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fut consacré à appuyer une motion de Burke, tendante à opérer des réformes dans la liste civile. On vit avec étonnement se développer un talent d'un nouveau genre. Ce n'était pas l'éloquence abondante de Fox, ni l'énergie brûlante de Burke, c'était une vive dialectique, une facilité singulière à tout résumer et à tout combattre, une connaissance parfaite du sujet, et un grand nombre de vues fines et d'aperçus heureux jetés dans la discussion. Des applaudissemens universels saluèrent l'héritier du grand Chatham. Cependant la guerre d'Amérique occupait tous les esprits, et fixait toute l'attention des politiques. Pitt s'était déclaré contre elle. Dans le cours des discussions, étonné d'entendre citer son père comme l'un des partisans de la guerre contre les colonies, il se leva pour prouver que lord Chatham avait toujours désapprouvé cette mesure, et, dans un discours plein d'énergie, prédit les malheurs qu'elle entraînerait un jour. Enfin l'opposition triomphe, le ministère change. Le jeune Pitt ne fait point encore partie de la nouvelle administration; il continue ses attaques, se livre tout entier aux systèmes de l'opposition, et prononce, le 7 mai 1782, un long discours en faveur de la réforme parlementaire. Mais le roi George III, qui avait de l'amitié pour Pitt, lui manda que ces théories lui inspiraient le plus grand éloignement, et l'ambitieux les abandonna. Rockingham meurt : Pitt est nommé chancelier de l'échiquier. Ici commence la longue guerre que se livrèrent les deux hommes d'état les plus célè

bres et les plus dissemblables de leur temps, Fox et Pitt. Shelburne tenait le timon des affaires. Fox et North, ligués contre lui, le forcèrent bientôt à donner sa démission; et Pitt, resté seul ministre en activité, se trouva obligé de soutenir le poids de toutes les discussions parlementaires. Il sembla un moment fatigué de ces travaux, refusa de se mettre à la tête du cabinet, comme le désirait le roi, et résigna son office. C'était observer avec sagacité l'état des choses, et plier à propos devant la coalition de North et de Fox. Bientôt cette coalition devint le ministère. Pitt fait un voyage en France, et revient en Angleterre, où il siége au parlement avec une apparente modestie et comme s'il était prêt à se réunir aux ministres. Cette paisible indifférence était un piége. Fox y tomba. Les affaires de l'Inde et l'état du revenu, avait dit un jour Pitt dans le cours de la discussion, sont les deux pivots de la politique actuelle. En entrant dans les vues de Pitt, le ministre crut achever de le gagner; et bientôt il lut un bill sur l'administration de l'Inde. C'était là que Pitt l'attendait. Il s'empare du bill tout entier, le discute, le présente comme attentatoire aux droits de la couronne, et comme tendant à établir un empire dans un empire. Le roi partage,ces idées; Pitt, nommé premier lord de la trésorerie, et chancelier de l'échiquier, se trouve placé de nouveau à la tête des affaires. Il avait 24 ans, peu d'influence, peu de fortune; on croyait que son administration durerait peu; et la

chambre des communes était rem

plie d'ennemis formidables. Comment, dans des circonstances si difficiles, parvint-il à recomposer une administration à laquelle personne ne voulait s'attacher, et à dissoudre un parlement qui le gênait? De longues menées, une profonde adresse, purent seules le faire parvenir à ce but. Enfin, il vainquit la chambre des communes, comme le dit Shéridan; et lord North, qui se piquait de connaître les ressorts des gouvernemens, dit tout haut à propos de Pitt: Cet homme est né ministre. Une grande irritation des esprits suivit la dissolution du parlement: l'or fut versé de tous côtés; les ennemis de Pitt se réunirent pour l'empêcher de triompher dans la nouvelle élection. Il triompha cependant, et plus de 160 membres, qui avaient voté contre lui dans le parlement précédent, ne furent point réélus. Il ouvrit la session avec une majorité très-prononcée. Cependant les obstacles qu'il rencontrait étaient en grand nombre. Le trésor était vide, le revenu obéré par l'audace et le nombre des contrebandes, et l'admistration de l'Inde demandait une main habile et ferme. Pitt cominença par arrêter les fraudes commerciales, par un moyen ingénieux et aussi simple qu'efficace: il diminua les droits sur les matières que l'on importait frauduleusement; et réduisant ainsi les gains des contrebandiers, il les empêcha de continuer un métier devenu stérile. S'il diminua cet impôt, il augmenta l'impôt sur les fenêtres, et la popularité que Jui avait acquise le premier de ces deux actes, fut détruite par le

second. En ouvrant une plus vaste concurrence aux souscripteurs d'emprunt pour l'état, il réduisit leurs prétentions et leurs profits, dans la proportion de six à trois. Il soumit ensuite à divers impôts un assez grand nombre d'objets de luxe, les gazes, les rubans, les fleurs artificielles; et à force d'économies partielles et de taxes additionnelles, il réalisa un fonds d'un milion sterling, destiné au rachat annuel de la dette publique. Des membres de l'administration, nommés commissaires de la caisse d'amortissement où cette somme fut versée, en réglèrent l'emploi ; et ce remède au déficit, qui se trouva efficace jusqu'au temps de l'administration de lord Lansdown, passa justement pour l'un des plus solides titres de gloire de Pitt. Les affaires de l'Inde l'occupèrent ensuite : il soutint le crédit chancelant de la compagnie, lui fit accorder un assez long délai pour payer ce qu'elle devait au gouvernement, el changea totalement l'administration intérieure et extérieure de ce pays. Il prit part aux différentes discussions qui eurent lieu dans le parlement jusqu'au commencement de la révolution française. Ce fut sous ses auspices que fut conclue, en 1788, la triple alliance, de l'Angleterre, du roi de Prusse, et du stathouder. On le vit s'opposer constaminent, au commerce. à l'industrie, à la prospérité de la France, et soulever, en 1789, la Suède contre la Russic, dont il redoutait l'ambition. Cependant la révolution française éclate: Pitt observe les progrès d'un incendie qui mena

gait de gagner l'Angleterre et de dévorer l'Europe. On ne peut douter qu'il n'ait pris plaisir à fomenter des troubles qui déchiraient la rivale de l'Angleterre. Des espions nombreux l'avertissaient de tout ce qui se passait en France: il jetait l'or à propos; et d'une main il alimentait la réolution, qu'il écrasait de l'autre dans son propre pays, car elle avait fait en Angleterre des progrès rapides. La neutralité qu'il garda jusqu'en 1792 ne laisse aucun doute sur le système qu'il avait adopté; cependant la mort de Louis XVI força le ministre à suivre les intentions de Georges III, et à déclarer la guerre : il s'y était préparé depuis long-temps, par des armemens considérables, par l'alien-bill, qui expulsait tous les étangers qui déplaisaient au gouvernement, et par le bill des attroupemens, dirigé contre les entreprises des Anglais partisans de la révolution. C'est alors qu'on le vit saisir, pour ainsi dire, la révolution corps à corps et lutter avec elle. Il força bientôt toutes les puissances de l'Europe à se réunir sous ses bannières; et les rois, soulevés par un jeune homme de peu de naissance contre la liberté française, ne firent que servir les intérêts commerciaux de l'Angleterre. La ligue à la tête de laquelle se trouvait Pitt, eut d'abord quelque succès: Toulon et Valenciennes furent pris ; mais en un instant une énergie terrible s'empare de la nation: la terre enfante des hommes; et tandis que les partis s'agitent et se déchirent à l'intérieur, les armées républicaines battent partout les armées

royales; l'Espagne est forcée de déclarer la guerre à l'Angleterre, et la sanction de la victoire consacre partout la nouvelle liberté de la France. Le ministre anglais eut alors une lutte difficile à soutenir le débarquement des Français dans le pays de Galles, épouvantait l'ouest de l'Angleterre. L'Irlande menaçait d'une insurrection; la révolte des flottes de Plymouth et de Porsmouth apprenait à l'Europe que les marins de l'Angleterre étaient prêts à tourner leurs armes contre leur patrie. La dette publique prenait tous les jours un accroissement plus considérable. On s'effraya; et les négocians demandèrent le remboursement des billets en espèce. La banque d'Angleterre n'était point en mesure de satisfaire à cet engagement qu'elle avait pris; elle s'adressa pour cet effet au gouvernement, qui lui devait des sommes très - considérables. Pitt la tira de peine, en suspendant, par un arrêt du conseil, les paiemens en argent. George III versa des larmes en signant cet arrêt, qui bientôt fut converti en bill. Pitt trempa lui-même la plume dans l'encre, la plaça entre les doigts du monarque, et lui dit : «Sire, il faut absolument signer. >> La mesure adoptée, fut nommée par l'opposition une banqueroute déguisée. Mais celte résolution rigoureuse était le fruit d'un calcul profond; et sans elle on aurait vu le commerce et l'industrie anglaises, frappés tout-à-coup de paralysie, s'arrêter au milieu de l'abondance dont ce pays jouissait. Le papier de la banque d'Angleterre acquit chaque jour plus de

valeur; le calme se rétablit. Cependant l'Europe entière avait reculé devant la France: Malmesbury commença une paix qui n'eut rien de durable; toutes les puissances avaient abandonné l'Angleterre; et elle eût été forcée de soutenir seule cette guerre, si Pitt n'avait trouvé le moyen de former, en 1798, une nouvelle coalition, composée de l'Autriche, de la Turquie et de la Russie. Cette coalition n'eut pas plus de succès que l'autre. L'étoile de Bonaparte com. mençait à paraître; et Marengo ouvrit cette longue carrière de victoires qui fit perdre à Pitt dans les champs de batailles, tout ce qu'il pouvait gagner dans le cabinet. La paix de Lunéville fut signée. La nouvelle amitié de Paul Her et de Bonaparte porta bientôt un coup terrible à la politique de l'Angleterre. L'assassinat de cet empereur la délivra de beaucoup de craintes. On essaya vainement de traiter ensuite de la paix avec la France. En 1802, l'Irlande, à laquelle on avait fait espérer l'émancipation de ses catholiques, fut réunie à l'Angleterre, mais le roi refusa de tenir la promesse que ses ministres avaient faite en son nom. Alors Pitt, qui voyait avec peine que la paix allait être signée avec la France, donna sa démission, et concourut lui-même à la formation du ministère qui lui succédait. C'était garder le pouvoir en se cachant derrière quelques hommes choisis de sa main, vains simulacres d'autorité. Mais bientôt ces hommes voulurent marcher seuls; Pitt se brouilla avec eux, reprit ses anciens titres, les remplaça, et s'occupa aussitôt à créer une nou

velle coalition contre la France. It vit ses dessins trompés, et le génie de Bonaparte effrayer l'Europe: cependant son lit de mort fut entouré des trophées de Trafalgar. Il tomba dangereusement malade en décembre 1805, et cessa d'exister le 3 janvier 1806. Il n'avait que 47 ans. Si Pitt fût parvenu à la vieillesse, il eût vu la France humiliée et tous ses désirs réalisés. Les historiens qui ne jugent que d'après le succès, lui ont fait honneur de ces événemens, et lui ont attribué ce changement des affaires après sa mort: c'est trop accorder à son génie et trop peu à la fortune. Le philosophe ne pardonnera point au ministre anglais sa perfidie pendant le cours de la révolution, le machiavélisme et la barbarie de sa politique extérieure,

les actions horribles que l'on commit aux Indes sous son gouvernement, et cette abnégation complète de tous les sentimens moraux et généreux que l'on reconnaît dans les actes de sa vie publique. Mais on ne peut nier qu'il n'ait été administrateur plein de sagacité, de finesse, de persévérance et d'habileté. Comme orateur, il se fit surtout remarquer par la netteté des idées, la précision de l'analyse, une diction brève et imposante, et plus forte que majestueuse. La colère était le seul mouvement qu'il mêlât à ses discours ses ennemis l'appelaient l'enfant colère (the ungry boy). Il avait les traits fins et déliés, la physionomie haute et ferme. Ses mœurs furent sévères : on l'appelait le ministre sans tache. L'ivresse était le seul défaut auquel il se livrât sans réserve. C'é

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