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68 TABLEAU DE L'EUROPE JUSQU'A 1756.

qu'à condition qu'il renverrait fon Miniftre; il fut livré par le Roi d'Espagne aux troupes Françaises, qui le conduifirent fur les frontiéres d'Italie. Ce même homme étant depuis Légat à Boulogne, & ne pouvant plus détruire des Royaumes, occupa fon loifir à tenter de détruire la République de Saint Marin. Cependant il résulta de tous fes grands deffeins, 720. qu'on s'accorda à donner la Sicile à l'Empereur Charles VI. & la Sardaigne aux Ducs de Savoie, qui l'ont toujours poffedée depuis ce tems, & qui prennent le titre de Rois de Sardaigne : mais la Maifon d'Autriche a perdu depuis la Sicile.

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CH. CENT-QUATRE-VINGT-HUITIEME.

SUITE

DU TABLEAU DE L'EUROPE:

REGENCE DU DUC D'ORLEANS.

CE

SYSTEME DE LA W.

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E qui étonna le plus toutes les Cours de l'Europe, ce fut de voir quelque tems après en 1724 & 1725. Philippe V. & Charles VI. autrefois fi acharnés l'un contre l'autre, maintenant étroitement unis ; & les affaires forties de leur route naturelle, au point que le Miniftère de Madrid gouverna une année entière la Cour de Vienne. Cette Cour, qui n'avait jamais eu d'autre intention que de fermer à la Maifon Française d'Efpagne tout accès dans l'Italie, fe laiflà entraîner loin de fes propres fentimens, au point de recevoir un fils de Philippe V. & d'Elifabeth de Parme fa feconde femme, dans cette même Italie, dont on voulait exclure tout Français & tout Espagnol. L'Empereur donna à ce fils puîné de fon Concurrent, l'inveftiture de Parme & de Plaifance & du Grand-Duché de Tofcane: quoique la fucceffion de ces Etats ne fût point ouverte, Don Carlos y fut introduit avec fix mille Efpagnols; E 3

&

& il n'en coûta à l'Espagne que deux - centmille pistoles données à Vienne.

Cette faute du Confeil de l'Empereur ne fut pas au rang des fautes heureufes; elle lui coûta plus cher dans la fuite. Tout était étrange dans cet accord; c'était deux Maifons ennemies, qui s'uniffaient fans fe fier l'une à l'autre; c'était les Anglais, qui ayant tout fait tout fait pour détrôner Philippe V. & lui ayant arraché Minorque & Gibraltar, étaient les Médiateurs de ce Traité; c'était un Hollandais, Ripperda devenu Duc & tout-puiffant en Espagne, qui le fignait, qui fut difgracié après l'avoir signé, & qui alla mourir enfuite dans le Royaume de Maroc, où il tenta d'établir une Religion nouvelle.

Cependant en France, la Régence du Duc d'Orléans, que fes ennemis fecrets & le bouleverfement général des finances devaient rendre la plus orageufe des Régences, avait été la plus paifible & la plus fortunée. L'habitude, que les Français avaient prife, d'obéir fous Louis XIV. fit la fûreté du Régent & la tranquillité publique. La confpiration, dirigée de loin par le Cardinal Alberoni, & mal tramée en France, fut diffipée auffi tôt que formée. Le Parlement, qui dans la minorité de Louis XIV. avait fait la guerre civile pour douze Charges de Maîtres des Requêtes, & qui avait caffé les Tefta mens de Louis XIII. & de Louis XIV. avec moins de formalités que celui d'un particulier, eut à peine la liberté de faire des remontrances, lorfqu'on eut augmenté la valeur nu

méraire

méraire des efpèces trois fois au-delà du prix ordinaire. Sa marche à pied, de la Grand' Chambre au Louvre, ne lui attira que les railleries du peuple. L'Edit le plus injufte qu'on ait jamais rendu, celui de défendre à tous les habitans d'un Royaume d'avoir chez foi plus de cinq-cent francs d'argent comptant, n'exci ta pas le moindre mouvement. La difette entiére des espèces dans le public; tout un peuple en foule fe preffant, pour aller recevoir à un bureau quelque monnoie néceffaire à la vie, en échange d'un papier décrié dont la France était inondée; plufieurs citoyens écrasés dans cette foule, & leurs cadavres portés par le peuple au Palais Royal, ne produifirent pas une apparence de fédition. Enfin ce fameux fyftême de Law, qui femblait devoir ruiner la Régence & l'Etat, foûtint en effet l'un & l'autre par des conféquences que perfonne n'avait prévuës.

La cupidité qu'il réveilla dans toutes les conditions, depuis le plus bas peuple jufqu'aux Magiftrats, aux Evêques & aux Princes, détour na tous les efprits de toute attention au bien public & de toute vue politique & ambitieuse, en les rempliffant de la crainte de perdre & de l'avidité de gagner. C'était un jeu nouveau & prodigieux, où tous les citoyens pariaient les uns contre les autres. Des joueurs acharnés ne quittent point leur cartes pour troubler le Gouvernement. Il arriva, par un preftige dont les refforts ne purent être vifibles qu'aux yeux les plus exercés & les plus fins, qu'un système E 4

tout

tout chimérique enfanta un Commerce réel, & fit renaître la Compagnie des Indes, établie autrefois par le célèbre Colbert, & ruinée par les guerres. Enfin, s'il y eut beaucoup de fortunes particuliéres détruites, la nation devint bientôt plus commerçante & plus riche. Ce fyf tême éclaira les efprits, comme les guerres civiles aiguifent les courages.

- Ce fut une maladie épidémique qui fe répandit de France en Hollande & en Angleterre ; elle mérite l'attention de la postérité; car ce n'était point l'intérêt politique de deux ou trois Princes qui bouleverfait des Nations. Les Peuples fe précipitèrent d'eux-mêmes dans cette folie, qui enrichit quelques familles, & qui en réduifit tant d'autres à la mendicité. Un Ecof fais nommé Jean Law, que nous nommons Jean Lafs, qui n'avait d'autre métier que d'ètre grand joueur & grand calculateur, obligé de fuir de la Grande Bretagne pour un meurtre, avait dès longtems redigé le plan d'une Compagnie, qui payerait en billets les dettes d'un Etat, & qui fe rembourferait par les profits. Ce fyftême était très compliqué, mais réduit à fes juftes bornes, il pouvait être très utile. C'était une imitation de la Banque d'Angleterre, & de fa Compagnie des Indes. Il propofa cet établiffement au Duc de Savoie, depuis premier Roi de Sardaigne, Victor Amédée, qui répondit qu'il n'était pas affez puiffant pour fe ruiner. Il le vint propofer au Controlleur-Général Des Marets; mais c'était dans le tems d'une guerre malheureufe où toute confiance

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