Page images
PDF
EPUB

à grands frais l'obélisque du Quirinal, un des nombreux frondeurs écrivit au bas de ce monument : Domine, dic ut lapides isti panes fiant. (Seigneur, ordonne que cette pierre se change en pain.) Ce mécontentement dans le public éclata encore plus buvertement lors du procès intenté à la famille Lepri pour soutenir un testament qui ordonnait la spoliation d'une pupille au profit d'un neveu du pape. Pie VI, dans cette occasion, ne sut pas se défendre de cet esprit de népotisme qui a fait tant de tort à la tiare, et så scandaleuse intervention, dans un procès de famille, fit une fâcheuse impression sur toutes les classes. Lorsqu'après de longs débats, la voix d'une mère fut enfin entendue par les magistrats, et put en arracher un jugement équitable, le pape eut le chagrin de voir le peuple se porter en foule devant le palais de la Rota, et applaudir, par ses bruyantes acclamations, au triomphe de la justice. Pie VI, en montant sur le trône, avait jeté un regard inquiet sur la situation morale et politique de l'Europe. La plupart des rois, à l'exemple de Louis XIV, y travaillaient à étendre leurs prérogatives, à s'affranchir de tous les obstacles, et à niveler les rangs de la société, pour que l'action du pouvoir y fût plus rapide et plus uniforme. Les priviléges des nobles, les prétentions du clergé, les libertés des communes, attaqués en partie par leurs prédécesseurs, étaient menacés d'un anéantissement total. Le dernier but du pouvoir absolu était de parvenir au despotisme administratif, et de ne voir autour

de lui d'autres bornes que celles que la volonté seule du monarque saurait s'imposer. Les peuples, à qui les progrès dans la civilisation avaient révélé de nouveaux besoins et rendu nécessaire une différente organisation secondaient l'élan donné par les gouvernemens, et les aidaient à détruire l'ancien édifice social pour s'emparer de ses débris et pouvoir reconstruire plus facilement le nouveau. C'était par conséquent dans des vues opposées que les rois et les philosophes marchaient ensemble contre les abus et les institutions de l'Europe barbare. La féodalité et le clergé, attaqués sur tous les points, ne trouvaient plus d'abri pour se défendre, et commençaient à céder pas å pas le terrain qu'ils avaient envahi. Ces dispositions hostiles dans toutes les classes de la société avaient donné naissance à une école ministérielle qui, placée à côté de la philosophique, en empruntait le langage et les armes. Elle résidait auprès des Pombal, des Aranda, des Tanucci, et remontait jusqu'aux princes qui savaient être indépendans de leurs ministres,tels que Pierre Léopold,Joseph, Frédéric et Catherine II. Ces premiers réformateurs, jugés par les ennemis de la liberté avec plus de prévention que de justice, ont été déclarés responsables de la chute du pouvoir monarchique en Europe. En effet, rien de plus insensé que de vouloir fonder un système sans autre appui que la volonté d'un individu; mais il faut avouer aussi que ce qui restait des anciennes institutions, par manque d'accord avec les voeux et les lumières des

[ocr errors]

nations, ne pouvait plus servir de base à un ordre de choses quelconque. De tous les gouvernemens celui de Rome était le moins fait pour subir ces innovations. Il était même appelé, comme théocratique, à combattre les idées modernes qui menaçaient sa croyance, et à repousser toute espèce de perfectionnement qui eût pu compromettre cette immobilité à laquelle il doit une grande partie de ses forces. Cependant, le chef de l'église était pressé de tous les côtés pour avancer sur un terrain qu'il lui était aussi difficile que dangereux de parcourir. Joseph II, animé par l'esprit de son temps et par la hai

ne héréditaire de sa maison contre Rome, commeuça son règne en supprimant des couvens, en retranchant des fêtes, en réglant même les cérémonies de l'église. Pie VI lui écrivit plusieurs fois pour essayer de le ramener à des sentimens moins hostiles; mais ne pouvant pas le fléchir par ses brefs, il se flatta de le désarmer par sa voix, et prit la résolution inattendue de le surprendre dans sa capitale. Ce voyage donna le secret de sa faiblesse et la mesure de son autorité. Cherchant à déguiser à ses propres yeux tout ce qu'il y avait d'humiliant dans cette démarche, il s'environna de ce qui pouvait servir à lui donner quelque éclat; mais, au travers de tant de magnificence, on apercevait la distance qui séparait Pie VI de cet arrogant pontife qui excommuniait l'empereur Frédéric, brisait le serment de fidélité de ses sujets, et appelait les malédictions du ciel sur la tête sacrée d'un

triomphateur. Le jour fixé pour son départ (27 février 1781), Pie VI fit sa prière accoutumée dans la chapelle du Vatican, reçut les adieux de ses parens et de ses serviteurs, et s'éloigna de Rome en présence d'un peuple immense qui lui demandait ses dernières bénédictions. Les marques de respect et d'amour qu'on lui prodiguait sur la route, durent lui faire oublier un instant le rôle qu'il allait jouer à Vienne des populations entières tombaient devant lui sur son passage; le roi d'Espagne, le sénat de Venise, les princes italiens, l'empereur luimême, rivalisaient de zèle pour lui faire arriver leurs hommages. Plus le pape s'approchait de Vienne, plus ces témoignages devenaient éclatans : l'empereur et son frère Maximilien allèrent à sa rencontre à quelques lieues de la ville, et y firent ensemble leur entrée au milieu d'une foule de curieux qui se pressaient autour de leur voiture, faisant retentir l'air de leurs vives acclamations. La vanité de Pie VI se trouva satisfaite de tant d'empressement et d'égards; mais il ne tarda pas à s'apercevoir que l'empereur, sous la politesse de ses manières cachait l'inflexibilité de son caractère, et qu'il était décidé à ne sacrifier aucun de ses droits aux devoirs de l'hospitalité. Il évitait toutes les occasions d'entrer en explication avec le pape, qu'il renvoyait à Kaunitz, non moins philosophe et tout aussi difficile à séduire que son maître. Ne lui restant alors aucun espoir sur l'issue de cette négociation. Pie VI ordonna les dispositions pour

hâter son retour. L'empereur se montra, à son départ, ce qu'il avait été à son arrivée : en se séparant de lui, il lui offrit un magnifique pectoral, enrichi de diamans, que le pape accepta, et un diplôme de prince de l'empire pour son neveu Braschi, qu'il ne voulut point recevoir. « Je ne >> veux pas, dit-il, qu'on puisse me >> reprocher de m'être plus occupé » de l'élévation de ma famille que » des intérêts de l'église. » Il quitta Vienne avec le chagrin de n'y avoir pas opéré les changemens auxquels il s'était attendu. Il prit la route de Munich, le seul pays de l'Europe où l'autorité du saintsiége fût restée sans atteinte. La cour, quoique renommée pour sa galanterie, avait conservé un grand attachement pour les formes religieuses, et le peuple, plongé dans la plus stupide ignorance, était regardé comme le plus superstitieux de toute l'Allemagne. Le pape s'y trouva plus révéré qu'à Rome même, où, après une absence de quelques mois, il rentra peu satisfait de son voyage. Il en fit néanmoins un récit pompeux, qu'il débita en plein consistoire, et prit même l'engagement d'en rendre compte à toute la catholicité pour lui faire apprécier les avantages qui en étaient résultés pour l'église : mais cette promesse, aussi imprudente que ridicule, ne voila pas les difficultés qu'il y avait à la remplir. Personne ne se dissimulait les inconvéniens de ce voyage, qui n'avait abouti qu'à endelter le trésor et à déconsidérer le pontife. Tandis que Pie VI se vantait de son triomphe pour ne pas a

vouer sa défaite, l'empereur poursuivait avec persévérance le plan de réforme qu'il avait adopté, et portait les derniers coups aux immunités de l'église. Si l'on était étonné de la contradiction qui régnait entre les paroles du pape et la conduite du cabinet de Vienne, on le fut bien plus encore lorsqu'on sut que le voyage de Joseph à Rome, sous le prétexte d'une politesse, renferinait des vues mystérieuses contre la puissance papale, et qu'il ne s'agissait rien moins que de soustraire l'empire à toute espèce de dépendance de la cour de Rome. Le même esprit de dissidence s'était manifesté en Toscane, gouvernée alors par le génie éclairé de Pierre-Léopold. Partageant les sentimens de son frère, et soutenu par les conseils de Mgr. Ricci, il avait, dès l'année 1780, adressé une circulaire à tous les évêques pour leur annoncer un plan de réforme dans la discipline ecclésiastique. Deux synodes, rassemblés à Pistoie et à Florence, avaient alarmé le saint-siége par l'indépendance de leurs discussions. En s'occupant des changemens à faire dans la liturgie, on y avait émis des maximes hardics sur la foi, la grâce, l'autorité de l'église et la prédestination. Déjà Pie VI, excité par les fanatiques qui l'entouraient, avait préparé une bulle de proscription contre les prélats réfractaires. Mais la crainte d'irriter le mal par ce remède violent, et l'espoir que la cour d'Espagne interviendrait en sa faveur, arrêtèrent la foudre prête à lui échapper. Le pape se borna à faire des réclamations énergiques, auxquelles le grand-duc

répondit en ordonnant l'impression des actes des deux synodes, accompagnés de l'apologie des membres qui y avaient siégé, et de la réfutation des différentes prétentions de la cour de Rome. Il recommanda en même temps aux évêques de se conformer strictement aux décisions du synode de Pistoie, et réclama le duché d'Urbin, qu'il reprochait aux papes d'avoir usurpé. Ce n'étaient pas les seuls ennemis que le saintsiége avait à combattre : il avait, avec la cour de Naples, des querelles plus anciennes, plus graves, et dont les suites furent encore plus fâcheuses. L'infant don Carlos, en montant sur ce trône, avait trouvé le royaume livré à la cupidité du clergé et dans une dépendance honteuse de la cour de Rome. Quoique pieux, il avait des idées justes sur son autorité, qu'il voulut affranchir de ce joug : mais, appelé à régner sur l'Espagne, il n'eut pas le temps d'exécuter les projets qu'on aurait probablement oubliés si la direction des affaires ne fût tombée dans les mains d'un homme fait pour les réaliser. Tanucci, ancien professeur à l'université de Pise, qui avait déployé une grande opposition contre les envahissemens des corporations religieuses, indigné de l'espèce de vasselage auquel était descendue une Couronne dont il était le premier ministre, s'occupa sérieusement d'en revendiquer les droits. Après plusieurs réformes opérées dans les diverses branches de l'administration, et qui tendaient plus ou moins directement à borner les priviléges et l'influence du clergé, il fit dé

clarer au pape que la présentation de la haquenée se ferait à l'avenir sans cette bruyante cérémonie, qu'il regardait comme avilissante pour la dignité de son prince. Ce tribut, arraché à la faiblesse de Charles d'Anjou, qui avait intérêt de légitimer son usurpation, s'était perpétué dans ses successeurs. Il consistait à offrir un cheval blanc richement harnaché, et à déposer aux pieds du pape une somme de 6,000 ducats renfermés dans une bourse attachée à la selle du cheval. Le prince Colonna, grandconnétable du royaume, jouissait du privilége d'en faire la présentation tous les ans, la veille de la fête de Saint-Pierre et Saint-Paul. Cette cérémonie était destinée à rappeler aux rois de Naples que leurs états relevaient du saintsiége, dont ils n'étaient que les vassaux couronnés. Pie VI ne voulut pas souscrire aux conditions qu'on lui dictait; il protesta contre la violation de ses droits, et chargea le cardinal Borgia de les soutenir par un écrit, qui ne resta pas sans réponse. Il aurait été difficile de prévoir la fin de ces débats, que les premiers symptômes de la révolution française vinrent interrompre. On sentait des deux côtés le besoin de se rapprocher pour se défendre contre un ennemi redoutable qui attaquait à-la-fois le trône et l'autel. On s'était disputé 15 ans sans s'entendre, on s'entendit en un jour sans disputer. Il fut stipulé que chaque roi de Naples payerait à son avénement au trône une somme de 500,000 ducats, en forme de pieuse offrande à Saint Pierre, au inoyen de laquelle la

présentation de la haquenée resterait abolie pour toujours. Ce traité fut suivi d'une visite que le roi et la reine de Naples firent au pape au printemps de 1791, et scellé par les protestations les plus so lennelles d'une sincère et inviolable amitié. L'église sortait enfin triomphante de tant d'obstacles et de dangers la mort de Joseph II, la réconciliation de Léopold, de nouveaux conseils dans le cabinet de Naples, avaient amorti les coups portés contre l'autorité du pape. Lorsque du sein d'un royaume qui n'avait pris aucune part aux combats qu'on lui avait livrés, s'élève contre elle un orage dont les progrès l'enveloppèrent dans de nouveaux malheurs. Le 5 mai 1789, s'ouvrirent les états-généraux à Versailles. La tendance de l'assemblée était vers un plan gé néral de réforme et d'affranchissement c'étaient aussi les vœux de la France fatiguée des prétentions du saint-siége, honteuse des tributs qu'on lui payait, scandalisée de l'opulence du haut clergé, et de l'existence de ces légions de moines qui ne faisaient pas même pardonner, par leurs mœurs, leur onéreuse oisiveté. Mais si la voix de tous les hommes éclairés s'élevait contre ces abus, l'intérêt de plusieurs se liait à leur conservation. Le clergé formait un des trois ordres de l'état, et le plus puissant de tous, à cause de son organisation, de l'esprit qui le dominait, et des richesses dont il pouvait disposer. Quelques étincelles de philosophie avaient pénétré dans le haut clergé, et c'est parmi ces prélats, beaucoup plus ambitieux que philosophes, que

certaines réformes avaient été projetées; mais elles se bornaient à diminuer les attributs du saint

[ocr errors]

siége, pour ajouter à leur propre puissance. Renchérissant sur leur exemple, les représentans de la nation demandèrent et obtinrent successivement la suppression des ordres religieux, l'abolition des vœux monastiques, et une nouvelle constitution du clergé. Par

ces

mesures préliminaires, ce corps, naguère si redoutable dans l'état, disparut de l'assemblée, et n'eut pas assez de force pour défendre les biens ecclésiastiques, qui furent déclarés biens nationaux. Le roi, en acceptant la constitution civile du clergé, avait écrit à Pie VI pour le prier de la sanctionner à son tour. Le pape assemble un synode de cardinaux, et se décide, d'après leur avis, à consulter les évêques de France. Trente d'entre eux, ayant à leur tête M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, signèrent un écrit sous le titre d'Exposition des principes sur la constitution du clergé, dans lequel ils défendirent toutes les prérogatives de l'église, se répandant même en regrets sur l'abolition des couvens. L'assemblée dédaigna cette poignée de contradicteurs, et invita les évêques et les curés à prêter le serment à la constitution du clergé, qui devint le fondement de la nouvelle église gallicane. Les circonstances étaient trop graves, les esprits trop aigris, pour que la moindre imprudence n'occasionât pas les plus grands désastres. Cependant le -раре n'hésita pas à adresser deux brefs aux évêques de France pour les engager à discuter l'acte fon

« PreviousContinue »