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gouvernement sur l'état de fermentation qui régnait dans les provinces, il se flattait d'obtenir par la crainte, qui n'était pas d'ailleurs sans fondement, quelques concessions qui eussent pu apaiser les carbonari, et satisfaire de cette manière aux engagemens qu'il avait contractés avec eux. Mais ses avis ne furent point écoutés : le chevalier Medici répondait en plaisantant à tous ceux qui lui parlaient des projets de la carbonnerie, et suivait avec opiniâtreté le plan de conduite qu'il s'était tracé. Ces tentatives réitérées de Pépé ne réussirent qu'à le rendre 'suspect: il fut décidé qu'on l'en verrait commander en Calabre: détermination aussi imprudente qu'inexplicable de la part du gouvernement, qui ne sauvait pas une province, et en exposait une autre. Pépé de son côté se montrait mécontent de cette translation: sa vanité en était blessée, et il craiguaitd'ailleurs que son successeur, instruit de ses projets,ne les dévoilât, et ne fît connaître en même temps ses promesses aux carbonari. Il était à intriguer à Naples pour rester dans son ancienne résidence, lorsqu'on y apprit la désertion d'un détachement de cavalerie en garnison à Nola. Cette nouvelle effraya le gouvernement, qui avait le secret de sa faiblesse. Parmi les premières dispositions qu'on se hâta de prendre, on remarqua non sans étonnement l'ordre donné à Pépé de se rendre immédiatement à Avellino : on lui dicta même un ordre du jour qu'il devait transmettre en son nom, pour rappeler à chacun le devoir de défendre le trône contre les at

taques de ses ennemis; mais quelques heures plus tard, le roi fit contremander le départ de Pépé, et ordonna même à Nugent de s'assurer de sa personne. Dans la nuit du 5 au6 juillet, on se présenta chez Pépé pour l'avertir que l'ordre de son arrestation, suspendu par les bons offices du capitaine-général, allait être exécuté. On ne manqua pas de l'effrayer sur sa position, et de lui faire comprendre qu'il ne lui restait d'autre ressource, que celle de quitter la capitale pour se mettre à la tête de l'insurrection. On lui parla de la défection du corps du général Nunziante, de la ville de Salerne tombée au pouvoir des constitutionnels, et de la disposition où étaient deux régiments de la garnison de Naples de le suivre à Avellino,etc. Pépé hésitait encore, mais l'espoir de réussir dans une entreprise qu'il regardait presque comme assurée, le décida à partir. Arrivé le 6 à Avellino, où la promesse d'une constitution l'avait précédé, le chef d'escadron Deconciliis, qui avait pris le commandement des insurgés, balança s'il devait réconnaître ce nouveau chef; mais la tendance de la révolution, étant de se couvrir d'autorité, on crut le sort de l'armée constitutionnelle plus avantageusement confié entre les mains d'un lieutenant- général. La présence de Pépé ne fut pas sans utilité pour l'ordre public: son rang, qui dominait sur ceux de tous les autres, servait comme d'un centre pour donner un ensemble à toutes ces individualités et faire taire tant de prétentions. Les révoltés se trouvèrent, sans le soupçonner, entraînés dans un

système ordinaire de discipline et de dépendance. La révolution prit un caractère monarchique; la cocarde des carbonari fut abattue, et le roi, au moment du plus grand abaissement de son pouvoir, put exercer librement le droit de choisir ses ministres parmi des hommes étrangers aux intrigues de la secte et jouissant de la considération générale. Ayant conservé la suprême direction de l'armée jusqu'à l'ouverture du parlement, Pépé contribua beaucoup au maintien de la tranquillité publique; mais sa position était fausse, ses vœux bornés, et ses talens médio cres. Il aurait voulu mériter la confiance de la cour, et ne pas mécontenter son parti, dont il ne pouvait se séparer sans perdre son influence, ni le diriger sans devenir factieux. Son ambition s'opposait au premier rôle, sa moralité répugnait à l'autre. Toute sa conduite était un mélange de vanité et de modestie, de complaisance pour les prétentions de la secte, et d'efforts pour la comprimer. Au 1 octobre, il déposa son commandement dans les mains du roi, qui lui fit offrir une forte somme d'argent et le cordon de SaintJanvier, pour que ce sacrifice ne lui inspirât pas du ressentiment. Pépé y mit de la dignité, et refusa ce dédommagement le rôle de Washington souriait à son imagination, mais il ne suffisait pas à son cœur, et l'on n'est pas Washington lorsqu'on ne sait pas dompter ses passions. Sans connaissances politiques, sans habitudes libérales, pendant tout le temps qu'il présida la force publique, il ne sut être qu'un officier

de détail. On voyait que pour lui la liberté n'était autre chose que la dictature militaire d'un bon citoyen et d'un grand homme, et il se croyait l'un et l'autre. Il tâchait de s'étourdir sur les dangers qui menaçaient son pays, ne se sentant pas assez de courage pour les regarder en face accablé de la responsabilité qui pesait sur lui, et embarrassé de soutenir avec éclat le rôle dont il s'était chargé, il cherchait par des parades, des proclamations et des exemples historiques, aussi mal choisis que mal appliqués, à calmer les appréhensions publiques et les siennes. Il fit un voyage dans les Abruzzes, où il ne trouva pas cet enthousiasme auquel il s'était attendu; mais il crut le faire naître en faisant in→ sérer dans les journaux du 24 janvier 1821 un rapport emphatique sur l'énergie et l'esprit de liberté et d'indépendance de ces provinces, qu'il regardait comme le boulevard du royaume. Sa politique ordinaire consistait à faire parler dans chaque province du bon esprit qui régnait dans les autres, en abusant tout le monde, à commencer par lui-même. Lorsque le roi partit pour Laybach, il ne douta plus de la paix. Ses flatteurs lui conseillaient de faire un bon mariage, pour consolider sa fortune et se reposer de ses travaux : il goûtait ces avis, et songeait déjà à conquérir la main d'une demoiselle, croyant qu'il ne lui restait plus rien à faire pour assurer l'indépendance de son pays. Mais les décisions du congrès de Laybach, et la conduite du roi, détruisirent le charme, et jetèrent l'alarme dans son

coeur. Il se rendit en Abruzze, pour se mettre à la tête d'un corps d'armée, composé de 9,000 hommes de troupes réglées, et de 18,000 de gardes nationales. Ces moyens n'étaient pas considérables; mais si tout ce qu'il avait dit du bon esprit de ces provinces eût été vrai, il aurait pu combattre avec avantage l'ennemi qui se serait présenté pour franchir une frontière hérissée de difficultés et d'obstacles. Mais le découragement était dans son esprit, la dissention dans les milices, le mécontentement et l'insubordination dans les troupes. Les populations, irritées des vexations auxquelles elles étaient exposées par l'indiscipline des soldats et la faiblesse des chefs, regardaient avec indifférence le dénouement d'un drame qu'elles n'étaient pas encore en état de bien comprendre. Pépé, contre les instructions qu'il avait reçues, attaqua Rieti le 7 mars, sans même annoncer le commencement des hostilités au général Carascosa, qui commandait le premier corps d'armée posté à S. Germano, et dont il aurait pu tirer quelques secours. Après un combat de quelques heures, dans lequel il ne perdit que 200 hommes, sans être délogé d'une seule de ses positions, il se trouva au bout de quatre jours hors des Abruzzes, n'ayant conservé que 2000 hommes. Arrivé à Isernia, il s'exhalait en plaintes contre tout le monde, en disant que les Abruzzais ne prenaient aucun intérêt à la constitution, que ses soldats avaient été démoralisés dans leur contact avec les milices, et que celles-ci ne se souciaient pas

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se défendre: c'était le même homme qui avait écrit et signé le rapport du mois de janvier! Ce mouvement de Pépé a été généralement regardé comme la cause des désastres de Naples. On ne peut pas nier que son attaque fût prématurée, mal conduite, et plus mal combinée. On ne fait jamais une reconnaissance en déployant, toutes ses forces devant une tête de colonne ennemie. Le débandement des milices peut être seulement accepté comme une justification, mais cela prouve que le mal ayait des racines plus profondes; qu'on s'était abusé sur l'esprit public de la nation, et qu'on avait donné pour la réalité ce qui n'était qu'une illusion. Pépé fut terrassé par ses revers; la crainte d'une peine infamante s'empara de son esprit, et lui fit songer plutôt à sa sûreté qu'à celle des autres. Il se hâta d'arriver dans la capitale, et prit la résolution de s'embarquer pour l'Espagne, refusant, avec le désintéressement qui lui est naturel, une somme de 40,000 francs qu'un illustre personnage lui fit offrir pour payer les frais de son voyage. Il ne fut pas mieux reçu en Espagne, qu'il ne l'avait été à Naples. Mécontent de tout le monde, il alla s'embarquer à Lisbonne pour passer en Angleterre, où il écrivit un mémoire pour se justifier. On le voit, sous le charme de ses anciennes illusions, insulter en même temps à la raison et à la morale; conseiller au roi de Naples, qu'il déclare prisonnier des Autrichiens, de relever la constitution espagnole, et avouer qu'il a été toujours en conspiration per

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manente contre Joachim et Ferdinand, qui l'avaient comblé de faveurs. Cette aberration d'esprit acheva de le perdre dans l'opinion publique. Le général Pépé aurait occupé une place, sinon éminente, au moins peu commune dans les annales des révolutions, s'il avait eu le bon esprit de dire « Des cir>> constances extraordinaires m'ont placé dans une position au-des>> sus de mes forces: une révolu» tion porte mon nom, et c'est la » seule dans laquelle une goutte » de sang n'a été répandue, où » une larme n'a été verséc : j'en >> suis sorti sans crimes et sans for>> tune.... J'ai fait mon malheur et >> celui de mes compatriotes; cette » idée fera mon tourment, et rem» plira d'amertume le reste d'une » vie que je passerai dans l'obscu>> rité et dans l'exil. » Mais un homme, né avec le besoin de la gloire et sans moyens pour y parvenir, ne pouvait pas se deviner, ni se contenter d'une place si secondaire dans l'histoire. Nous n'avons pas cru nécessaire de rapporter les détails du duel de Pépé avec Carascosa c'est un événement trop peu important dans la vie publique d'un personnage politique. Le général Pépé, dépouillé de son grade et de ses titres, vit à Londres, loin de son pays, où un arrêt de mort a été prononcé contre lui.

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PÉPÉ (GABRIEL), ex-colonel, ex-député au parlement de Naples, chevalier de l'ordre de Saint-Georges, naquit en 1781, à Bojano, dans la province de Molise. La révolution de 1799 l'éloigna des paisibles études de droit pour le jeter dans la carrière militaire. Enve

loppé dans la proscription, il vint en France, s'enrôla dans la légion italienne, et fit les campagnes de 1800 et 1801, en Italie. Rentré dans ses foyers à la suite de la paix de Florence, il reprit avec ardeur ses anciennes occupations; mais au retour des armées françaises dans le royaume de Naples, il préféra une place de lieutenant dans un régiment d'infanterie, avec lequel il fut employé pendant deux ans à la destruction des brigands, avant de passer en Espagne sur un théâtre plus vaste, mais non moins dangereux. Blessé à l'assaut du Monty de Gironne, il reçut la croix des Deux-Siciles, et fut proposé pour celle de la légion-d'honneur. Ayant ramené à Naples les débris de son bataillon, il en devint le chef, et mit beaucoup d'activité pour en hâter la réorganisation. Attaché au général Pignatelli-Strongoli, il le suivit dans une mission au quartier-général des souverains étrangers à Troyes, et à son retour il prit le commandement d'un bataillon du 5o de ligne napolitain, à la tête duquel il fit les cainpagnes de 1814 et 1815. Dangereusement blessé dans une affaire où il déploya autant d'énergie que d'intelligence, il mérita d'être noi. mé colonel en second, grade qui lui fut confirmé à la rentrée de Ferdinand dans ses états. Destiné d'abord au commandement d'une

province, Pépé reçut ensuite celui d'un régiment d'infanterie légère, en garnison à Syracuse, où il se trouvait lorsque la révolution éclata. Elu député de sa province, il vint siéger au parlement de Naples, le 11 octobre, et trois jours plus tard, il y pronença un dis

cours violent contre la convention militaire de Palerme (voy. l'art. Florestan PEPÉ). La voix d'un soldat couvert de blessures électrisa les esprits, et entraîna l'assemblée. Il fut décidé que la capitulation accordée aux Palermitains serait annulée, et qu'on remplacerait le général Pépé en Sicile, pour l'obliger de justifier son abus de pouvoir. Ce succès donna une grande popularité à l'orateur; mais peu de jours après, la réflexion condamna ce que l'enthousiasme avait approuvé: on sentit toutes les conséquences de la motion de Pépé; on ne lui pardonnait pas d'avoir été fouiller un exemple sanglant dans les annales de la révolution française, et le conseil donné au gouvernement de traiter Palerme comme la convention avait fait traiter Lyon; on le rendait enfin responsable des maux auxquels on devait s'attendre de cette malheureuse scission entre la Sicile et le royaume de Naples. Nul doute que le discours de Pépé n'ait été la source de beaucoup de malheurs; mais c'est moins à lui qu'au parlement qu'on doit en adresser le reproche. Un député peut se tromper sur l'application d'un principe, et demander mal à propos la stricte exécution d'une loi: c'était le cas de Pépé. Mais il est du devoir d'une assemblée de juger froidement du résultat d'une délibération, et de combattre le zèle par la prudence, opposant les calculs de la raison aux égaremens d'un patriotisme imprévoyant. Le colonel Pépé, habitué à une vie simple et retirée, fut ébloui de son triomphe. Il prit dans le parlement le ton d'un tribun, et se

chargea d'y appuyer les motions les plus 'violentes. Ce fut lui qui accusa les ministres à l'occasion du message du 7 décembre ; et dans cette circonstance, comme dans l'autre, son principe pouvait être vrai, mais l'application en était fausse. Dans toute sa carrière parlementaire, il se montra toujours d'un caractère franc, loyal et impétueux. Il aurait voulu donner à la constitution des cortès cette vénération qui ne peut être inspirée que par le temps; la moindre déviation du sens littéral de ses articles lui paraissait un crime, et tout homme qui eût voulu une autre liberté que celle d'Espagne, ou qui eût essayé d'y parvenir par d'autres moyens, devenait à ses yeux un mauvais citoyen et un parjure. Il se faisait illusion sur l'esprit de la nation, dont il ne jugeait que d'après ses propres sentimens ; mais il se désabusa lorsque, placé à la tête d'un corps, il y trouva une autorité audessus de la sienne; et cette autorité résidait auprès de son tambour-major, qui était le chef d'une vente établie au sein de son régiment. Arrêté après la chute du gouvernement représentatif, Pépé fut livré aux Autrichiens, et déporté en Moravie, où il est resté à peu près deux ans ; il a supporté avec dignité son malheur, et lorsque la liberté lui a été rendue, il est allé vivre à Florence, où il cultive son esprit et agrandit le cercle de ses idées. Il est versé dans les langues savantes, et familiarisé avec les bons auteurs, anciens et modernes. Nul doute que l'étude n'ait des charmes pour lui, et ne parvienne à le faire revenir

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