Page images
PDF
EPUB

CH. CENT-QUATRE-VINGT-DIX-NEUV.

SUITE

DES PARTICULARITÉS

ET ANECDOTES.

A jeuneffe, la beauté de Mademoiselle de Fontange, un fils qu'elle donna au Roi en 1680., le titre de Ducheffe dont elle fut décorée, écartaient Madame de Maintenon de la premiére place qu'elle n'ofait efpérer, & qu'elle eut depuis mais la Ducheffe de Fontange & fon fils moururent en 1681.

La Marquife de Montefpan, n'ayant plus de rivale déclarée, n'en pofféda pas plus un cœur fatigué d'elle & de fes murmures. Quand les hommes ne font plus, dans leur jeuneffe, ils ont prefque tous befoin de la fociété d'une femme complaifante. Le poids des affaires rend furtout cette confolation néceffaire. La nouvelle Favorite, Madame de Maintenon, qui fentait le pouvoir fecret qu'elle acquérait tous les jours, fe conduifait avec cet art, qui eft fi naturel aux femmes, & qui ne déplaît pas aux hommes. Elle écrivait un jour à Madame de Frontenac fa coufine, en qui elle avait une entiére confiance: Je le renvoye toûjours affligé, & jamais » défefpéré. Dans ce tems, où fa faveur croif

[ocr errors]

fait, & où Madame de Montefpan touchait à fa chûte, ces deux rivales fe voyaient tous les jours, tantôt avec une aigreur fecrette, tantôt avec une confiance paffagère, que la néceffité de fe parler & la laffitude de la contrainte mettaient quelquefois dans leurs entretiens. * Elles convinrent de faire, chacune de leur côté, des Mémoires de tout ce qui fe paffait à la Cour. L'ouvrage ne fut pas pouffé fort loin. Madame de Montefpan fe plaifait à lire quelque chofe de ces Mémoires à fes amis, dans les derniéres années de fa vie. La dévotion qui fe mêlait à toutes ces intrigues fecrettes, affermiffait encor la faveur de Madame de Maintenon, & éloignait Madame de Montefpan. Le Roi fe reprochait fon attachement pour une femme mariée, & fentait furtout ce fcrupule, depuis qu'il ne fentait plus d'amour. Cette fituation embarraffante

N 4

Les Mémoires donnés fous le nom de Mad. de Maintenon rapportent qu'elle dit à Mad. de Montespan, en parlant de fes rêves; Pai rêvé que nous étions fur le grand efcalier de Versailles : je montais vous defcendiez : je m'élevai jusqu'aux nies; vous allates à Fontevraut. Ce conte eft renouvellé d'après le fameux Duc d'Epernon, qui rencontra le Cardinal de Richelieu fur l'efcalier du Louvre l'année 1624. Le Cardinal lui demanda s'il n'y avait rien de nouveau? Non, lui dit le Duc, finon que vous montez, je defcends. Ce conte eft gâté en ajoutant que d'un escalier on s'éleva jufqu'aux nues. Il faut remarquer que dans prefque tous les livres d'Anecdotes, dans les ana, on attribue prefque toujours à ceux qu'on fait parler des chofes dites un fécle & même plufieurs fiécles auparavant,

raffante fubfifta jufqu'en 1685. année mémorable par la révocation de l'Edit de Nantes. On voyait alors des fcènes bien différentes: d'un côté, le défefpoir & la fuite d'une partie de la nation; de l'autre, de nouvelles fêtes à Verfailles, Trianon & Marli bâtis, la nature forcée dans tous ces lieux de délices, & des jardins où l'art était épuifé. Le mariage du petit - fils du grand Condé, & de Mademoiselle de Nantes fille du Roi & de Madame de Montespan, fut le dernier triomphe de cette maîtreffe, qui commençait à fe retirer de la Cour.

Le Roi maria depuis deux enfans qu'il avait eus d'elle; Mademoiselle de Blois avec le Duc de Chartres que nous avons vu Régent du Royaume, & le Duc du Maine à Louife Bénédicte de Bourbon, petite-fille du grand Condé, & fœur de Monfieur le Duc, Princeffe célèbre par fon efprit & par le goût des Arts. Ceux qui ont feulement approché du Palais Royal & de Sceaux, favent combien font faux tous les bruits populaires, recueillis dans tant d'histoires concernant ces mariages. Il y a plus de vingt volumes, dans lefquels vous verrez que la Maifon d'Orléans & la Maifon de Condé s'indignèrent de ces propofitions; vous lirez que la Princeffe mére du Duc de Chartres menaça fon fils; vous lirez même qu'elle le frapa. Les Anecdotes de la Constitution rapportent férieufement, que le Roi s'étant fervi de l'Abbé du Bois, fous-précepteur du Duc de Chartres, pour faire réuffir la négociation, cet Abbé n'en vint à bout qu'avec peine, & qu'il demanda pour récom

récompenfe le chapeau de Cardinal. Tout ce qui regarde la Cour eft écrit ainfi dans beaucoup d'histoires.

Avant la célébration du mariage de Monfieur le Duc avec Mademoifelle de Nantes, le Marquis de Seignelai, à cette occafion, donna au Roi une fète digne de ce Monarque, dans 16853 les jardins de Sceaux plantés par Le Notre avec autant de goût que ceux de Versailles. On y exécuta l'Idylle de la paix, compofée par Racine. Il y eut dans Verfailles un nouveau carroufel; & après le mariage, le Roi étala une magnificence finguliére, dont le Cardinal Mazarin avait donné la premiére idée en 1656. On établit dans le fallon de Marli quatre boutiques, remplies de ce que l'induftrie des ouvriers de Paris avait produit de plus riche & de plus recherché. Ces quatre boutiques étaient 'autant de décorations fuperbes qui repréfentaient les quatre faifons de l'année. Madame de Montefpan en tenait une avec Monfeigneur. Sa rivale en tenait une autre avec le Duc du Maine. Les deux nouveaux mariés avaient chacun la leur; Monfieur le Duc avec Madame de Thiange; & Madame la Ducheffe, à qui la bienféance ne permettait pas d'en tenir une avec un homme à caufe de fa grande jeuneffe, était avec la Ducheffe de Chévreufe. Les Dames & les hommes nommés du voyage tiraient au fort les bijoux dont ces boutiques étaient garnies. Ainfi le Roi fit des préfens toute la Cour, d'une manière digne de lui. La lotterie du Cardinal Mazarin fut moins

[ocr errors]

ingé

ingénieufe & moins brillante. Ces lotteries avaient été mifes en ufage autrefois par les Empereurs Romains; mais aucun d'eux n'en releva la magnificence par tant de galanterie.

Après le mariage de fa fille, Madame de Montefpan ne reparut plus à la Cour. Elle vé cut à Paris avec beaucoup de dignité. Elle avait un grand revenu, mais viager; & le Roi lui fit payer toûjours une penfion de mille louis d'or par mois. Elle allait prendre tous les ans les eaux à Bourbon, & y mariait des filles du voifinage qu'elle dotait. Elle n'était plus dans l'âge où l'imagination frapée par de vives impreffions, envoye aux Carmélites. Elle mourut à Bourbon en 1707.

Un an après le mariage de Mademoiselle de Nantes avec Monfieur le Duc, mourut à Fontainebleau le Prince de Condé à l'âge de foi1686. xante-fix ans, d'une maladie qui empira par l'effort qu'il fit d'aller voir Madame la Ducheffe, qui avait la petite vérole. On peut juger par cet empreffement qui lui coûta la vie, s'il avait eu de la répugnance au mariage de fon petit-fils, avec cette fille du Roi & de Madame de Montefpan, comme l'ont écrit tous ces Gazetiers de menfonges, dont la Hollande était alors infectée. On trouve encor dans une hiftoire du Prince de Condé, fortie de ces mêmes bureaux d'ignorance & d'impofture, que le Roi fe plaifait en toute occafion à mortifier ce Prince, & qu'au mariage de la Princeffe de Conti, fille de Madame de la Valiére, le Secretaire d'Etat lui refufa le titre de haut &

« PreviousContinue »