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tion. On lui confia aussitôt le commandement de toutes les troupes qui formaient la garnison de cette capitale, et, dans les journées du 12 germinal an 3 (1 avril 1795) et suivantes, il dispersa ou soumit sans grande peine les révoltés des faubourgs. En rendant compte à la barre de la convention de ce dernier succès, il fut accueilli par de nombreux applaudissemens, et proclamé de nouveau le sauveur de la patrie. Il se hâta cependant de quitter Paris, se dérobant à des honneurs qui n'avaient plus de prix à ses yeux, et se rendit à l'armée du Rhin pour exécuter les vastes desseins qu'il avait conçus depuis quelque temps. Après avoir servi avec tant d'éclat et de dévoueinent la république, Pichegru venait de former le projet de la renverser. Entré en correspondance secrète avec le prince de Condé, par l'intermédiaire d'un libraire de Neufchâtel, nommé FAUCHEBOREL (voyez ce nom), il avait pris l'engagement d'employer tous ses moyens pour relever la monarchie en France, et rétablir la maison de Bourbon sur le trône. Dès l'arrivée du général sur les bords du Rhin, le même agent vint le retrouver; la correspondance et les négociations avec le prince de Condé furent reprises avec une nouvelle activité. Les promesses du prince étaient magnifiques i assurait au général, le tout au nom du roi, le gouvernement de l'Alsace, la propriété du château de Chambord, un million en argent, 200,000 livres de rente, la terre d'Arbois, qui prendrait le nom de Pichegru, et

qui serait exempte de contributions pendant 15 ans; 12 pièces de canon, et enfin le grand-cordon-rouge de l'ordre de SaintLouis; car on ne pouvait encore se résoudre à promettre le cordon bleu à un homme de rien comme Pichegru. La perspective la plus brillante se montrait sans doute aux yeux du Monk français mais le rôle se trouva au-dessus de ses forces. On perdit d'abord un temps précieux à débattre le mode d'exécution d'un plan, dont la seule condition première, la proclamation d'un roi, était décidément arrêtée. Pichegru proposa au prince de Condé de le laisser pénétrer en France avec son armée, à travers la république helvétique, dont il fallait à la vérité violer la neutralité, mais cet acte serait légitimé par le succès; si cette irruption ne convenait point au prince, Pichegru lui proposait de passer lui-même le Rhin avec un corps d'élite français, et de le réunir à l'armée de Condé. Le prince n'adopta aucun de ces projets, et exigea bien d'autres garanties. I insistait pour que l'armée républicaine arborât d'abord le drapeau blanc, et pour qu'elle lui livrât Strasbourg ou quelques autres des principales places fortes de la France, avant qu'il passât le Rhin avec son corps. A cette époque, c'était demander l'impossible. Pichegru voulait de son côté s'assurer de la coopération des Autrichiens; le prince ne croyait pas devoir les méttre dans son secret. Le premier mobile de toutes les entreprises pareilles, l'argent, manquait des deux côtés. «Je ne ferai rien

» d'incomplet, disait Pichegru à »l'agent du prince. Je ne veux pas » être le troisième tome de La » Fayette et de Dumouriez. Mes » moyens sont grands, tant à l'ar»mée qu'à Paris.... Mais il faut, >> en faisant crier vive le roi au >> soldat français, lui donner du » vin et lui mettre un écu dans la >>main: il faut que rien ne lui man» que dans ce premier moment; » il faut solder mon armée jusqu'à » sa troisième ou quatrième mar» che sur le territoire français, >> etc. » Le secret d'une correspondance aussi long-temps qu'infructueusement continuée, fut enfin trahi. Le général Wurmser et l'archiduc Charles en furent instruits. Ils en profitèrent, quoique assez faiblement, pour les intérêts de l'Autriche, mais ne voulurent pas que l'armée de Condé eût l'honneur du rétablissement de la monarchie en France. Ils n'aplanirent donc nullement les obstacles qui s'opposaient à l'exécution des projets de son chef. S. A. R. Monsieur, qui s'était rendu à cette armée, causait aussi par sa présence de l'ombrage au cabinet de Vienne, et, malgré les plus pressantes sollicitations auprès de l'empereur et de l'archiduc Charles, ce prince fut obligé de s'éloigner. L'époque paraissait favorable sans doute pour exécuter d'anciens desseins, et pour prendre possession de l'Alsace au nom de l'Autriche, comme on avait fait des places du Nord pendant une des campagnes précédentes, ce qui ne pouvait entrer dans les vues de Pichegru ou des princes français. Pendant le cours de ces longues négociations, le général avait re

çu du comité de salut-public l'ordre réitéré de passer le Rhin. Il fut enfin obligé d'exécuter ce passage; mais il offrit bientôt à la cause qu'il venait d'embrasser, le plus grand des sacrifices. Il manœuvra de manière à se laisser battre, ordonna la retraite à ses troupes, dans les occasions où elles pouvaient triompher, mit dans la place de Manheim et aux postes avancés ou difficiles, les commandans les plus inexpérimentés pour ne rien dire de plus, et offrit ainsi eu holocauste, non-seulement sa propre réputation militaire, mais la vie de ses frères d'armes et de ses concitoyens. Cette conduite n'eut point le succès qu'il en avait espéré. Il perdit en grande partie son crédit dans l'armée, et devint suspect aux autorités. La constitution de l'an 3 venait d'être adoptée, et le directoire-exécutif avait pris en mains les rênes de l'état. Un émigré, transfuge du parti royaliste, livra le premier à ce qu'on assure aux directeurs, les secrets du prince de Condé et de Pichegru, secrets auxquels il avait été initié, et obtint, pour prix de sa délation, des récompenses pécuniaires et des missions d'observateur à l'étranger. Ce qu'il y a de certain, c'est que le commandement des armées fut subitement ôté au général Pichegru, à l'étonnement de bien des personnes; mais on n'osa point sévir plus rigoureusement contre lui; ses partisans étaient alors nombreux, et les preuves de sa défection ne se trouvaient point encore assez évidentes. Le directoire lui offrit même l'ambassade de Suède pour l'éloigner par un

exil honorable, et pour rompre ainsi tous les fils d'une trame dangereuse. Mais il rejeta bien loin L'offre d'une mission à l'étranger, et son refus, ainsi que plusieurs autres circonstances, vinrent confirmer les soupçons que le gouvernement avait conçus. Pichegru se retira dans le domaine national de Bellevaux, ancienne abbaye de Bernardins, qu'il avait acquise près d'Arbois, sa ville natale, et n'en sortit qu'en germinal an 5 (mars 1797), lorsque l'assemblée électorale de son dépar tement l'eut appelé aux fonctions de législateur. Dès son entrée au conseil des cinq-cents, il fut porté par ses collègues à la présidence, et ne tarda pas à se signaler par son opposition au directoire, Il devint aussitôt l'espoir et le chef du parti dit de Clichy. Mais ce parti était divisé lui - même en plusieurs coteries différentes, dont tous les membres désiraient, il est vrai, la chute du directoire, et du crédit, des honneurs et des fonctions lucratives pour eux-mêmes, mais n'étaient guère d'accord sur le reste. Quelques hommes dévoués à la maison de Bourbon se trouvaient parmi eux, et s'occupaient sans relâche des moyens de la rétablir sur le trône; mais une foule d'autres avaient déjà prouvé, comme ils l'ont fait depuis, que tout système de gouvernement leur était bon s'il favorisait leur ambition personnelle. Pichegru se lia intimement avec les premiers, mais il ne put faire marcher le plus grand nombre vers un but fixe, ni s'assurer de la discrétion ou calmer la pétulance de quelques orateurs aussi hardis à

la tribune que faibles et timides dans l'action. Un coup de main pouvait seul faire triompher son parti: il fallait attaquer inopinéinent, porter les premiers coups au directoire, pour renverser ensuite la république; le général voulut tenter ce violent moyen, tandis que ses soldats effrayés voulaient délibérer encore. Le directoire, averti de tout ce qui se tramait contre lui, prit l'initiative,et frappa lui-même le coup d'état du 18 fructidor (4 septembre 1797). Dès le 2 thermidor (20 juillet), Pichegru avait fait un rapport pour demander une prompte organisation de la garde nationale, qu'il espérait pouvoir faire agir et opposer avec succès aux troupes dont le gouvernement disposait, et sur lesquelles le 13 vendémiaire avait appris au parti Clichien qu'il ne pouvait pas compter. Le 8 du même mois (26 juillet), Pichegru avertit le conseil de la marche des troupes que le directoire appelait à Paris, et présenta un projet pour fixer autour du corps-législatif des limites qu'aucun soldat ne devait franchir. Ces différens projets furent très-applaudis, et le 2 fructidor (19 août), les généraux Pichegru et Willot furent portés par la majorité de leurs collègues à la commission des inspecteurs de la salle, et particulièrement chargés de veiller à la sûreté du corpslégislatif. Mais rendu son poste le 18 au matin, il y fut arrêté, ainsi que Willot et les autres membres de la commission, par la gar de même du corps législatif, et transporté sur une charrette à la prison du Temple. Une liste de proscription fut dressée dès le len

demain. Pichegru s'y trouva inscrit le premier; et ainsi que toutes les listes pareilles, qui ont précédé ou suivi celle du 18 fructidor, les autres noms y étaient portés au gré des haines et des vengeances particulières des vainqueurs. Sans examen ni jugement préalable, vingt des malheureux collègues de Pichegru, parmi les quels plusieurs vieillards, furent jetés avec lui sur des charrettes, surmontées de cages grillées, et conduits ainsi comme les plus vils criminels au port de Rochefort. Une forte escorte de cavalerie, commandée par un homme qui avait acquis son grade de général dans les antichambres des hommes alors en place, accompagnait les captifs. La rapacité et l'inhumanité de ce conducteur le firent cependant destituer après quelques jours de marche. Entassés ensuite dans l'entre-pont d'une corvette qui les attendait à Rochefort, les proscrits eurent presque autant à se plaindre de l'officier de marine, commandant du bâtiment qui les déportait à Cayenne. Peu de temps après leur arrivée en cette colonie, le commissaire du pouvoir-exécutif, Jannet, les fit transporter encore plus loin, dans les déserts de Sinnamari. L'ancien ami de Pichegru, le général Moreau (voyez ce nom), avait envoyé à Paris, un peu tardivement il est vrai, une série de lettres saisies dans un des fourgons du général émigré Klinglin; le directoire fit publier cette correspondance avec les généraux autrichiens et le prince de Condé, pour justifier le coup d'état du 18 fructidor. D'autres papiers saisis à Bareuth, et les let

tres du comte d'Antraigues, servirent depuis à confirmer tout ce que Moreau venait de dénoncer. Il eût été facile d'examiner légalement, mais il est tant de parvenus à l'autorité qui aiment mieux proscrire! Après quelques mois de séjour au milieu des marais pestilentiels de Sinnamari, où périrent plusieurs de ses compagnons d'infortune, Pichegru parvint avec Barthélemi, Willot, Delarue, Aubry et Ramel, à gagner, sur une frêle pirogue, et à travers les plus grands dangers, la colonie hollandaise de Surinam. Embarqués ensuite sur un vaisseau anglais qui les porta rapidement dans un port de la Grande-Bretagne, l'un d'eux, Pichegru, se hâta de se rendre à Londres, où il reçut du gouvernement anglais l'accueil le plus distingué et tous les secours qu'il pouvait désirer. Bientôt employé sur le continent pour suivre ses projets contre le gouvernement français, il se trouvait en Allemagne pendant la campagne de 1799, si désastreuse pour la république, et se rendit ensuite en Suisse auprès du général russe Korsakoff, auquel, à ce qu'on assure, il donna' d'utiles avis, que celui-ci ne daigna point écouter. Après la défaite des Russes et des Autrichiens, Pichegru revint en Allemagne, où il courut quelques dangers, et fut sur le point d'être arrêté à Bareuth avec ImbertCoulomès, Précy, et autres émigrés; l'ordre en était donné par le ministère prussien, sur la demande du gouvernement français, mais il parvint à s'y soustraire par une prompte fuite, et retourna en Angleterre, où il resta jusqu'en

1804. Au commencement de cette année, le général Pichegru,qui s'était lié à Londres avec Georges Cadoudal et plusieurs chefs vendéens, se rendit ainsi qu'eux secrètement à Paris. Leur dessein, selon ce qu'ils dirent eux-mêmes dans leurs interrogatoires, était d'attaquer le premier consul Bonaparte. La police fut instruite de leur arrivée par les déclarations du nommé Querelle, qui avait été arrêté peu de temps après son débarquement. Un décret du sénat fut promulgué dans toutes les rues de la capitale, qui défendait, sous peine de mort, de donner asile aux conjurés. Après s'être jusque-là soustrait à toutes les recherches, Georges Cadoudal et plusieurs des siens venaient d'être saisis. Pichegru, errant de maison en maison pendant plusieurs jours, crut trouver un refuge chez un courtier de commerce, logé rue de Chabannais. Cet homme, qui sans doute d'après la rigoureuse loi qu'on venait de publier eût été excusable s'il n'avait point donné d'asile au proscrit, venait au contraire de l'accueillir dans le dessein, dit-on, de le livrer pour obtenir une misérable récompense pécuniaire ou le prix du sang. Le 28 février 1804, à 5 heures du matin, le commissaire de police Comminge parvint à s'introduire dans la chambre où Pichegru dormait d'un profond sommeil, et à se saisir de lui avant qu'il pût faire usage des pistolets et du poignard dont il était muni. Conduit aussitôt devant le conseiller-d'état Réal, chargé de l'interroger, il répondit avec fermeté, et repoussa, surtout par de constantes déné

gations, tout ce qui pouvait compromettre le général Moreau, avec lequel il avait eu quelques entrevues sans résultat. Conduit ensuite dans la prison du Temple," il y subit plusieurs nouveaux interrogatoires, et montra toujours le même dédain pour ceux qui l'examinaient, et pour la vie même. Lassé sans doute d'une procédure dont il prévoyait que le terme, plus ou moins éloigné, ne pouvait que lui être funeste, il résolut de disposer lui-même de son sort. Le 6 avril 1804, on le trouva mort dans sa prison. Son corps fut aussitôt transporté au greffe du tribunal criminel, un procèsverbal fut dressé et signé par les médecins et chirurgiens appelés à cel examen, qui tous attestèrent que le prisonnier s'était étranglé lui-même avec sa cravate. Les ennemis du premier consul ne manquèrent point de répandre le bruit, que c'était lui qui avait donné l'ordre d'étrangler dans son cachot un rival qu'il redoutait. Le temps a déjà fait en grande partie justice de cette accusation, reléguée par les gens sensés parmi les

contes absurdes. Un crime aussi lâche, aussi odieux, n'était commandé ni par la politique, ni par aucune nécessité. Pichegru dans les fers, et à la veille d'être frappé d'un arrêt juridique, ne pouvait, à cette époque, inspirer aucune crainte. Le premier consul n'avait-il pas d'ailleurs, ainsi qu'il l'a dit depuis, des juges pour procéder légalement, et des gendarmes pour faire exécuter la sentence? Il était un autre chef estimé du peuple, chéri des soldats, accusé, mais non convaincu, et

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