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lande, et jusqu'en Italie. Le sanguinaire vainqueur d'Ockzacowet de Praga, qui avait déjà immolé tant de Turcs et de Polonais, fut choisi de préférence pour exterminer non moins de Français. Souwarow marcha à la tête de 80,000 Russes au-delà des Alpes, et remporta d'abord de grands avantages, qui excitèrent au plus haut point en l'âme de son maître, les espérances et la soif d'une gloire nouvelle. Mais ces vœux furent déçus après la plus brillante campague, le vainqueur de la Trébia vit flétrir tous ses lauriers, dans les montagnes de l'Helvétie. Le général Korsakow, qui jouissait aussi dans le Nord d'une haute réputation militaire, fut à son tour outrageusement battu à Zurich. Les Russes se plaignirent alors, non de leurs chefs, mais de leurs alliés, qui les avaient abandonnés, disaientils, avec perfidie,et parurent moins irrités contre leur vainqueur Masséna que contre l'archiducCharles. Le corps russe fourni aux Anglais pour les aider à soumettre la Hollande, ne fut pas plus heureux. Battu à Bergen par le général Bru

ne,

engagé imprudemment dans une mauvaise position, où le duc d'York, qui eut tant de peine à se sauver lui-même, ne put le secourir, ce corps fut obligé de capituler en entier, et les Français virent avec étonnement arriver chez eux les nombreux convois des premiers prisonniers de guerre russes. Paul, mécontent de ses généraux, mais indigné contre ses alliés, se livra au plus violent courroux. Il rappela d'abord ses armées; le vieux Souwarow eut ordre de ne point se présenter devant lui, et alla bien

tôt mourir de douleur dans la disgrâce et l'exil. Paul signala ensuite de la manière la plus éclatante sa colère envers les cabinets de Vienne et de Londres : il avait pour sa part agi avec impétuosité, mais avec franchise et désintéressement; c'était contre la république française et pour les intérêts monarchiques qu'il avait pris les armes; il ne voulait dépouiller aucun roi, et ne prétendait à rien pour lui-même, si ce n'est au protectorat de l'ordre de Malte, dont il venait de se proclamer le grand maître. Mais il voyait avec indignation que l'Autriche voulait s'agrandir en Italie aux dépens du roi de Sardaigne et du pape, et que l'Angleterre éprouvait aussi la soif des conquêtes. Cette dernière puissance avait en outre eu le tort de contrarier ses projets sur Malte, et Paul y attachait la plus haute importance. Ses idées chevaleresques lui faisaient envisager comme un avantage inappréciable, la gloire d'exercer sa suprématie sur toutes les noblesses de

l'Europe, et de voir une foule d'illustres familles lui donner leurs enfans en otage, sous le titre de chevaliers. Aussi, se hâtat-il, quoique marié et professant la religion grecque, de se déclarer le chef d'un ordre catholique, composé de célibataires; il en distribua avec profusion les décorations à des luthériens, à des calvinistes, et indistinctement à des membres de toutes les communions chrétiennes. Peut-être à cet acte, alors taxé de folie, joignait-il de plus hautes vues politiques; peut-être voulait-il donner à la marine et au commerce

de la Russie un boulevart au milieu de la Méditerranée. Les coalisés se flattèrent un moment de le ramener,mais leurs soumissions furent vaines, et les explications que donnèrent leurs ministres ne lui parurent ni franches ni suffisantes. Il intima brusquement l'ordre aux ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre de quitter ses états dans le plus bref délai, rappela les siens, et rompit toute liaison avec ses anciens alliés. Bien plus, pour mieux les braver, il contracta une alliance avec leur ennemi, envoya en ambassade le général baron de Sprengporten, auprès du premier consul Bonaparte, qu'il reconnut formellement en cette qualité, et professa hautement son adıniration pour le chef de la république française, dont il fit placer avec solennité le buste dans son nouveau palais de Michaïlowitsch. Dès-lors Paul Ier retira toute protection aux princes français. Il avait reçu avec éclat Monsieur, frère de Louis XVI,dans ses états,et avait assigné pour résidence à ce prince le palais de Mittau, où il devait vivre avec la magnificence d'un souverain. Le prince de Condé, qui avait si bien accueilli le grand-duc à Chantilly, fut traité avec non moins d'égards et de générosité. Paul avait signé le contrat de mariage du duc d'Angoulême, et ordonné qu'une copie en fût déposée dans les archives du sénat de Russie. Maintenant ces dispositions changèrent totalement. Aux honneurs succédèrent les outrages, et la cour de Mittau eut ordre, au milieu de la saison la plus rigoureuse, de sortir sur-le-champ

des états de l'empereur. Ses anciens alliés, abandonnés à leurs seules forces, crurent prudent de traiter à leur tour avec son nouvel et grand ami le premier consul, et les paix d'Amiens et de Lunéville furent conclues. En changeant son système de politique extérieure, malheureusement pour lui Paul ne songea point à alléger le joug de fer qu'il faisait peser sur ses sujets. Toutes les délations étaient accueillies par un prince aussi soupçonneux que violent. Un rejeton de cette race féconde, qui pullule sous les maîtres enclins à la rigueur, le procureurgénéral Obuljaninow, dirigeait la police et l'expédition secrète, espèce de tribunal d'inquisition. Le secret des lettres était violé par lui, et les plus innocentes se trouvaient souvent interprétées d'une manière funeste à leurs auteurs. C'est ainsi qu'un vénérable pasteur de Dorpat en Livonie, sur la dénonciation du nommé Tumanski, délateur attitré à Riga, reçut le knout, et fut envoyé travailler aux mines en Sibérie pour une communication insignifiante. Des officiers, des hommes de tous les états, éprouvèrent un sort pareil, pour des délits aussi peu graves. Obuljaninow ne cherchait qu'à irriter le monarque et à multiplier les victimes. Les exilés les plus favorisés étaient expédiés à Tobolsk ou à Irkutzk, dans des voitures du pays ou des kibitkes découvertes, mais d'autres en grand nombre étaient forcés d'aller à pied, enchaînés deux à deux, et escortés par des paysans armés qui se relevaient de village en village; ils restaient souvent plus de six

mois en route. Ceux dont on craignait le désespoir, portaient autour de leur cou une fourche de bois dont le manche gros et pesant leur tombait sur la poitrine, descendait jusqu'aux genoux, et dans lequel étaient pratiqués deux trous remplis par leurs mains, qu'on y avait fait entrer de force, digne invention du procureurgénéral, chef des expéditions publiques et secrètes! Les plus coupables, qui sont ordinairement envoyés aux mines de Nertschinski, avaient, après avoir subi le supplice du knout, eu les narines fendues. Un des plus fervens adorateurs du pouvoir absolu, le célèbre dramaturge Kotzebue, avait aussi, par une de ces méprises singulières du despotisme, qui frappe parfois ses propres partisans, été envoyé en Sibérie. Mais, après un court exil de quel ques mois, il en fut rappelé par l'empereur même, qui le combla de richesses et d'éclatantes faveurs. Kotzebue devint dès-lors son panégyriste. Cependant dans un ouvrage plein d'adulation pour ce monarque comme pour son successeur, et dans lequel il essaie de réfuter l'auteur des Mémoires secrets sur la Russie, Kotzebue s'exprime ainsi qu'il suit sur sa position, toute brillante qu'elle était devenue: « Hélas! mes alarmes, mes inquiétudes personnelles, m'étaient communes avec tous les habitans de Saint-Pétersbourg. Des méchans abusant de la confiance et des bontés d'un monarque qui ne voulait que le bien, n'étaient occupés qu'à lui présenter des fantômes de choses, qui non

seulement n'existaient pas, mais auxquelles ils ne croyaient pas eux-mêmes. Je ne me couchais jamais qu'avec les plus noirs pressentimens; à chaque voiture qui s'arrêtait dans le voisinage, un tremblement involontaire s'emparait de tout mon corps..... Si je sortais, j'étais dans une anxiété mortelle de me trouver sur le passage de l'empereur, et de ne pouvoir assez vite me précipiter hors de ma voiture. Je veillais avec une attention particulière à la couleur, la coupe et la façon de mes habits... J'étais obligé de faire la cour à des femmes d'une réputation équivoque, à des hommes bornés, sans vertus, sans talens. Ne me fallait-il pas encore supporter l'insolence d'un ignorant maître de ballets (le mari de l'actrice M Chevalier, qui jouis-. sait de toute la faveur de Paul) ? Si l'on donnait un ouvrage nouveau, je tremblais que l'inquisition secrète, ou la police, ne me fit un crime, et ne me rendît responsable d'un passage innocent, que des perfides auraient trouvé dangereux. Si ma femme tardait à rentrer, je me disais, peut-être n'est-elle pas descendue assez vite de voiture devant l'empereur, peut-être l'a-t-on conduite dans une maison d'arrêt. La consolation d'épancher mes peines dans le sein d'un ami m'était refusée : tous les murs avaient des oreilles; le frère n'osait plus se fier à son frère; point de lecture, les livres étrangers étaient généralement défendus; je n'osais écrire : ne pouvait-on pas, d'un moment à l'autre, saisir mon portefeuille et mes papiers?.... les promenades

les plus riantes, loin d'offrir quel que dissipation, ne présentaient que le spectacle déchirant des infortunés que l'on venait d'arrêter, et que l'on conduisait pour recevoir le knout.»..Ce tableau, tracé par une main amie, et depuis lors constamment occupée à flatter le fils de son bienfaiteur et les souverains de l'Allemagne, peut donner quelque idée de l'existence habituelle des habitans de l'empire, à la fin du règne de Paul Ïer. Mais il est un terme à toute patience humaine, et un tel état de choses ne pouvait se perpétuer indéfiniment, même en Russie. Quand un seul fait trembler tous pour leur liberté et pour leur vie, il peut à son tour trembler pour son propre sort. Malgré sa vigilance et les plus rigoureuses précautions, malgré l'inquisition secrète, les polices si chèrement payées, les délateurs et les espions, des complots se forment. Si les premiers échouent, d'autres mieux combinés leur succèdent, jusqu'à ce qu'enfin un dernier réussisse. Dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, des hommes déterminés à tout sacrifier, et sachant bien qu'ils seraient dès le jour suivant déchirés par le knout s'ils échouaient dans leur entreprise, marchèrent vers le palais de l'empereur. Des troupes de toutes les armes, soldats, grenadiers de la garde, hussards du corps, cosaques, garde maltaise, etc., distribués en postes divers, garnissaient et les dehors et l'intérieur de ce palais. Les conjurés y entrèrent cependant, et pénétrérent jusqu'à la chambre où dormait le monarque. Une sentinelle

voulut leur en interdire l'entrée, elle tomba morte à leurs pieds; Paul au premier bruit s'était sauvé presque nu et par un escalier en limaçon devenu célèbre,

un

dans

cabinet où se plaçaient les drapeaux des régimens des gardes. Les conjurés se crurent un moment perdus,mais un d'entr'eux découvrit son maître enseveli sous les vains insignes d'une force qui ne pouvait plus le défendre. Le général-commandant de la garnison de Saint-Pétersbourg arriva bientôt à la tête d'un nombreux corps de troupes, on proclama un nouvel empereur, Paul I avait cessé d'exister. Le 12 mars dès la pointe du jour, l'avénement d'Alexanre au trône de son père se répandit dans toute la ville; les grands de l'empire coururent en toute hâte au palais d'Hiver, se prosterner devant le nouveau souverain, qui montraitla plus vive douleur de l'évènement terrible, qu'il n'avait pu prévoir ni empêcher; mais le peuple se livra à des transports de joie, et l'allégresse était générale; le soir, la ville de Saint-Pétersbourg fut en entier illuminée. Le procureur-général Obuljaninow ne fut que renvoyé, traitement bien doux, comparé à ceux qu'il avait fait esssuyer à ses nombreuses victimes; l'expédition secrète, ce terrible fléau de la société, fut supprimée; l'actrice Chevalier garda ses trésors, mais eut ordre de sortir de l'empire; les prisonniers des forteresses de Pétersbourg, de Cronstadt, etc., furent remis en liberté; les exilés en Sibérie, furent rappelés; on courait, on s'embrassait dans toutes les rues, et l'on entendait retentir de toutes parts

ces mots, Nous n'aurons plus le knout, nous n'irons plus en Sibé

rie.

PAULIN ( AIMÉ-HENI), physicien, naquit à Nimes, département du Gard, le 10 mars 1722. Il fit ses études chez les jésuites, fut admis dans leur société, et professa la physique pendant plusieurs années dans un de leurs colleges. Cette société ayant été supprimée, le P. Paulin rentra dans la vie privée, où il se consacra exclusivement aux sciences, et mourut dans sa ville natale, le 17 juillet 1802. Les ouvrages que ce savant a composés sont généralement estimés; ce sont: 1o Dictionnaire de physique, 5 vol. in-8°, 9 éditions de 1761 à 1782; 2° Dictionnaire des nouvelles découvertes faites en physique, 1787, 2 vol. in-8°; 3° Nouvelles conjectures sur les causes des phénomènes électriques, 1762, in-4; 4° Traité de paix entre Descartes et Newton, 1764, 3 vol. in - 12 ; 5° Système général de philosophie, 1769, 4 vol. in-12; 6" Dictionnaire philosopho - théologique, 1774, in - 4o; 7° Guide des mathématiciens ou Commentaires des leçons de mécanique de La Caille, 1772, in-8°; 8° Véritable système de la nature, 1788, in-8°; 9° Commentaire sur l'analyse des infinimens petits de l'Hôpital, Paris, 1768, in-8°.

PAULMIER (LOUIS - PIERRE), instituteur des sourds - muets de l'institution royale de Paris, élève et collaborateur de l'abbé Sicard, est né à Conches, département de l'Eure; il montra dès sa jeunesse un grand désir de s'instruire, et fut surpris dans le cours de ses études par la première réquisition. Il allait partir pour la Vendée, lorsque

l'administration du district de Vernon le chargea de conduire 42 voitures à l'armée du Nord; il y fut employé dans les bureaux, et enfin licencié comme tous les autres employés de l'armée par suite de la paix. Il vint à Paris; mais en sa qualité de réquisitionnaire, il dut repartir pour l'armée. S'étant rendu à Toulon, il fut nommé greffier d'un conseil de guerre, emploi qu'il occupa quatre années. De retour dans la capitale, il entra en qualité de répétiteur à l'institution des sourds-muets: son ardeur à remplir ses devoirs et à étudier la méthode de l'institution, intéressa M. l'abbé Sicard, qui après avoir prodigué pendant quinze ans à M. Paulmier ses soins coinme son protecteur et son maître, disait de lui à Mme Dufresnoy, avec la bienveillance et la gaîté de l'amitié, que Paulmier avait été créé et mis au monde pour être instituteur des sourds muets. L'un

des administrateurs de l'institution, dit aussi un jour à cette femme célèbre, que cet élève de l'abbé Sicard avait soutenu l'honneur de l'institution à l'époque où les souverains alliés étaient à Paris (1814 et 1815). En effet, M.. Paulmier exposa la méthode à une foule d'étrangers de marque qui vevenaient visiter l'institution des sourds - muets. M. Sicard assistait rarement aux leçons plus de dix ans avant sa mort, c'était M. Paulmier qui les dirigeait, et qui expliquait la méthode à toutes les personnes que M. Sicard lui adressait aux classes. Il a reçu des princes, des ambassadeurs, le prince et la princesse de Danemark, le prince et la princesse Gagarine,

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