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« Soit, répond un quidam '; pour moi je suis abbé :
« Il s'agit bien de vers et de Meschacébé;
« Laissons tous ces lambeaux d'élégie ou d'églogue;
« Je ne connais de vers que ceux du Décalogue:
« Au fait, en quatre mots; payez, si vous croyez ;
« Si vous ne croyez pas, en revanche, payez.
« Vous êtes philosophe : à vous permis de l'être ;
« Mais c'est bien votre faute et non celle du prêtre;
« Et vous l'en puniriez? le tour est trop méchant.

« Il est dans saint Ambroise un endroit fort touchant.
« Vous ne refusez rien au défenseur impie

"

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«Qui pour vous aux combats n'expose que sa vie ;

« Et le ministre saint, qui, tranquille à l'autel,

<< Loin du champ de bataille, invoque en paix le ciel,

Que lui donnerez-vous? pas une obole! ah! traîtres!

« Vous aurez des héros, vous n'aurez plus de prêtres !

« Vous n'avez donc jamais senti la volupté

"

Qu'inspire un Te Deum, quand il est bien chanté ? »

Le Te Deum pourtant ne vaut pas la victoire ;

Mais il faut, selon vous, payer pour ne rien croire ?
Non, tant cru, tant payé : nul au nom de la loi
Ne peut lever sur tous un impôt pour sa foi.
Ainsi par Jefferson l'heureuse Virginie

Des cultes différents vit régner l'harmonie.
J'entends: vous maigrissez; les profits ne vont point;
Lambertini pour moi répondra sur ce point.
On ne vit pas souvent pape de son étoffe,
Pape lettré, malin, voire un peu philosophe :
Fléau de Mahomet, ce prophète imposteur,
D'un chef-d'œuvre naissant il fut le protecteur
Par respect pour Jésus, dont il était vicaire.

Des moines un beau jour vont le trouver : « Saint-Père !

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En notre jeune temps le couvent allait mieux ;

« Dévotes à foison; mais nous devenons vieux :

« On gèle à la cuisine, on jeúne au réfectoire;

« Pour les rosaires, rien; rien pour le purgatoire;

L'auteur anonyme d'un Manuel des Missionnaires qui parut alors.

« La messe est au rabais; nous vendons peu d'agnus ;

"

Quant aux enterrements, hélas ! on ne meurt plus.
Ce disant, ils pleuraient, et montraient leur besace.
Par quelques pièces d'or consolant leur disgrâce,
Le pontife narquois rit sous cape, et leur dit :

« Pour des moines toscans vous avez peu d'esprit ;

« Vous vous abandonnez, et dieu vous abandonne :

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Courage! intriguez-vous; faites quelque madone. »>

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— « Paix là, ne raillez point » (s'écrie un court vieillard 1 A la voix glapissante, au ton sec et braillard : )

«Ne pas croire avec moi des vérités sensibles!

« Moi, le saint-père et dieu, nous sommes infaillibles. « De penser comme moi l'on doit être charmé;

« D'ailleurs, j'ai prouvé tout, c'est-à-dire affirmé

1

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« Dans quinze ou vingt leçons, dans cinq ou six brochures, «En profond raisonneur, avec beaucoup d'injures. « Vous doutez, malheureux! voilà comme on se perd. - Mais Voltaire, Rousseau, Montesquieu, d'Alembert! « Quoi ! l'on en parle encore? indociles cervelles ! « Méchants, qui n'aimaient pas les peines éternelles ! « Si j'ai pensé comme eux dans ma jeune saison, « J'étais comme aujourd'hui certain d'avoir raison : « Pour eux ils avaient tort, et jusqu'à l'évidence « J'ai de ces novateurs démontré l'impudence..... «Mais leur philosophie a corrompu les cœurs : « Un moment; patience; ils viendront les vengeurs ; << Dieu ne laissera plus régner l'esprit immonde :

<< Tout est damné : la France, et l'Europe, et le monde.

« Excellente moisson pour les anges maudits!

« Que je sois seulement portier du paradis,

« Je prétends dire à tous, comme un suisse inflexible :

« Vous venez pour entrer? mais Dieu n'est pas visible;

« Bonsoir; allez rôtir; c'est pour l'éternité :

« Le bail est un peu long : j'en suis bien enchanté.

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J'emporterai de plus ma férule, et pour causes.

« Je prétends avec dieu causer sur bien des choses.

La Harpe.

« Et régenter là-haut les habitants du ciel ;

« Car je fus ici-bas régent universel,

« Au Mercure, au Lycée, en pleine Académie ;
« Modèle en prose, en vers, tout comme en modestie.
<< Aimez-vous l'enjoûment, les grâces, le bon ton ?
<< Lisez mes deux Quatrains sur Voltaire et Tonton.
« Les vers de Colardeau sont doux, mais un peu vides:
« Voulez-vous des vers pleins? prenez mes héroïdes.
« Le Brun franchit la lice à bonds précipités;

« Dans mon lyrique essor je marche à pas comptés.
« Ducis a fait pleurer sur les malheurs d'OEdipe;
« Barmécide paraît: le chagrin se dissipe.

« Du parterre dix fois j'ai calmé les douleurs;
<< Nul auditeur ne peut me reprocher ses pleurs.
« Thomas, Garat, Chamfort, prosateurs misérables ! ́
« Mes éloges, voilà des écrits admirables;

« Car j'ai loué parfois : on peut vanter les gens,
« Quand ils sont enterrés au moins depuis cent ans.
« Pour mes contemporains, sans user d'artifice,

« J'ai dit du mal de tous 2; car j'aime la justice.
L'indulgence est un crime ; et je suis sans remords.

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« Avant Dieu j'ai jugé les vivants et les morts.

Il vous en adviendra quelque mésaventure.

O grand Perrin Dandin de la littérature,
De votre tribunal président éternel;

Le public, président du tribunal d'appel,

n

Par de nouveaux arrêts pourra casser les vôtres ;
Et l'on vous jugera, vous qui jugez les autres.
Longtemps, jaloux poëte, aux enfants d'Apollon
Vous avez cru fermer les sentiers d'Hélicon;
Aujourd'hui, nouveau saint, il faut que l'on vous donne
Les clefs du paradis, pour n'ouvrir à personne !
Pierre les gardera, si vous le trouvez bon.
D'un bel ange autrefois l'orgueil fit un démon.

Tout en protes

1 Les Barmécides, tragédie de La Harpe, jouée en 1779. tant contre le rôle de grand prévôt de la littérature que voulait s'adjuger La Harpe, Chénier a su rendre justice ailleurs à un critique qui l'avait pourtant bien maltraité. (V. le Tableau de la Littérature.)

Quel exemple pour vous! Jusque dans la vieillesse
On tient par habitude aux péchés de jeunesse :
Vous fûtes grand pécheur; souvenez-vous-en bien,
Et devenez plus humble afin d'être chrétien.

(1802.)

ÉLÉGIES ET CONTES.

LA RETRAITE.

Un roi, je dirai plus, un sage,
Écrit que tout est vanité,
Tout, y compris la majesté,
Même l'amour, et c'est dommage.
Nombre de gens ont souhaité
D'éterniser dans la mémoire
Un nom d'âge en âge escorté
Par les fanfares de la gloire.

Ce rêve est sans doute fort beau;

Mais, lorsque de nos jours plus sombres
Pâlit et s'éteint le flambeau,

Le bruit qu'on fait sur un tombeau

Ne va point réjouir les ombres.

Heureux qui, du monde oublié,
Cultive sans inquiétude

Et les beaux-arts et l'amitié!
Heureux qui dans la solitude,
De la vérité seule épris,
Cherche en des livres favoris
Le plaisir, et non plus l'étude !
Dans la jeunesse, où l'avenir
Nous découvre une mer immense,
L'homme entend la voix du zéphir,
Et s'embarque avec l'espérance;
Mais bientôt l'imprudent nocher
Est froissé par un long orage;
Contre les pointes d'un rocher
Son vaisseau heurte et fait naufrage,
Lui-même il se sauve à la nage;
Il vient sécher ses vêtements;

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