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Le fruit heureux d'un discours aussi beau,

Son double esprit, mais non pas son manteau.
Avant ce temps j'aimais fort la satire :
Tout pauvre diable est enclin à médire.
J'avais parfois joliment dénigré;

Mais, ce jour-là, j'étais un inspiré.
Pour vingt écus écrivant de génie,
Par élégance usant de calomnie,
J'avais déjà griffonné, ramassé
Tout un volume, avant d'avoir pensé.
Enfant perdu de la littérature,

Vrai don Quichotte, et chercheur d'aventure,
Je crus aussi devoir m'associer
Certain Sancho, mon fidèle écuyer '.
Les calembours ornent ses opuscules;
Sans s'appauvrir donnant des ridicules,
Il s'applaudit du rire épais des sots

A ces rébus, qu'il prend pour des bons mots.
Berné cent fois, il est encor novice.
En consultant sa pesante malice,
Je barbouillai plus d'un livret bouffon
Contre Garat, Condorcet et Buffon 2,
Me souvenant des leçons de mon maître,
Aussi fécond, plus effronté peut-être ;
Mais (pardonnez aux faiblesses du cœur),
Mais moins que lui dégoûté de l'honneur,
Je me flattais que ma douce éloquence
Allait en cour, à Paris, dans la France,
Faire une émeute; et qu'un siége de plus
Serait créé chez les quarante élus.
Des pensions j'en attendais plus d'une;
O durs lecteurs! ô mon siècle! ô fortune!
Funeste abîme où je portais mes pas,

Je travaillais, grand Dieu! pour des ingrats.

Le marquis de Champcenetz qui avait pris part à la rédaction du Petit Almanach de nos grands Hommes. — Chénier exagère beaucoup la portée des spirituelles saillies de Rivarol qui, dans son Almanach, sait rendre justice .... maîtres.

Rien n'est venu beau fruit de ma science!
Or, jugez-moi, jugez en conscience,

Mon cher lecteur : décidez si je doi
Mourir de faim, parlez, répondez-moi?

LE PUBLIC.

De fronte, au moins. Dans le fond tu m'affliges;
Pauvre garçon, d'où viennent tes vertiges?
Quel noir délire a brouillé ton cerveau?
De temps en temps j'aime à voir un Boileau
Qui, des beaux-arts né censeur légitime,
Sait dispenser le mépris et l'estime :
A ce modèle il fallait ressembler;
On le chérit... mais l'on doit accabler
Un malheureux qui, bouffi d'arrogance,
Fier d'étaler sa plate extravagance,
Rieur maussade et zélé pour le mal,
Sur son fumier s'érige un tribunal.
Avec les lois, quand le sage Brienne
Sait allier la grandeur souveraine;
Amis du peuple et dignes de leurs noms,
Quand Montmorin, quand les deux Lamoignons
Semblent lutter de zèle et de prudence,
Pour relever les destins de la France,
Et, s'animant à la voix de Louis,
D'un noble accord font refleurir les lys,.
Quitteront-ils leurs sphères immortelles?
As-tu bien pu, triste auteur de libelles,
Un seul instant penser de bonne foi
Que leurs regards descendraient jusqu'à toi?
Et que sur toi les grands, l'Académie,
Le roi lui-même, et la France ébahie,
Feraient pleuvoir avec profusion
Crédit, faveur, éloge, pension?

Va recevoir d'un maraud de libraire

Pour tant d'opprobre un modique honoraire;
Cours éviter les brocards, les sifflets,

Dans l'antichambre, au milieu des valets;

OEUVRES ANCIENNES

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Tu dois leur plaire; et de pareils ouvrages
Peuvent compter sur de pareils suffrages.
Écoute encore un important avis :
Tu reviendras à tes profonds écrits;
Rien ne te sied que ce genre d'escrime;
Pour être lu garde bien l'anonyme;
Point de détours, point de nom supposé :
A dire vrai, tu t'es mal déguisé;
Grimaud d'accord, mais non de La Reynière '.
D'un tel abus je sais trop que Voltaire
Donna l'exemple; et je l'en blâme fort;
Mais il acquit le droit d'avoir ce tort.
Observe bien qu'il avait fait Zaïre,
Semiramis, Brutus, OEdipe, Alzire;
Il a dú craindre un nom tel que le sien;
Toi, tu pourrais te cacher sous le tien.
Quand le grand homme écrivait un peu vite,
Petits rimeurs, tes égaux en mérite,

Servaient d'enseigne à ces contes bouffons,
Faibles pour lui, pour eux beaucoup trop bons;
Il honorait les noms qu'il daignait prendre;
Il descendait; tu ne pourrais descendre.

L'ANONYME.

Ah! je vois trop d'où naît votre courroux;
De mes talents le public est jaloux.
Me siffler! moi! quelle injustice extrême!
Droit à Bagnol je cours à l'instant même;
J'y trouverai nombre d'admirateurs,
Et des amis, et même des lecteurs.
Adieu, je pars d'un style inexorable
Je vais écrire un libelle admirable,
En plus d'un tome; et, là, je veux punir,
Vous, qui sifflez...

LE PUBLIC.

Punis donc l'avenir,

L'auteur du Petit Almanach a jugé à propos de l'attribuer à M. Grimod de La Reynière, connu par quelques ouvrages d'un genre différent. Cette ruse n'a trompé personne.

(Note de Chénier.)

Qui, par écho, te sifflera peut-être,
S'il a pourtant l'honneur de te connaître;
Si Faribol, sur les pas de Cotin,

Peut voyager en pays si lointain,

Sois prêt courage! attends pour honoraires Brocards, affronts, voire un peu d'étrivières; C'est pour ton bien. Tu diras, mais trop tard : « Quand on veut nuire, il faut beaucoup plus d'art « Il faut choisir ses gens avec prudence;

"

Longtemps on pleure un moment d'imprudence; « Me voilà donc un sot déshonoré :

« J'aurais mieux fait d'être un sot ignoré.
(1788.)

LE DOCTEUR PANCRACE.

ADRIEN 1.

Pancrace, mon cher maître! ô vous, à qui je doi
Ce ton lourd et guindé que vous vantez en moi;
Vous, devenu modèle en cet art, que j'admire,
D'écrire sans penser, de parler sans rien dire ;
Régent dans vos discours, régent dans vos écrits,
Vous nous enseignez tout sans avoir rien appris!
Mascarille eut ce don; mais ô divin Pancrace,
De Trissotin premier si recherchant la trace
Sur les pas du second ma généreuse ardeur
Des sources du Bathos sonda la profondeur,
Prêtez à votre élève une oreille facile,
Et n'intimidez point ma jeunesse docile.
On me siffle partout quand vous me protégez.
Sur les sifflets, mon cher, j'ai de grands préjugés.
L'esprit fort a parfois ses moments de scrupule;
Et, malgré l'habitude, on craint le ridicule.
PANCRACE 2.

Ah! mon pauvre Adrien, l'ai-je bien entendu ?
Tu parles de sifflets: ton courage est perdu.

1 Adrien Lézai. Ræderer.

N'as-tu pas sous les yeux plus d'un vaillant modèle?
Je ne te parle pas du petit L........ 1.

:

Des Michauds, des Beaulieux, des Perlets, des Crétots?,
Des absurdes Fantins 3, populace des sots;
Je ne te cite point Langlois, ni Baralère,
Ni Léger le niais, ni l'obscur Souriguère 3 :
Subalternes faquins, qu'honore le sifflet;
Mais regarde Suard, contemple Morellet;
Morellet, dont l'esprit trop souvent se repose,
Enfant de soixante ans qui promet quelque chose;
Suard, jadis censeur, et censeur très-royal,
Affrontant les mépris d'un public déloyal,
Du lecteur incivil bravant les apostrophes.
Valets inquisiteurs, et garçons philosophes,
Ne les a-t-on pas vus, dans ce double métier,
Hués, sifflés tout vifs, durant un siècle entier?
Au tombeau de Cotin sitôt qu'ils vont descendre,
Par souvenir encore on sifflera leur cendre.
A ce bruit importun prompts à s'effaroucher,
Un moment dans la lice ont-ils daigné broncher?
Imite leur courage, et fournis ta carrière.
Le coursier de l'Élide, accusant la barrière,
Ne sait pas s'informer, dans ses nobles travaux,
Si la route est pénible et s'il a des rivaux;
Les crins épars, il vole, et respirant la gloire,
Il dévore le champ, le but et la victoire.

ADRIEN.

En style poétique on peut avoir raison;
Mais achevons, docteur, votre comparaison.

« Petit personnage (ajoute Chénier en note), suffisant et bavard qui régente longuement l'univers dans quelques journaux. » L'honorable M. Ch. de Lacretelle, qui défendait alors avec courage la cause de l'ordre et de la société, doit sourire maintenant de ces injures de parti qui ne sont plus qu'un détail piquant d'histoire littéraire et un trait caractéristique de l'humeur de Chénier. Tous folliculaires obscurs dont les journaux fourmillent chaque jour de calomnies et de sottises. (Chénier.) Pauvre d'esprit, autrefois chanoine. Il s'est avisé de compiler une misérable Histoire de la Révolution.... il pille tout ce qu'il lit et déshonore tout ce qu'il pille. (Id.) — 4 Très mauvais comédien qui joue les rôles de Pierrot au Vaudeville. (Id.) — 5 Auteur du Réveil du Peuple, d'une mauvaise tragédie de Mirrha et collaborateur de Beaulieu au Miroir.

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