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LA PROMENADE.

ÉLÉGIE.

Roule avec majesté les ondes fugitives,
Seine; j'aime à rêver sur les paisibles rives,
En laissant comme toi la reine des cités.
Ah! lorsque la nature, à mes yeux attristés,
Le front orné de fleurs, brille en vain renaissante ;
Lorsque du renouveau l'haleine caressante
Rafraîchit l'univers de jeunesse paré,

Sans ranimer mon front pâle et décoloré;
Du moins, auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poëte implore,
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolants, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Égayaient mes destins ignorés de l'envie!

Le soleil affaibli vient dorer ces vallons;
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.
Oh! que de fois j'errai dans tes belles retraites,
Auteuil, lieu favori, lieu saint pour les poëtes!
Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux!
C'est là qu'au milieu d'eux l'élégant Despréaux,
Législateur du goût, au goút toujours fidèle,
Enseignait le bel art dont il offre un modèle;
Là, Molière esquissant ses comiques portraits,
De Chrisale ou d'Arnolphe a dessiné les traits;
Dans la forêt ombreuse, ou le long des prairies,
La Fontaine égarait ses douces rêveries;
Là, Racine évoquait Andromaque et Pyrrhus,
Contre Néron puissant faisait lonner Burrhus,

OEUVRES POSTRUMES.

11

Peignait de Phèdre en pleurs le tragique délire.
Ces pleurs harmonieux que modulait sa lyre
Ont mouillé le rivage; et de ses vers sacrés
La flamme anime encor les échos inspirés.

Saint-Cloud! je t'aperçois; j'ai vu, loin de tes rives,
S'enfuir sous les roseaux tes naïades plaintives;
J'imite leur exemple, et je fuis devant toi :
L'air de la servitude est trop pesant pour moi.
A mes yeux éblouis vainement tu présentes
De tes bois toujours verts les masses imposantes,
Tes jardins prolongés qui bordent ces coteaux,
Et qui semblent de loin suspendus sur les eaux .
Désormais je n'y vois que la toge avilie
Sous la main du guerrier qu'admira l'Italie.
Des champêtres plaisirs tu n'es plus le séjour :
Ah! de la liberté tu vis le dernier jour!

Dix ans d'efforts pour elle ont produit l'esclavage!
Un Corse a des Français dévoré l'héritage!
Élite des héros au combat moissonnés,

Martyrs avec la gloire à l'échafaud traînés,

Vous tombiez satisfaits dans une autre espérance!
Trop de sang, trop de pleurs, ont inondé la France;
De ces pleurs, de ce sang un homme est héritier!
Aujourd'hui dans un homme un peuple est tout entier!
Tel est le fruit amer des discordes civiles.

Mais les fers ont-ils pu trouver des mains serviles?
Les Français de leurs droits ne sont-ils plus jaloux ?
Cet homme a-t-il pensé que, vainqueur avec tous,
Il pourrait, malgré tous, envahir leur puissance?
Déserteur de l'Égypte, a-t-il conquis la France?
Jeune imprudent, arrête : où donc est l'ennemi?
Si dans l'art des tyrans tu n'es pas affermi.....
Vains cris! plus de sénat; la république expire;
Sous un nouveau Cromwel naît un nouvel empire.
Hélas! le malheureux, sur ce bord enchanté,
Ensevelit sa gloire avec la liberté.

Crédule, j'ai longtemps célébré ses conquêtes; Au forum, au sénat, dans nos jeux, dans nos fêtes, Je proclamais son nom, je vantais ses exploits, Quand ses lauriers soumis se courbaient sous les lois, Quand, simple citoyen, soldat du peuple libre, Aux bords de l'Éridan, de l'Adige et du Tibre, Foudroyant tour à tour quelques tyrans pervers, Des nations en pleurs sa main brisait les fers; Ou quand son noble exil aux sables de Syrie Des palmes du Liban couronnait sa patrie. Mais, lorsqu'en fugitif regagnant ses foyers, Il vint contre l'empire échanger les lauriers, Je n'ai point caressé sa brillante infamie; Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie; Et, tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs Lui vendre avec l'État leurs vers adulateurs, Le tyran dans sa cour remarqua mon absence : Car je chante la gloire, et non pas la puissance.

Mais détournons les yeux de ces tristes tableaux :
Leur douloureux aspect irrite encor mes maux;
Et le jour qui finit offre au moins à ma vue
Un spectacle plus fait pour mon âme abattue :
Le troupeau se rassemble à la voix des bergers;
J'entends frémir du soir les insectes légers;
Des nocturnes zéphyrs je sens la douce haleine;
Le soleil de ses feux ne rougit plus la plaine;
Et cet astre plus doux, qui luit au haut des cieux,
Argente mollement les flots silencieux.

Mais une voix qui sort du vallon solitaire

Me dit « Viens; tes amis ne sont plus sur la terre;

:

« Viens; tu veux rester libre, et le peuple est vaincu. »
Il est vrai jeune encor, j'ai déjà trop vécu.
L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées;
A mon esprit déçu, facile à prévenir,

Des mensonges riants coloraient l'avenir.

Flatteuse illusion, tu m'es bientôt ravie!
Vous m'avez délaissé, doux rêves de la vie;
Plaisirs, gloire, bonheur, patrie et liberté,
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté.
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années;
Ma vie est sans couleur, et mes pâles journées
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubres comme un soir qui n'eut pas de matin.
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre ;
Le feu qui me brûlait a besoin de s'éteindre;
Ce qui m'en reste encor n'est qu'un morne flambeau
Éclairant à mes yeux le chemin du tombeau.
Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique!
Vous, amis des humains, et des champs, et des vers,
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages
Mes derniers vêtements mouillés de tant d'orages;
Là quelquefois encor daignez vous rassembler;
Là prononcez l'adieu que je sente couler
Sur le sol enfermant mes cendres endormies
Des mots partis du cœur et des larmes amies!
(1805.)

LA LETTRE DE CACHET '1.

CONTE.

Dans les beaux jours de Louis quatorzième,
Un jeune objet, qu'eût aimé l'Amour même,
Grâce à l'hymen, partageait le destin
D'un Franc-Comtois, comte de Valespin.
L'époux, major au service d'Espagne,
Laisse à Paris sa gentille compagne

V. dans le Dictionnaire du Siecle de Louis XIV de Voltaire, d'où est tiré ce conte.

l'anecdete

Dix mois entiers: un oisif de la cour
Le remplaça. Quand au son du tambour
Le bon major, zélé pour le service,
A Besançon commandait l'exercice,

Sans bruit aucun la belle, au sein des nuits,
Cueillait des fleurs qui promettaient des fruits.
Rien n'était su: trois semaines encore,

Et, déjà múrs, ces fruits allaient éclore.
Chez elle un jour elle rentrait le soir :
Quel contre-temps ! et que le trait est noir!
De Besançon certaine lettre arrive;
Et son époux par la tendre missive
Lui fait savoir qu'il presse son retour :
Le lendemain, vers le déclin du jour,
Il reverra sa femme tant aimée !
D'un tel espoir la belle peu charmée
Lit et relit, se couche, et ne dort pas.
Que faire ? Il faut se tirer d'un tel pas.

Mais le peut-on ? Comment ? Quel parti prendre?
De grand matin, ne sachant qu'entreprendre,
Elle est debout: de modestes apprêts
Sans les couvrir relèvent ses attraits.
En négligé, mais avec élégance,
Elle va voir, pour cas de conscience,
Un ami sûr, un profond magistrat :
Monsieur Lainet, le conseiller d'État.

Elle dit tout d'un air de prud'homie,
S'intéressant pour une tendre amie
Qu'elle excusait, sans l'approuver pourtant,
Mais la plus sage en aurait fait autant.
Le mari loin! puis la jeune imprudente
A dix-huit ans, et le mari quarante !
Elle parlait en baissant ses beaux yeux,
Et parlait bien : Lainet l'entendit mieux.
Pour le beaux sexe il était honnête homme,
Lisait Cujas et parcourait Brantôme,

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