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ne, ne préparaient point à Paul une enfance heureuse. Il ne connut jamais l'affection d'un père, et la soif de régner, qui dévora bientôt l'ambitieuse Catherine, laissait peu de place à la tendresse maternelle dans une âme aussi avide du pouvoir que jalouse des droits bien légitimes qui pouvaient être opposés à ses voeux. L'éducation du jeune prince ne fut cependant point entièrement négligée. Tout ce qui avait rapport à son instruction fut confié au célèbre et savant physicien Epinus, et on lui donna pour gouverneur le *comte Panin, dont les égards et les tendres soins auraient dû lui mériter toute la reconnaissance de son élève. L'impératrice Élisabeth, après une réconciliation avec la grande-duchesse Catherine, qui avait été long-temps en disgrâce, se rendit un jour seule avec cette princesse et le jeune Paul au spectacle, présenta l'enfant aux gardes qu'on avait fait entrer au parterre, et le leur recommanda comme leur futur souverain. Cette scène, à laquelle le grandduc Pierre n'avait point été admis, excita son ressentiment, en même temps qu'elle produisit une vive sensation dans le public. Bien des yeux se tournèrent dèslors vers Catherine, qui, en faisant naître de nouvelles espérances, el en caressant adroitement de nouvelles ambitions, sut bientôt se créer un parti puissant. Au lit de mort de l'impératrice Elisabeth, une réconciliation apparente eut cependant lieu entre les deux époux. Tous deux, agenouillés devant la souveraine mourante, reçurent sa bénédiction,

suivie des plus touchantes exhor

tations de vivre désormais en bonne intelligence. Ils le promirent; mais les sermens prodigués par tous deux pendant cette scène solennelle, furent oubliés peu de jours après. Pierre III, parvenu au trône, ne montra plus que de l'aversion pour son épouse, et même pour son fils, qu'il résolut dé désavouer publiquement par un ukase impérial. La révolution qui mit un terme au règne et à la vie de l'infortuné Pierre III, en 1762, sauva, il est vrai, le prince, mais couronna sa mère. Il paraissait bien naturel que le fils, né pendant l'union de Pierre avec Catherine, montât sur le trône. Quelques voix se firent entendre en sa faveur, mais elles furent soudain étouffées, et celle qui avait souvent dit qu'elle préferait le titre de mère de l'empereur à tout autre, et qui devait, selon plusieurs de ses partisans alors les plus dévoués, se contenter du titre de régente et ne régner que pendant la minorité de son fils, fut proclamée impératrice, et solennellement couronnée dans l'église de Kazan , par l'archevêque de Novogorod. Le grand-duc Paul fut réduit au rang de sujet, et resta pendant vingt et quelques années le sujet le plus fidèle et le fils le plus soumis. Confiné dans son palais de Gatschina; éloigné de toute participation au gouvernement intérieur, comme aux opérations du dehors pendant un long règne si fécond en entreprises politiques et militaires; peu respecté, pour ne rien dire de plus,des divers favoris de sa mère; environné .de suggestions ambi

tieuses, chéri du peuple et des soldats, il n'en persista pas moins dans une obéissance passive, et repoussa toujours loin de lui tous les projets tendans à porter la moindre atteinte à l'autorité d'une souveraine, dont il n'ignorait point cependant que le rang et le pouvoir auraient pu lui appartenir. En 1774, le grand duc épousa une fille du landgrave de Hesse - Darmstadt, princesse aimable et spirituelle, qu'il eut le malheur de perdre au moment où elle allait le rendre père. Il chérissait tendrement sa femme; mais l'impératrice ne paraissait point l'aimer, et le favori du jour avait usé de toute son influence pour enlever à la grande-duchesse le crédit et la faveur que ses qualités distinguées auraient pu lui obtenir à la cour. A son lit de mort, cette princesse avait appelé une de ses dames-d'honneur, en qui elle avait la plus grande confiance, et lui avait remis une cassette contenant une correspondance, très-innocente sans doute, mais aussi très-piquante et dans laquelle on s'exprimait librement sur les intrigues de la cour et sur le compte des personnes du plus haut rang. Quelques faiblesses ou travers du grand-duc même, étaient malignement relevés. Au lieu de détruire ces lettres, ainsi qu'il lui avait été ordonné, la dame-d'honneur porta la cassette à l'impératrice, qui, pour consoler son fils plongé dans la plus vive douleur, se hatâ de la lui envoyer. L'effet fut immédiat, dit-on. L'imprudent correspondant de la grande-duches

se, le jeune comte Razoumofsky,

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fils de cet hetman des cosaques qui avait rendu d'éminens services à Catherine lors de la révolu tion qui la plaça sur le trône, fut éloigné de Pétersbourg et envoyé en qualité de ministre de Russie auprès de la cour de Naples. La reine Caroline chercha à le consoler de sa disgrâce, et il obtint encore de brilians succès en plus d'un genre à cette cour, ainsi que dans les autres missions diplomatiques dont il fut successivement chargé à Stockholm, et en dernier lieu à Vienne. A peine les funérailles de la première grande-duchesse furent-elles achevées, qu'on songea à la remplacer; le prince Henri, frère du grand Frédéric, venait d'arriver à Pétersbourg; Catherine le chargea de négocier de suite un mariage entre le grandduc et la princesse de Wurtemberg, nièce du roi et du prince de Prusse. Les conditions en furent bientôt stipulées; le grand-duc accompagna le prince Henri à Berlin, et reçut sa nouvelle épouse des mains de Frédéric II, qui avait saisi avec le plus grand、 empressement l'occasion de resserrer de plus en plus les liens qui l'unissaient à la Russie. La nouvelle grande duchesse parut à Saint-Pétersbourg en 1776 dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté. Les grâces de sa personne attiraient tous les regards et sa bonté lui gagnait tous les cœurs. Sa conduite ne cessa d'être un modèle de sagesse, et ses vertus, qui auraient pa servir d'exemples dans la cour la plus austère, furent au moins respectées, sinon imitées dans celle de Catherine II. Ces vertus ne se sont jamais démen

ties dans les différens états où le sort a placé l'impératrice Marie, comme femme, veuve et mère d'empereurs. Une nombreuse pos térité, quatre fils et cinq filles, devinrent les fruits de l'union de cette princesse avec le grand-duc. Bientôt la fastueuse Catherine, contente cette fois de sa bellefille, voulut montrer à l'Europe les héritiers de son trône dans tout leur éclat. Un voyage d'apparat fur ordonné en 1781, et les heureux époux, sous le nom de comte et de comtesse du Nord, suivis d'un brillant cortége, parcoururent la Pologne, l'Autriche, l'Italie, la France et la Hollande. A Naples, le grand-duc retrouva ce comte Razoumolsky, dont il croyait avoir à se plaindre, et fut forcé de se faire présenter par lui à la cour; mais il témoigna publiquement toute l'aversion qu'il éprouvait, et ne lui adressa jamais la parole; les fêtes les plus splendides furent prodiguées à Versailles aux illustres voyageurs. Le prince de Condé leur en donna une non moins brillante à Chantilly; partout les souverains leur firent le même accueil, et la foule se pressait en tous lieux sur leur passage. C'était peut-être l'époque la plus heureuse de la vie d'un prince destiné à devenir l'autocrate de toutes les Russies, mais qui devait régner avec si peu de bonheur, et finir d'une manière si déplorable. Le voyage dura 14 mois, et coûta des sommes immenses. Le grand-duc était entouré d'observateurs dévoués à sa mère; des courriers expédiés à de courts intervalles rendaient compte de chaque fait, de chaque parole

même, qui lui échappait. A son retour à Pétersbourg, il fut, ainsi que son épouse, reçu avec une grande ostentation de tendresse, et rentra bientôt dans sa retraite de Gatschina, où le désœuvrement et l'ennui le firent souvent se livrer aux occupations les plus futiles. Las enfin de harasser d'exercices et de petites manœuvres à Gatschina, la faible troupe qu'on y avait abandonnée à ses plaisirs, le grand-duc désira passionnément s'illustrer par de plus beaux faits d'armes. Mais cette ardeur guerrière n'obtint jamais l'assentiment d'une mère soupçonneuse. Elle savait trop bien à quoi l'on peut entraîner le soldat. En 1788, lorsque la guerre fut de nouveau déclarée aux Turcs, Paul sollicita avec de vives instances la permission de se rendre à l'armée. « Toute l'Europe, écrivit-il à l'impératrice, connaît le désir » que j'ai de combattre les Ottomans; que dira-t-elle quand elle apprendra que je ne puis le fai >> re? » Catherine ne répondit que par ce peu de mots : « L'Europe dira que le grand-duc est un fils »respectueux. » Elle lui permit, il est vrai, quelque temps après, de se montrer un moment à l'armnée de Finlande, mais l'héritier de l'empire n'y eut pas même un seul régiment à ses ordres. Privé de tout commandement, entouré d'espions, abreuvé de dégoûts, il tomba malade, et revint plus humilié que jamais dans son château de Gatschina. Paul venait d'accomplir sa 42 année, quand sa destinée changea en un moment. Une apoplexie foudroyante termina, le 17 novembre 1796, la

mortuaire. Tous les regards s'attachèrent à eux pendant les longues heures que dura cette scène extraordinaire. On crut que Paul Ier pousserait encore plus loin sa vengeance. Il eut avec Orloff un entretien remarquable. « Vous de» vez, lui dit-il, avoir éprouvé de >> terribles remords.-Czar, répon»dit Orloff, si je n'en avais pas a

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longue et brillante carrière de Catherine H, et son fils, proclamé empereur sur-le-champ, passa, dans la même journée, de la sujétion la plus complète, au pouvoir le plus absolu. Le peuple, qui à chaque changement de maître espère quelque amélioration à son sort, était dans l'ivresse de la joie. On croyait généralement qu'un prince qui avait eu si»gi comme je l'ai fait, vous ne selong-temps à souffrir des rigueurs et des caprices du despotisme, se les interdirait à lui-même, et qu'un sujet qui avait fait preuve de sagesse et de modération, deviendrait un souverain, humain et magnanime. Mais les passions impétueuses de Paul, pour avoir été long-temps comprimées par la terreur que lui inspirait sa mère, n'étaient nullement amorties, et, avec les moyens de les satisfaire, il se livra bientôt à toute leur fougue. Les premiers actes de son gouvernement révélèrent déjà la bizarrerie de son caractère. Tout en ordonnant des obsèques magnifiques à sa mère, il déclara que l'empereur Pierre III avait été injustement frustré après sa mort des honneurs qui lui étaient dus. Il fit exhumer les restes de ce prince enseveli depuis 35 années, et procéda de nouveau avec le plus grand éclat à ses funérailles. Les deux époux si désunis de leur vivant, devaient être ainsi réunis après leur mort. Pour ajouter à l'effet dramatique de cette cérémonie funèbre, il ordonna que les deux individus qui existaient encore, et qui passaient pour avoir eu part à la fin tragique de Pierre III (Alexis Orloff et Baratinsky), tinssent le drap

»riez pas dans le cas de me parler < aujourd'hui en souverain. Vous »> ne pouvez pas ignorer que Pier»re III avait rendu un ukase par »lequel il déclarait que »n'étiez pas son fils. » Le comte Alexis Orloff eut ensuite ordre de sortir des états de l'empereur, et ne revint en Russie qu'après la mort de Paul I. Tout changea bientôt de face dans l'empire. La plupart des anciens serviteurs dévoués à Catherine furent privés de tout emploi, et d'autres furent exilés. Les hommes qu'elle avait disgraciés jouirent de la plus haute faveur. L'empereur dans un de ces momens de justice et de générosité qui succédaient assez fréquemment chez lui à des actes de rigueur, brisa les fers du brave Kosciusko et de ses frères d'armes, plongés encore dans les cachots, et rendit aussi la liberté à tous les malheureux Polonais qui avaient survécu à leur exil dans les déserts de la Sibérie. De nombreux changemens furent introduits dans toutes les branches de l'admininistration, et principalement dans l'armée, dont il changea les uniformes et jusqu'à la coiffure. Toutes les têtes furent poudrées, et de longues queues furent attachées aux cheveux

courts des soldats. On était sûr de mériter la faveur du prince quand on paraissait devant lui avec un habit militaire exactement pareil à celui qu'il avait adopté pour lui-même. Le vieux Souwarow ne put cacher son mécontentement, et disait avec naïveté : « De >> la poudre aux cheveux, ce n'est » pas de la poudre à canon, et des » queues ne sont pas des baïonnet»tes. >> Des ordres sévères interdirent l'usage des chapeaux ronds, les pantalons furent aussi rigoureusement proscrits, tout ce qui venait de France était réputé révolutionnaire, et les moindres transgressions aux nouvelles or donnances sur le costume, étaient souvent punies par le knout ou l'exil en Sibérie. L'empereur voulait aussi que toutes les personnes qui se trouveraient sur son passage descendissent aussitôt de voiture, et se prosternassent devant lui. Ce nouvel ordre donna lieu à une foule de vexations que se permirent des hommes à la suite du souverain, et indisposa la noblesse, le haut commerce et tous les gens à équipages de SaintPétersbourg. La femme d'un des principaux négocians, qui avait aperçu de loin la voiture de l'empereur, crut pouvoir éluder l'ordre en faisant tourner la sienne, et prendre une autre rue pour éviter la rencontre. Mais un aidede-camp l'atteignit bientôt, et la conduisit sur-le-champ dans une maison de correction; là, cette dame fut fouettée, et après cet indigne traitement, Paul la fit renvoyer à son mari. Dans un beau et louable mouvement de zèle pour la vérité, l'empereur

fit établir à côté de l'escalier de son palais un bureau destiné à recevoir toutes les lettres qu'on voudrait lui écrire, annonçant qu'il n'en laisserait aucune sans réponse. Sous ses prédécesseurs, quiconque s'adressait directement au souverain courait de grands risques; mais il renonça bientôt au pénible soin de prendre quelque connaissance des. nombreuses réclamations qui lui furent ainsi adressées; et l'on perdit alors tout espoir d'obtenir par cette voie le redressement des torts graves de cette foule d'agens subalternes du pouvoir absolu, toujours aussi impérieux, et souvent plus injustes que leur maître même. La politique extérieure se ressentit à son tour de la véhémence que mettait Paul Ier dans toutes ses opérations. Catherine II s'était montrée fort opposée aux principes qui avaient prévalu en France en 1789; mais elle s'était bornée à des démonstrations, des promesses, et à des secours donnés aux émigrés; elle n'avait point jugé à propos de faire marcher ses armées; ce n'était point vers l'occident qu'elle portait de prédilection ses vues. Son fils traita ce système de pusillanime, et embrassa avec une toute autre

chaleur, ce qu'il appelait la cause des rois. Il déclara la guerre à la France, et voulait en quelque sorte être considéré comme le chef de la puissante coalition formée contre elle. Il y avait bien des droits par les immenses sacrifices qu'il imposait à ses sujets et par les nombreuses armées qu'il lança du fond du Nord, dans le midi de l'Europe, en Suisse, en Hol

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