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inspirait une muse facile et précoce; et, quelle que fat la faiblesse de ces premiers essais, ils annonçaient le poète et le firent juger digne d'être admis au nombre des restaurateurs de l'ancienne académie des Trasformati. Il s'y déclara le protecteur de Parini, dont l'admission éprouvait quelque difficulté, et ses conseils ne furent pas inutiles au chantre du Giorno. Doué d'un caractère heureux qui le tenait à l'abri des embarras et des ennuis de la vie sociale, et ayant une facilité extraordinaire pour la versification, il conçut le projet, et trouva le loisir d'écrire un long poëme héroï-comique sur la vie de Cicéron. Il en lut les premiers chants à l'académie des Trasformati; il en récita d'autres à celle des Arcades, qui l'avait accueilli dans son sein, lors d'un voyage qu'il avait fait à Rome, où il avait suivi Mgor. Lucini, qu'il accompagua de même à Cologne. Le Cicéron de Passeroni est dans le genre de Tristramshandy, c'est-à-dire, une feinte biographie, où ayant l'air de raconter les traits de la vie d'une personne, on se perd en divagations pour parler de choses disparates et étrangères au sujet. Ce poëme se compose de 101 chants, qui contiennent 11097 octaves; et dans un si long travail, la vie de Cicéron ne forme qu'un petit épisode, presqu'imperceptible, au milieu des détails sans nombre, dont il l'a surchargée. On pourrait l'appeler une jaserie en vers, qui pourtant ne manque pas de but, car Passeroni attaque souvent les vices et les ridicules de son temps; mais il le fait sans amertume ni fiel; il mord et ne

blesse pas. Son style est comme le caractère de l'auteur, simple, modeste, et enjoué : sa muse se montre badine partout, ambitieuse nulle part: la spontanéité est son mérite, la prolixité son défaut. C'est pourtant Passeroni que Parini, le plus concis de tous les poètes italiens après Alfieri, consultait pour la correction de ses vers. Ce qui peut aider à expliquer l'état actuel de découragement des lettres en Italie, et faire apprécier les avantages des lois, qui garantissent la propriété des auteurs, c'est que lorque Sterne se rencontra avec Passeroni à Milan, il demanda à celui-ci ce que son poëme lui avait rapporté. «Je

n'aurais, répondit Passeroni, qu'à >> vous conduire dans les magasins » de mon libraire, pour vous mon»trer la plus grande partie de mon édition, dont l'écoulement a été »rendu impossible par la quantité >> des contrefaçons exécutées en » Italie même. » Plus heureux Sterne voyageait en grand seigneur avec le produit de son manuscrit. Passeroni, n'ayant pour subsister que le revenu de ses messes, se soumettait à beaucoup de privations: il était très-sobre, se servait lui-même, et quant à son habillement, il était ordinairement en lambeaux sa vie était tout-àfait poétique. Ses amis échouaient auprès de lui, toutes les fois qu'ils essayaient de lui faire accepter quelque secours. Animé par un esprit de pauvreté vraiment philosophique, il s'était résigné à passer toute sa vie dans l'indigence. S'il lui arrivait parfois de gagner quelque somme d'argent, il se montrait tout empressé de la

répandre en aumônes : ce qu'on lui vit faire, lorsque la république cisalpine lui fit remettre un rouleau de 40 séquins. S'étant rendu chez un ami pour le prier de lui indiquer quelque honnête homme tombé dans le besoin, afin de lui donner cette somme : Je ne connais personne de plus indigent, ni de plus honnête que vous, lui répondit l'autre, et il obligea Passeroni de garder son argent pour luimême. Passeroni, non content d'avoir fait un long poëme sur Cicéron, pour donner, à ce qu'il prétendait, le modèle de l'orateur, se proposait d'en commencer un autre sur Pétrarque, dans la vue de présenter celui du poète. Il a laissé aussi sept volumes de fables, qu'il a composées sur le retour de l'âge. En les lisant, on ne les croirait pas le fruit de sa vieillesse ; on y admire la même facilité, la même négligence, et surtout la même intempérance de faire des vers le style en est même moins correct que celui de la vie de Cicéron, et pour le rendre naïf, il l'a abaissé de manière à le rendre vulgaire. Il avait aussi trouvé moyen de composer une dizaine de volumes de poésies mêlées, ce qui fait que son héritage poétique se compose de 23 volumes. Passeroni mourut à Milan, le 26 décembre 1803. Voici les titres de ses ouvrages: 1° Il Cicerone, Milan, 1768, in - 8o, 6 vol. ; 2° Rime, ibid., 1776, 10 vol. in-12; 5° Favole Esopiane, ibid., 1779, in 12, 7 vol. Ils ont été plusieurs fois réimprimés..

PASSEWAN-OGLOU, ou PASSWAN - OGLOU, pacha de Widdin. Son grand-père, Osman, était crieur de nuit (ramoneur) à Wid

T. XVI.

din; il servit dans la guerre de 1753 contre les Russes, se fit distinguer par sa bravoure, et obtint diverses récompenses, entre autres, le fief de Parabin, en Moldavie, où il passa le reste de sa vie, occupé de l'éducation de son fils, Omar-Aga, qui parvint au grade de bassi aga, ou chef de district. Omar eut deux fils : l'un, IbrahimBey, qui s'établit négociant à Constantinople; l'autre, Osman, surnommé Pazınan Ohlu, ou Passewand-Oglou (fils du crieur de nuit ou du ramoneur). Son père, qui habitait Widdin une partie de l'année, le fit instruire dans les sciences politiques, économiques et militaires. Le jeune Osman, qui était né en 1753, joignait à une grande activité d'esprit un caractère très-violent. En 1785, étant à la campagne avec son père, il se prit de querelle avec lui, et les choses en vinrent au point que le fils s'étant mis à la tête de quelques-uns des vassaux de son père, qui lui étaient dévoués, attaqua et mit en fuite ceux qu'Omar avait armés pour sa défense. Les principaux habitans de Widdin s'interposèrent dans cette querelle, qui dura plus de 2 ans. Enfin, en 1788, le père fut réduit à demander la paix, et la réconciliation se fit. Depuis ce moment, les hommes qu'ils avaient enrôlés furent réunis en un seul corps de troupes, assez nombreux pour que ces deux hommes devinssent en quelque manière les maîtres dans la ville de Widdin, où leur autorité s'accrut de jour en jour avec le nombre de leurs partisans. Ils abusèrent tellement de leur influence, qu'ils faisaient arbitraire

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amenait les deux prisonniers, l'ordre de leur couper la tête secrètement, ce qui fut exécuté, et il fut répandu aussitôt le bruit qu'Omar était parvenu à s'échapper, et ce faux bruit calma le peuple de Widdin. Mais Passewan-Oglou, instruit de la mort tragique de son père, résolut d'en tirer vengeance. Il recruta de tous côtés des troupes en Valachie, et étant parvenu à former un corps de 2,000 hommes, il passa le Danube en 1789, et alla s'établir à Bagna (entre Nissa et Widdin), d'où il entretint, pendant quelque temps, des intelligences avec les habitans de Widdin, à l'effet d'exciter contre le pacha le ressentiment des

ment arrêter quiconque voulait s'opposer à leur volonté. La Porte, alarmée de cette usurpation de sa souveraineté, envoya contre eux, en 1788, Madmed, pacha, avec 12,000 hommes, et lui promit le pachalik de Widdin s'il parvenait å les expulser de la ville. Ils furent assiégés, pendant 3 mois, dans Widdin; mais ne pouvant résister à des forces si considérables, le père et le fils prirent le parti de se réfugier, avec 600 hommes qui leur restaient, près du prince Maurojeni, en Valachie. Celui-ci leur accorda sa protec-tion, les nomma l'un et l'autre bir bassa, commandant de 1,000 hommes, et établit Omar commandant à Czernetz, et Passe-partisans de son père, et de les wan-Oglou à Gyurgyero, avec ordre de défendre ces postes contre les Autrichiens. Omar fut bientôt après délogé de Czernetz par les troupes impériales, et se sauva avec 17 des siens sur la rive droite du Danube, où il s'établit dans le château de Kulla, à 6 lieues de Widdin. Le pacha de Widdin ne fut pas plus tôt instruit de l'apparition d'Omar, qu'il envoya 1,000 hommes, avec ordre de le prendre mort ou vif. Omar, avec ses 17 hommes, soutint l'attaque pendant 3 ou 4 jours, et reçut blessures; mais enfin, le château de Kulla fut pris d'assaut, la petite garnison égorgée, et Omar fut pris vivant avec son secrétaire, Mula- Ibrahim. Au moment où l'on apprit à Widdin cet événement, le peuple s'ameuta en leur faveur, et demanda qu'ils fussent relâchés; le pacha, craignant les suites de ce mouvement populaire, envoya au-devant du bey, qui

engager à seconder l'attaque qu'il méditait. Pendant ce temps, il continuait à faire des recrues dans la Bulgarie; dès qu'il se vit à la tête de 6,000 hommes, outre les partisans secrets qu'il avait dans Widdin, il entra de nuit dans cette ville, dont ses adhérens lui ouvrirent les portes, et s'empara de la citadelle sans coup-férir. Le pacha, tombé en son pouvoir, lui présenta pour sa justification un firman du grand-seigneur, qui lui ordonnait de mettre à mort OmarAga. Passewan - Oglou lui fit grâce de la vie, lui ordonna de licencier ses troupes, au nombre de 1,000 à 1,500 hommes, et lui permit de vivre à Widdin, conformément à sa dignité, mais sans aucun pouvoir. Devenu maître de Widdin, Passewan-Oglou en confia l'administration à Bekir-Aga, l'un de ses parens, âgé de 60 aus; et quant à lui, il se rendit avec son corps de troupes, fort de 6000

hommes, auprès du grand-visir Jus suff Pacha, qui l'accueillit parfaite meut, et lui donna encore 6,000 hommes à commander. PassewanOglou, avec ce corps de troupes, se porta sur la Morawa, pour tâcher de secourir la forteresse de Belgrade, assiégée par les Autrichiens; mais il fut attaqué par un corps de troupes impériales, qui mirent sa troupe en pleine déroute, après lui avoir tué près de 3,000 hommes, en sorte que Passewan Oglou se vit réduit à se retirer avec 500 hommes au camp du grand - visir, auprès duquel il passa encore deux mois, après quoi il retourna à Widdin, où il se tint tranquille pendant trois ans, sans s'occuper, en apparence, ni du commandement, ni de l'administration; mais enfin, il demanda au vieux Beckir-Aga compte de sa gestion, et celui-ci ayant refusé de satisfaire à sa demande, Passewan-Oglou le fit mettre à mort, et s'empara de ses biens. Cependant la Porte envoya un nouveau pacha, nommé AlchioPacha; celui-ci, ayant instruit le grand-seigneur de l'autorité qu'exerçait à Widdin PassewanOglou, soutenu par les habitans de cette ville, demandait un renfort de 12,000 hommes pour l'expulser. Il reçut pour réponse un firman, qui lui ordonnait d'envoyer à Constantinople la tête de Passewan-Oglou, mais on ne lui envoya pas les forces nécessaires pour l'exécution de ce firman. Passewan-Oglou, instruit de ce qui se passait, rassemble 2,000 hommes, attaque le pacha, qui en avait 3,000, le force de s'enfermer dans la citadelle, et le réduit bien

tôt à capituler. Le pacha, fait prisonnier, consent à licencier ses troupes, à l'exception de 300 hommes pour sa garde, et s'engage à obtenir du grand-seigneur la grâce de Passewan-Ogiou: l'un et l'autre vécurent pendant quelque temps à Widdin en assez bonne intelligence; mais dans le mois de mai 1792, Passewan-Oglou étant allé à la campagne avec 60 de ses partisans, le pacha envoya après lui 400 hommes, qui l'atteignirent dans le village de Tatesta, à trois lieues de Widdin; il y eut un combat très-vif, à la suite duquel Passewan-Oglou se trouva enfermé avec 30 des siens dans une maison, d'où il parvint à se sauver à la faveur d'un déguisement. Le pacha découvrit sa retraite, et l'attaqua de nouveau; mais PassewanOglou avait eu le temps de rassembler du monde. Le pacha fut blessé dans le combat, et fut repoussé avec perte de 200 homines. Passewan-Oglou ne perdit pas de temps à renouer ses intelligences avec les habitans de Widdin, et à renforcer ses troupes; dès qu'il eut rassemblé 3,000 hommes, il se jeta dans Widdin (en juin 1792), et après un combat assez vif, il parvint à chasser de la ville le pacha et sa garnison, et prit, pour la seconde fois, possession de la forteresse à main armée. Il est sans doute extraordinaire de voir un simple particulier, sans emploi, sans autorité légale, parvenir à se rendre maître d'une forteresse importante, s'y maintenir pendant plusieurs années, après avoir expulsé le mandataire du souverain, et remplir en même temps ses autres devoirs de sujet

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fidèle; ainsi Passewan-Oglou, après avoir commis divers actes de rebellion, va servir dans l'armée du grand-seigneur, et à son retour, il continue d'agir en maître à Widdin. Vainqueur une première fois du pacha de la Porte, il lui pardonna la mort de son père, en considération du firman qui l'y autorisait; vainqueur d'un nouveau pacha, il ne lui impose d'autre loi que de demander sa grâce au grand-seigneur ces conditions dans la conduite de Passewan Oglou s'expliquent par la nature même du gouvernement ottoman. La personne du souverain est tellement sacrée aux yeux des Musulmans, qu'un pacha rebelle, même en portant atteinte à son autorité, ne se permettrait jamais de s'écarter du respect dû à sa hautesse, et il n'aitaque ouvertement que ses mandataires, sous prétexte qu'ils sont ses ennemis personnels, ou des traîtres envers le grand-seigneur. On se rappelle qu'à l'époque de l'année 1792, l'ambassade française à Constantinople parvint à déterminer la Porte à former divers corps de troupes sur le pied euroropéen, et que cette innovation excita un mécontentement général parmi les janissaires. Peu de temps auparavant, la Porte, voulant punir de leur lâcheté et de leur insubordination les garnisons de quelques forteresses sur le Danube, et particulièrement celle de Belgrade, avait licencié les janissaires et les saphis qui les composaient, et les avait remplacés par les kersales, corps de volontaires ou de troupes irrégulières, qui ne son assujétis à au

cune discipline. Passewan-Oglou profita habilement de ces circonstances, et se montra dès-lors ouvertement le protecteur des janissaires expulsés, qui pour la plupart, étant habitans et propriétaires de maisons dans des villes, se voyaient dépouillés à la fois de leurs propriétés et de leur solde. Le zèle avec lequel il prit leur défense accrut le nombre de ses partisans dans tout l'empire, et jusque dans le divan, où il existait une secrète opposition. Dès ce moment, Passewan-Oglou devint le chef d'un parti d'autant plus puissant, qu'il reposait sur des liaisons avec tous les mécontens de la Turquie d'Europe et d'Asie, et si l'on a vu depuis ce chef combattre avec une poignée d'hommes une grande partie des forces de l'empire ottoman, ses succès doivent être attribués autant à ses intelligences secrètes avec les mécontens qui se trouvaient dans l'armée, qu'à son caractère ferme et audacieux. La Porte envoya, en 1794, le pacha Hassi-Mufti, pour conférer avec Passewan-Oglou, et savoir à quelles conditions il voulait se soumettre; mais celui-ci, soupçonnant qu'on lui tendait un piége, rompit, bientôt les conférences, et congédia le mandataire de la Porte. Peu de temps après, au commencement de 1795, Passewan-Oglou leva des troupes à Widdin et aux environs, et envoya un détachement de 1,000 hommes, avec ordre de s'emparer de la forteresse de Nikopolis, à vingt lieues audessus de Widdin, sur la rive droite du Danube, sous prétexte que la possession de cette place était

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