Page images
PDF
EPUB

Louvois Secretaire d'Etat ayant le département du Dauphiné où Orange eft fituée. Le Miniftre de Guillaume parla vivement, non feulement pour fon Maître, mais pour les Reformés d'Orange. Croirait-on que Louvois lui répondit qu'il le ferait mettre à la Baftille? *Un tel difcours tenu à un Sujet eût été odieux; tenu à un Ministre étranger c'était un infolent outrage au droit des Nations. On peut juger s'il avait laiffé des impreffions profondes dans le cœur du Magiftrat d'un peuple libre.

Il y a peu d'exemples de tant d'orgueil fuivi de tant d'humiliations. Le Marquis de Torci fuppliant dans la Haye au nom de Louis XIV. s'adreffa au Prince Eugéne & au Duc de Marlborough, après avoir perdu fon tems avec Heinfius. Tous trois voulaient la continuation de la guerre. Le Prince y trouvait fa grandeur & fa vengeance, le fecond, fa gloire & une fortune immenfe, qu'il aimait également, le troifiéme, gouverné par les deux autres, fe regardait comme un Spartiate, qui abaiffait un Roi de Perfe. Ils propofèrent, non pas une paix, mais une trève; & pendant cette trêve, une fatisfaction. entiére pour tous leurs Alliés, & aucune pour les Alliés du Roi; à condition que le Roi fe joindrait à fes ennemis pour chaffer d'Espagne fon propre petit - fils dans l'efpace de deux mois, & que pour fureté il commencerait par céder B 4

*

à ja

Voyez les Mémoires de Torci Tom. 3. p. 2. ils ont confirmé tout ce qui est avancé ici.

22. à jamais dix villes aux Hollandais dans la FlanMai dre, par rendre Strasbourg & Brifac, & par re1709. noncer à la Souveraineté de l'Alface. Louis

XIV. ne s'était pas attendu, quand il refufait autrefois un Régiment au Prince Eugène, quand Churchil n'était pas encor Colonel en Angleterre, & qu'à peine le nom de Heinfius lui était connu, qu'un jour ces trois hommes lui impoferaient de pareilles loix. En vain Torci voulut tenter Marlborough par l'offre de quatre millions le Duc qui aimait autant la gloire que l'argent, & qui par fes gains immenfes produits par des victoires était au-deffus de quatre millions, laiffa au Miniftre de la France la douleur d'une propofition honteufe & inutile. Torci raporta au Roi les ordres de fes ennemis. Louis XIV. fit alors ce qu'il n'avait jamais fait avec fes fujets. Il fe juftifia devant cux; il adreffa aux Gouverneurs des Provinces, aux Communautés des villes, une lettre circulaire, par laquelle, en rendant compte à fes peuples du fardeau qu'il était obligé de leur faire encor foûtenir, il excitait leur indignation, leur honneur, & même leur pitié. Les Politiques dirent,

* L'Auteur des Mémoires de Mad. de Maintenon dit pag. 92. & 93. du Tom. V. que le Duc de Marlborough & le Prince Eugéne gagnèrent Heinfius, comme fi Heinfius avait eu befoin d'être gagné. Il met dans la bouche de Louis XIV. au lieu des belles paroles qu'il prononça en plein Confeil, ces mots bas & plats: Alors comme alors. Il cite l'Auteur du Siécle de Louis XIV. & le reprend d'avoir dit que Louis XIV. fit afficher fa lettre

[ocr errors]

rent que Torci n'était allé s'humilier à la Haie, que pour mettre les ennemis dans leur tort, pour juftifier Louis XIV. aux yeux de l'Europe, & pour animer les Français par un jufte reffentiment; mais le fait eft, qu'il n'y était allé que pour demander la paix. On laiffa même encor quelques jours le Président Rouillé à la Haie, pour tâcher d'obtenir des conditions moins accablantes: & pour toute réponfe, les Etats ordonnèrent à Rouillé de partir dans vingt-quatre heures.

Louis XIV. à qui l'on rapporta des réponses fi dures, dit en plein Confeil: Puifqu'il faut faire la guerre, j'aime mieux la faire à mes ennemis qu'à mes enfans. Il fe prépara donc à tenter encor la fortune en Flandre. La famine, qui défolait les campagnes, fut une reffource pour la guerre. Ceux qui manquaient de pain, fe firent foldats. Beaucoup de terres reftèrent en friche; mais on eut une armée. Le Maréchal de Villars, qu'on avait envoyé commander l'année précédente en Savoie quelques troupes dont il avait réveillé l'ardeur, & qui avait eu quelques petits fuccès, fut rapellé en Flandre, comme celui en qui l'Etat mettait fon efpérance.

Déja Marlborough avait pris Tournai, dont Eugéne avait couvert le fiége. Déja ces deux Généraux marchaient pour inveftir Mons. Le

Maré

circulaire dans les rues de Paris. Nous avons confronté toutes les éditions du Siécle de Louis XIV. Il n'y a pas un feul mot de ce que cite cet homme pas même dans l'édition fubreptice qu'il fit à Francfort en 1752.

Maréchal de Villars s'avança pour les en empêcher. Il avait avec lui le Maréchal de Bouflers, fon ancien, qui avait demandé à fervir fous lui. Bouflers aimait véritablement le Roi & la patrie. Il prouva en cette occafion (malgré la maxime d'un homme de beaucoup d'ef prit) que dans un Etat Monarchique, & furtout fous un bon Maître, il y a des vertus. Il y en a fans doute tout autant que dans les Républiques, avec moins d'enthousiasme peut-être, mais avec plus de ce qu'on appelle honneur. * Des

* Cet endroit mérite d'être éclairci. L'Auteur célèbre de l'Esprit des Loix, dit que l'honneur eft le principe des Gouvernements Monarchiques, & la vertu le principe des Gouvernements Républicains.

Ce font là des idées vagues & confuses qu'on a attaq quées d'une manière auffi vague; parce que rarement on convient de la valeur des termes; rarement on s'entend. L'honneur est le défir d'être honoré, d'être eftimé : de là vient l'habitude de ne rien faire dont on puiffe rougir. La vertu eft l'accompliffement des devoirs, indépendamment du défir de l'eftime: de là vient que l'hon neur eft commun, la vertu rare.

Le principe d'une Monarchie, ou d'une République, n'eft ni l'honneur, ni la vertu. Une Monarchie eft fondée fur le pouvoir d'un feul; une République eft fondée fur le pouvoir que plufieurs ont d'empêcher le pouvoir d'un feul. La plupart des Monarchies ont été établies par des Chefs d'armées, les Républiques par des Citoyens affemblés. L'honneur eft commun à tous les hommes, & la vertu rare dans tout Gouvernement. L'amour propre de chaque membre d'une République veille fur l'amour propre des autres; chacun voulart être Maître, personne ne l'eft; l'ambition de chaque particulier eft un frein public, & l'égalité régne.

Dans une Monarchie affermie, l'ambition ne peut s'é

Dès que les Français s'avancèrent pour s'oppofer à l'inveftiffement de Mons, les Alliés vinrent les attaquer près des bois de Blangies & du village de Malplaquet.

L'Armée des Alliés était d'environ quatrevingt-mille combattans; & celle du Maréchal de Villars d'environ foixante & dix- mille. Les Français traînaient avec eux quatre-vingt piéces de canon; les Alliés cent- quarante. Le Duc de Marlborough commandait l'aile droite, où étaient les Anglais & les troupes Allemandes à la folde d'Angleterre. Le Prince Eugéne était au centre; Tilli & un Comte de Nassau, à la gauche avec les Hollandais.

Le

lever qu'en plaifant au Maître, ou à ceux qui gouver nent fous le Maître. Il n'y a dans ces premiers refforts ni honneur, ni vertu, de part ni d'autre; il n'y a que de l'intérêt. La vertu eft en tout pays le fruit de l'édus cation & du caractère. Il eft dit dans l'Efprit des Loix, qu'il faut plus de vertu dans une République ; c'est en un fens tout le contraire: il faut beaucoup plus de vertu dans une Cour, pour résister à tant de féductions. Le Duc de Montaufier, le Duc de Beauvilliers, étaient des hommes d'une vertu très auftère. Le Maréchal de Villeroi joignit des mœurs plus douces à une probité non moins incorruptible. Le Marquis de Torci a été un des plus honnêtes hommes de l'Europe, dans une place où la Politique permet le relâchement dans la Morale. Les Controlleurs Généraux le Pelletier & Chamillard paffèrent pour être moins habiles que vertueux.

Il faut avouer que Louis XIV. dans cette guerre malheureuse, ne fut guère entouré que d'hommes irréprochables; c'est une observation très vraïe, & très importante dans une hiftoire où les moeurs ont tant de part.

« PreviousContinue »