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le nom de modérantisme, était devenue un crime aux yeux de ceux qui croyaient ne voir dans les hommes modérés que des ennemis déguisés du peuple. Lorsque l'insurrection royaliste eut pris un caractère plus prononcé,les mêmes hommes qui avaient porté en triomphe Pichard – du - Page, l'accusèrent d'en être le principal moteur. Il fut arrêté et traduit, après une détention assez longue, devant la commission militaire de Fontenay, qui le condamna à là réclusion. Dénoncé de nouveau comme conspirateur, par Faillau, Carrier et Goupilleau de Fontenay, il fut, par un décret de la convention nationale, traduit au tribunal révolutionnaire de Paris, qui le condamna à mort le 28 avril 1794

PICHEGRU (CHARLES), général de la république française, né en 1761, à Arbois, département du Jura, de parens peu riches. Des moines de l'ordre des minimes dirigeaient un college dans cette petite ville; Pichegru y fit ses études, et montra, dès sa jeunesse, les plus heureuses dispositions, surtout pour les sciences exactes. Les Pères minimes reconnurent bientôt le mérite de leur élève, et résolurent de tirer, pour leur propre compte, parti de ses talens. Ils le déterminèrent facilement, n'ayant alors que des ressources très-bornées, à se rendre à Brienne, où ils dirigeaient un plus grand collége, et où il devint répétiteur des classes de philosophie et de mathématiques. Quoique portant l'habit religieux, il ne fit jamais de vœux, et n'a point été

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moine, comme on l'a faussement avancé. Bonaparte faisait, à la même époque, ses études au collége de Brienne, et reçut des leçons de mathématiques de l'abbé Pichegru, comme il l'appelait alors. Mais celui-ci, lassé bientôt de son rôle de pédagogue subalterne, et se sentant le courage et les talens nécessaires pour se distinguer dans la carrière des armes, quitta, jeune encore, le collége, et s'engagea comme simple soldat dans le 1 régiment d'artillerie. L'éducation qu'il avait reçue, sa bonne conduite et ses connaissances en mathématiques, le firent remarquer de ses chefs, et il obtint bientôt le grade de sergent. Il fit, en cette qualité, les dernières campagnes de la guerre d'Amérique, se distingua par sa bravoure, acquit des notions nouvelles et étendues sur les manoeuvres de terre et de mer, et sur la tactique générale, Il revint en France avec le grade d'adjudant-sous-officier, au-dessus duquel sa fortune militaire se serait probablement peu élevée sans la révolution de 1789. Un nouvel ordre de choses fit cesser les distinctions absurdes établies entre les officiers de fortune, parvenus à leur grade par leur seul mérite, et les nobles, à qui leur naissance seule suffisait pour entrer d'abord comme officiers dans la carrière, et quand ils tenaient à la noblesse de cour, pour être colonels à 21 ans. Aussi, Pichegru se déclara-t-il avec chaleur pour la révolution, et devint un des membres les plus zélés des premières sociétés populaires. Il n'était encore que sous-officier quand il présidait le club de Be

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sançon. Un bataillon de volontaires nationaux du département du Gard y passait à cette époque, et ce corps n'avait pas encore nommé de commandant, quand le club proposa d'élever à ce poste son président, dont l'ardent patriotisme, non moins que les talens militaires, justifierait sans doute le choix. La proposition fut acceptée par acclamation, et voilà comme Pichegru devint enfin officier. Le nouveau chef de batail lon des volontaires du Gard conduisit bientôt à l'armée du Rhin une troupe dont l'instruction ne laissait rien à désirer, et où il était parvenu, à force de soins et d'habileté, à soumettre la bravoure même au joug nécessaire d'une discipline, bien difficile alors à faire supporter aux jeunes volontaires. Employé, en 1792, à l'état-major de l'armée du Rhin, il fut rapidement porté, par son mérite et sa bravoure, au rang de général de brigade et de général de division. En octobre 1793, sans être intimi dé par les exemples de Custines, de Houchard, de Biron, et d'autres généraux qui avaient péri sur l'échafaud, même après des succès, Pichegru accepta le commandement en chef d'une armée qui venait d'essuyer de grands revers. Les lignes de Weissembourg avaient été forcées, les troupes françaises battaient en retraite de toutes parts, le découragement et l'indiscipline portaient la désorga nisation dans plusieurs corps. 1 parvint à arrêter les progrès de Î'ennemi, à rétablir l'ordre, et obtint bientôt quelques succès contre les Autrichiens, malgré la supériorité de leurs forces de toutes

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armes, et principalement de leur nombreuse cavalerie. Le général Hoche vint alors, à la tête de l'armée de la Moselle, joindre celle du Rhin, et les commissaires de la convention lui donnèrent, contre l'avis de Saint-Just, le commandement en chef. Pichegru servit quelque temps de second à son rival; mais le fougueux SaintJust, qui s'était déclaré le protecteur du premier, et dont Hoche (voy. ce nom) avait en plus d'une occasion blessé l'orgueil, fit bientôt changer ces dispositions. Le 17 pluviôse an 2 (5 février 1794), le commandement en chef de tous les corps réunis, sous le nom d'armée du Nord, fut donné par le comité de salut-public au général Pichegru. Il venait sans doute d'acquérir de nouveaux droits à la bienveillance des gouvernans du jour, et tandis que l'homme qu'il haïssait le plus, son jeune compétiteur de gloire, le brave Hoche, allait expier ses succès dans les cachots de la Conciergerie en attendant la mort sur l'échafaud, Robespierre et Collot-d'Herbois faisaient, à la tribune de la convention et à celle des jacobins, ún pompeux éloge du patriotisme ardent de Pichegru, et des importans services qu'il avait rendus à la république, tant sous les rapports politiques que militaires. Il venait en effet d'intercepter les correspondances de plusieurs émigrés de marque, qu'il avait envoyées au comité de salut-public; il avait dénoncé au même comité des trames à l'intérieur contre les patriotes, et tout en affectant en ses discours et en ses rapports le républicanisme le plus exalté, et

la passion de l'égalité, il savait ménager habilement les prétentions et la vanité des représentans en mission aux armées, leur soumettant tous ses projets et ne paraissant suivre que leur impulsion. Aussi, lors de son passage à Paris, en se rendant à son nouveau poste, fut-il comblé d'éloges et d'honneurs par les puissans du jour, et de son côté, avant de partir, il écrivit à la société des jacobins pour lui témoigner sa reconnaissance et son éternel dévouement. « Je jure, disait-il dans sa lettre » d'adieu, de faire triompher les » armes de la république, d'exter» miner les tyrans, ou de mourir >> en les combattant. Mon dernier »> not sera toujours: vive la Répu»blique! vive la Montagne!» Dès son arrivée à l'armée du Nord, il adressa aux soldats une proclamation en style aussi énergique. Mais il fallait autre chose que des phrases de démagogue pour rétablir l'ordre et la confiance dans une armée accablée par des revers successifs, et dont plusieurs chefs avaient été destitués, emprisonnés ou immolés par de stupides proconsuls qui portaient partout avec eux le découragement et la désorganisation. Pichegru sut apporter de prompts remèdes à tant de maux, et ce fut à cette époque, la plus glorieuse de sa vie, qu'il déploya ces éminens talens militaires qui le placèrent au premier rang des guerriers tacticiens de nos temps. Les Autrichiens étaient maîtres de Condé, de Valencien nes, du Quesnoi, de Landrecies, et ne se trouvaient plus qu'à 40 lieues de Paris. Le prince de Cobourg commandait leur armée,

dont le centre était couvert par la forêt de Mormale, où ce prince avait élevé des retranchemens inexpugnables. On s'était obstiné à l'attaquer par ce point, et les Français y furent constamment repoussés avec d'immenses pertes. Pichegru eut encore ordre du comité de salut-public de renouve→ ler ces imprudentes attaques, et ne fut pas plus heureux que ses prédécesseurs. Mais il répara bien glorieusement ces premiers échecs, et fixa pour long-temps la victoire sous les drapeaux aux trois couleurs. Se livrant à ses propres inspirations et sans attendre les ordres du comité, il résolut d'entamer l'ennemi par ses flancs. Se portant avec rapidité, en avril 1794, sur la West-Flandre, il battit les Autrichiens à Courtray, au Mont-Cassel et à Menin. Leur ligne, si long-temps impénétrable, fut ainsi rompue, et profitant avec autant d'habileté que de promptitude de ses succès, il se fit joindre par 20,000 hommes qu'il avait laissés opposés au centre de l'ennemi, où il était décidé à ne plus rien tenter, et se trouva, avec toutes ses forces réunies, en présence de la grandearmée des alliés. Le prince de Cobourg commandait en chef cette armée, le duc d'York y avait amené un nombreux corps d'Anglais, et l'empereur François venait d'y arriver pour animer les troupes par sa présence. On se battit, pendant plusieurs jours, avec le plus grand acharnement de part et d'autre. Le 10 et le 11 mai, de sanglans combats se livrèrent sous les murs de Tournay et de Courtray; le général autrichien Clair

fayt se montra, dans le dernier, un redoutable adversaire ; enfin, le 17 mai, la grande-arinée des alliés attaqua les Français à Saughien, tandis que Clairfayt s'avançait sur la Lys; Pichegru céda le terrain dans cette journée, mais le 18 il attaqua à son tour les coalisés entre Menin et Courtray, et remporta, après la plus opiniâtre résistance, une victoire complète et décisive. On s'était battu, depuis la pointe du jour, jusque dans la nuit. Les Autrichiens, sous les yeux de leur empereur, avaient déployé une valeur et une constance admirables. Mais rien ne put résister aux savantes manœuvres de Pichegru, exécutées avec la rapidité de l'éclair par ses troupes. Une foule de prisonniers, 65 pièces de canon, des drapeaux, étendards, chevaux, bagages, etc., furent les premiers fruits de la victoire. Moreau, avec un corps détaché, avait eu ordre de tenir en respect celui de Clairfayt, et luttait contre lui avec des forces inférieures. Mais, apprenant la défaite de la grande-armée, le général autrichien se retira sur Thiel, où il prit une position avantageuse. Pour l'en tirer, Pichegru feignit d'attaquer la ville forte d'Ypres, qu'il cerna dans les premiers jours de juin, et cette ruse lui réussit. Les Autrichiens inarchèrent au secours de la place, et furent encore battus le 10 juin à Rousselaer, et le 13 à Hooglède. Cette dernière victoire décida du sort de la Flandre. Ypres se rendit le 17; les villes de Bruges, Ostende, Gand, Anvers, Tournay, Boisle-Duc, Venloo et Nimègue, tombèrent successivement entre les

mains des vainqueurs, qui se trou vèrent en outre maîtres d'un des pays les plus riches et les plus fertiles de l'Europe, et dont les inépuisables ressources fournirent abondamment aux besoins d'une armée couverte de gloire, mais manquant souvent des choses les plus nécessaires. Les quatre places occupées par les Autrichiens en France furent investies, et bientôt délivrées de la présence de l'étranger. Les alliés, découragés par une suite inouïe de revers n'offraient plus qu'une faible résistance. L'empereur François avait quitté l'armée, et le due d'York fut bientôt forcé à la plus pénible retraite; déjà toutes les troupes des coalisés, rejetées derrière la Meuse et le Rhin, n'avaient d'espoir que dans les obstacles opposés aux vainqueurs par la nature même, en un pays coupé de canaux, de marais et de larges rivières, où toutes les ressources de l'art avaient été employées pour défendre les principaux passages, et où les inondations ordinaires de la mauvaise saison auraient pu rendre une campagne d'hiver impossible. Mais cette fois la nature même se déclara en faveur des Français. Un froid excessif fit, dès la fin de l'automne, retirer les eaux débordées; et après avoir eu long-temps à marcher et à combattre dans les terres fangeuses où le soldat s'enfonçait jusqu'aux genoux, il put enfin franchir les fleuves mêmes sur une glace solide. On passa ainsi le Wahal; les villes de Breda et de Grave capitulèrent; on emporta l'ile de Bommel et le fort SaintAndré; on entra dans Thiel dès les

premiers jours de janvier 1795, après un combat où les Autrichiens, abandonnés par les Anglais, résistèrent avec valeur. L'armée hollandaise se débanda; les Anglais cherchèrent un refuge sur leurs vaisseaux; le 28 nivôse an 3 (17 janvier 1795), Utrecht et Amersfort se rendirent; le Leck fut passé le même jour, et les ligues de la Greb emportées; le vainqueur s'y saisit de So pièces de canon. Gertruydenberg capitula après 4 jours de bombardement; Gorcum et Dordrecht se rendirent à leur tour, et, le 21 janvier, Pichegru entra en triomphe dans la ville d'Amsterdam. Toute la Nord-Hollande avait de même été rapidement conquise, et un corps de cavalerie française venait de s'emparer des vaisseaux de guerre bataves pris par les glaces; fait d'armes nouveau dans les fastes militaires. Dès les premiers jours de février (1795), toute la république des ProvincesUnies se trouva soumise à la république française; le stadthouder avait fui avec sa famille et ses principaux partisans en Angleterre. Pichegru ne s'arrêta qu'à l'extrême frontière, où il ne trouvait plus d'ennemis à combattre, les généraux prussiens lui ayant fait part des négociations qui venaient de s'ouvrir entre leur souverain et le gouvernement français, en l'engageant à en attendre le résultat et à ne pas entrer sur le territoire prussien. Pendant le cours de cette brillante campagne, une grande révolution s'était opérée en France. Le 9 thermidor avait lui; Robespierre, Couthon, Saint-Just, venaient de por

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ter leur tête sur l'échafaud. Pichegru avait paru jusque-là dévoué à la faction qui venait de succomber; il était surtout intimement lié avec Saint-Just, auquel il devait en grande partie sa fortune militaire; mais il s'empressa un des premiers à faire parvenir à la convention une adresse de félicitation sur le triomphe qu'elle venait de remporter. Les mots de Vive la Montagne! furent dès lors prudemment supprimés dans toutes ses proclamations comme dans cette adresse; mais ceux de vive la république! y étaient d'autant plus prodigués, et elle ne pouvait selon lui que vivre et prospérer depuis que les « triumvirs, Saint-Just et »ses acolytes, les ennemis du » peuple et des soldats, avaient été punis de leurs forfaits.» La convention reçut les félicitations et bientôt les nouveaux rapports des triomphes de l'armée de Pichegru, avec les transports du plus vif enthousiasme. Le général fut com→ blé d'éloges et de faveurs. Il reçut le 13 ventôse (3 mars 1795), le commandement en chef de l'armée de Rhin-et-Moselle, tout en conservant la direction supérieure des armées du Nord et de Sambre-et-Meuse, commandées par les généraux Moreau et Jourdan, qui se trouvèrent sous ses ordres. Ce général eut ainsi à sa disposition plus de troupes qu'on n'en avait encore confié à aucun chef. Il se rendit à Paris vers la fin du même mois, sur la demande du comité de salut-public, et s'y trouvait au moment où une insurrection populaire des faubourgs éclata contre la conven

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