en faveur de la liberté de la presse, Payne ne devait point être déclaré coupable pour avoir écrit comme il l'a

vait fait. L'orateur, à l'appui de sa défense, lut plusieurs passages d'auteurs connus, et cités pour leur attachement à la monarchie, tels que Hume, Burke et autres, prouvant que ces écrivains avaient, sans être inquiétés, attaqué aussi énergiquement les abus du pouvoir monarchique. Payne n'en fut pas moins condamné, et son avocat perdit une place luerative, qu'il tenait d'un prince. La société des amis de la liberté de la presse vota des remercîmens publics à M. Erskine, et une riche et nombreuse clientelle le dédommagea bientôt de la perte de sa place. L'auteur qu'on poursuivait à Londres, dont on brûJait dans quelques réunions politiques l'effigie et les écrits, tandis que dans d'autres on faisait l'inauguration de son buste, en l'ornant de la couronne civique, Payne se hâta d'aller jouir en France des honneurs extraordinaires qui venaient de lui être décernés en ce pays. Avant même que son procès ne fût instruit en Angleterre, l'assemblée nationale lui avait conféré le titre et les droits de citoyen français. Les électeurs du département du Pas-de-Calais allèrent encore plus loin dans leur enthousiasme pour le défenseur des droits de l'homme, et le nommèrent, à l'unanimité, leur représentant à la convention nationale; ils lui envoyèrent même une députation en Angleterre, pour lui annoncer leur choix. Il accepta, sans hésiter, cette mission, se rendit à Douvres, où il essuya encore, avant de s'embarquer, les vexations et les insultes des douaniers, qui cherchaient

ainsi à bien mériter du gouvernement; mais il franchit enfin le canal, et aborda heureusement sur la plage, où le peuple était accouru en foule pour le recevoir. Vingt minutes après son départ de Douvres, l'ordre de l'arrêter y arriva, dit-on, de Londres. Il reçut, dès son entrée en France, les plus éclatans témoignages de cette faveur passagère, qui devait bientôt se changer pour lui, comme pour tant d'autres idoles d'un peuple inconstant et passionné, en haine et en persécution. La garnison de Calais était sous les armes, un officier lui présenta la cocarde aux trois couleurs, et une des plus jolies femmes de la ville l'attacha à son chapeau. Des salves d'artillerie annoncèrent son arrivée; il fut conduit, aux cris multipliés de Vine Thomas Payne, à l'hôtel-de-ville, où le maire, à la tête de la municipalité, reçut et harangua le nouveau représentant du peuple français. Celui-ci malheureusement ne savait point s'exprimer dans la langue de ses commettans, et ne put témoigner sa reconnaissance que par gestes et en portant sa main sur son cœur. Au théâtre, à la Société dite constitutionnelle, et partout où on le promenait, les mêmes témoignages d'amour et de vénération lui étaient prodigués. Il fallut, à la seconde séance de la société des amis de la constitution, abandonner le local insuffisant des Minimes, où elle s'était réunie jusqu'alors, et se transporter dans la grande église, tant l'empressement des curieux, accourus de toutes parts, était extrême. D'autres départemens se

disputèrent le publiciste anglais, et les villes de Beauvais, d'Abbeville, et de Versailles, le nommėrent leur représentant; mais il opta pour le département du Pasde-Calais, qui l'avait élu le premier. Arrivé à Paris, il publia une adresse au peuple français, pour le remercier de sa confiance et de l'insigne honneur dont son choix l'avait comblé. Mais à cet honneur, prodigué en même temps à des Marat, des Couthon, des Robespierre, se bornèrent tous les succès de Payne en France. Il ne joua qu'un rôle subalterne à la convention nationale, où il ne put parler que par interprête; et quand dans le procès de Louis XVI, il osa depuis braver courageusement la faction dominante, la perte du député étranger fut résolue. Ce républicain exalté et réputé si farouche, qui avait puissamment contribué à la chute de la royauté dans le nouveau monde, et qui venait d'adresser une lettre aux Anglais, dans laquelle il disait que « leur gouvernement » était le type de la corruption, et qu'ils n'avaient besoin ni d'un >> maître Guelphe, ni de ses fils >> prodigues, pour les gouverner, » Payne se declara hautement contre la peine de mort, qu'on montrait le funeste dessein de prononcer contre le roi. Robespierre avait vainement compté sur ce suffrage; Payne vota pour le bannissement après la paix, et quand, malgré ses efforts, la mort fut prononcée, il demanda l'appel au peuple, le sursis à l'exécution, et fit imprimer son opinion fortement motivée. Un pareil vote. pouvait à cette époque être con

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sidéré comme un acte de courage, et l'Anglais qui, en cherchant à sauver le roi, se mettait en opposition si manifeste avec un parti puissant, ne'se dissimulait point qu'il courait plus de dangers que les nationaux. Depuis long-temps Marat reprochait à Payne de n'avoir que les principes d'un quaker, et un des premiers usages que fit Robespierre du pouvoir qu'il usurpa, fut de le faire exclure de la convention comme étranger. Le département du Pas-de-Calais, oubliant tous les honneurs qu'il lui avait rendus, se hâta alors de faire passer une adresse à la convention, dans laquelle il déclarait que Payne avait perdu la confiance de ses commettans et s'en était rendu indigne. Robespierre ne borna point là sa vengeance; sans se laisser arrêter par la considération du plaisir extrême qu'il allait faire au parti. de la haute aristocratie, ou peutêtre même pour satisfaire à la vengeance de ce parti avec lequel tant de personnes ont cru qu'il eut des relations secrètes, il fit incarcérer l'ex - député au Luxembourg, et tint long-temps le glaive suspendu sur sa tête. La victime allait enfin être immolée, quand le g thermidor vint frapper le sacrificateur. Après onze mois d'une dure captivité, et sur les instantes réclamations de M. Monroe, au nom du gouvernement américain dont il était le ministre en France, Payne fut enfin rendu à la liberté; il reprit sa place à la convention le 8 décembre 1794; lui fit hommage d'un nouvel ouvrage Sur les premiers principes du gouvernement, Paris, 1795;

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