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Séjan seul est témoin de cette mort si prompte; Des discours de Pison Séjan vient rendre compte; Pison, nous dit Séjan, parle de trahison;

Et Séjan tient le fer qui poignarda Pison!

TIBÈRE.

Aux leçons du malheur Agrippine indocile
Commence à fatiguer ma bonté trop facile;
Et détourne avec art des soupçons odieux,
Quand le sénat sur elle ouvre déjà les yeux.
Séjan m'est nécessaire; et, qu'aucun ne l'ignore,
J'honore un tel ministre et prétends qu'on l'honore.
Quant au vœu de Pison, sans peine j'y souscris ;
Cnéius a des vertus dont je connais le prix ;
Que d'un malheureux père il garde la fortune;
Plus d'orageux débats, de recherche importune.
Pison longtemps encore aurait servi l'État,
S'il avait mieux connu l'équité du sénat.
D'un crime, je le sais, Pison fut incapable.

CNÉIUS,

Vous vous trompez, César; mon père était coupable.

AGRIPPINE.

Cnéius, après sa mort osez-vous l'outrager?

CNÉIUS.

Écoutez, Agrippine, avant de me juger.

SEJAN.

Ah! s'il eut des secrets, pouviez-vous les connaître ?

CNÉIUS.

Aussi bien que Séjan connaît ceux de son maître.

TIBÈRE.

Seriez-vous un ingrat? M'insultez-vous, Cnéius?

CNEIUS.

Mon père était coupable, et Tibère encor plus.

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Hélas! j'accuse un père: on verra si je l'aime.
Agrippine à mes pleurs l'avait enfin rendu ;
Mon père, en l'apprenant, égaré, confondu,
De la mort d'un héros s'est déclaré complice:
Tibère commanda l'horrible sacrifice.

Demain Pison lui-même aurait tout révélé :
Tibère le savait, Pison s'est immolé !

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Je ne sens point d'effroi.

César est immobile et calme ainsi que moi.

Vous tremblez, sénateurs: attendez en silence
Que César d'un coup d'œil vous dicte ma sentence.
Et toi, qui dans un cœur de crimes déchiré
Savoures le tourment que tu m'as préparé,
Tyran profond, mais vil, honte et fléau de Rome,
Éclipsé dans ta cour par l'ombre d'un grand homme,
Quand, de tes attentats ministre infortuné,

Pison par son complice expire assassiné,

Tu m'offres des trésors teints du sang de mon père !
Garde pour un Séjan les faveurs d'un Tibère.
C'est le prix des forfaits; je ne l'accepte pas :
Rien de toi, rien, César, pas même le trépas.
Un sort plus glorieux doit être mon partage.
Le poignard de Pison, voilà mon héritage.
Ce fer me suffira. Tu pâlis, malheureux!
Va, je te le rendrai teint d'un sang généreux;
Un autre aura l'honneur de venger les victimes;
Séjan respire encor; tu puniras ses crimes :
J'ai vécu, je meurs libre, et voilà mes adieux.

Il est temps de placer Tibère au rang des dieux. (Il se tue.)

POÊME.

I.

J'expose dans mes vers les principes des arts.
Toi, dont la France obtint les propices regards,
Par qui la Grèce et Rome ont produit des miracles,
Apollon! dieu du jour, dieu qui rends les oracles,
Qui, de rayons couvert, et tenant l'arc vengeur
Sous qui du noir Python succomba la fureur,
Guide le vol hardi de ce coursier rapide
Dont le pied fit jaillir la source Aganippide;
Daigne inspirer ma voix ! Et vous, pudiques sœurs,
Muses! de vos accords prêtez-moi les douceurs ;
Laissez-moi d'Hélicon parcourir les ombrages,
Où, ceintes de lauriers, sous l'abri des bocages,
Vous formez en dansant ces chants mélodieux
Qui montent vers l'Olympe, et vont charmer les dieux.
Je vous implore aussi, Grâces enchanteresses!
Vous égayez le chœur des neuf chastes déesses;
De vos jeux élégants vous ornez leurs concerts.
Eh! que seraient sans vous et le chant et les vers?
Donnez-moi ce talent dont l'heureuse souplesse
S'élève avec vigueur, descend avec noblesse,
Sait badiner, instruire, émouvoir, raisonner;
Et prendre tous les tons sans jamais détonner.

Les arts n'ont qu'un objet : d'imiter la nature;
Poésie, éloquence, et musique, et peinture,
Marchent au même but par des sentiers divers.
Mais, comme ils sont voisins, un esprit de travers
De les confondre ensemble a souvent la manie,
Et voit dans ses écarts les élans du génie.
En vain le mauvais goût s'empresse d'applaudir :
Dénaturer les arts n'est pas les agrandir.

Ainsi qu'aux vers bien faits, il faut à l'éloquence
Les sons harmonieux, le nombre, la cadence,
Les termes enrichis d'un sens plus étendu,
Des termes rapprochés l'hymen inattendu,
Ces tours, ces mouvements, ces figures pressées,
Qui font agir les mots et peignent les pensées.
Bossuet, Fénelon, leur devancier Pascal,
Buffon leur successeur, et Rousseau leur égal,
Des lecteurs délicats méritant les suffrages,

De ces trésors du style ont paré leurs ouvrages;
Mais vous n'y trouvez pas tout ce pompeux jargon,
Tous ces lambeaux de vers sans rime et sans raison,
Tous ces ornements faux, nés quand le goût s'éclipse,
Sublime d'alcoran, beautés d'apocalypse,

Que vont semant partout ces charlatans nouveaux
Dont Bélise et Tartufe encensent les tréteaux.

Quelques gens semblent croire aux poëmes en prose :
Ils ont tort; et le mot ne change point la chose.
A quoi bon, mes amis, défigurer vos pas?
Vous marchez mal, d'accord; mais vous ne dansez pas.
Si l'auteur que tourmente une verve indiscrète,
Faisant des vers sans grâce, est un méchant poëte,
Sous le nom de poëte il se déguise en vain,
Lorsqu'il ne peut des vers atteindre l'art divin.
Réduisons chaque terme à sa valeur réelle :
On dit, Homère est peintre; est-il rival d'Apelle?
Sophocle est éloquent; devient-il orateur?
Des mots harmonieux un usage enchanteur
Fait-il que Cicéron ait la lyre d'Horace?

Des tableaux pleins de feu, de couleur et d'audace,
Du sévère Tacite animent les écrits;

Est-ce un poëte épique? Ou veut-on qu'aux récits
Avec son merveilleux la fable soit mêlée;

Et faut-il de ce titre honorer Apulée?

-Non, mais au merveilleux notre style répond;
Nous avons du poëme et la forme et le fond:
Héros, fable, récit, épisodes, prodiges.

— Soit; l'intérêt vous manque; entassez les prestiges;

Aux dieux du Panthéon joignez la Fleur des Saints.
Osez même, appauvris par de nombreux larcins,
Habiller de centons votre prose guindée,

Où tout veut être image, où rien n'offre une idée;
Au Parnasse français on n'assure ses droits
Qu'avec cet art qui chante et qui peint à la fois,
Qui sait dans les esprits graver ce qu'il exprime,
Qui fait servir au sens la mesure et la rime,
Voit de brillants appuis où vous voyez des fers,
Et pare la raison du charme des beaux vers.

Du prélat de Cambrai quand la douce sagesse
De son royal élève instruisait la jeunesse,
Par Homère et Sophocle il était inspiré;

Il avait leur pinceau, mais non leur chant sacré.
Télémaque, où partout brille un talent suprême,
Est un chef-d'œuvre en prose et n'est pas un poëme;
L'auteur n'avait point dit : « Je chante ce héros... »
La Mothe un peu plus tard vint abuser des mots.
La Mothe, en vers très-durs estropiant Homère,
Écourta l'Iliade en un trop long sommaire;
Dans le lit de Procuste il osa mutiler
Celui qu'aucun rival ne pouvait égaler;
Et son aridité, du sublime ennemie,
Fit du géant du Pinde un nain d'académie.
Honni par le public, il cessa de rimer;

Et dans une ode en prose il lui plut d'affirmer
Que, sans écrire en vers, on peut être un poëte,

Essayer le cothurne, emboucher la trompette.

Bientôt, pour se couvrir du manteau d'un beau nom,
Comme un chantre héroïque il cita Fénelon.
Des poëmes rimés l'éclatante disgrâce
Avait, durant un siècle, effrayé le Parnasse :
On avait vu tomber le conquérant Clovis,
L'empereur Charlemagne, et le saint roi Louis;
L'ostrogoth Alaric, dans la nuit éternelle,
Descendre côte à côte auprès de la Pucelle;
David suivre Moïse, et précéder Jonas.
De même on vit Séthos, Té èphe, et les Incas,

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