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trop fouvent le grand Capitaine ne fut pas affez écouté, & le Confeil du Prince balança fouvent les raifons du Général. Il fe forma deux partis: & dans l'armée des Alliés, il n'y en avait qu'un, celui de la caufe commune. Le Prince Eugéne était alors fur le Rhin; mais toutes les fois qu'il fut avec Marlborough, ils n'eurent jamais qu'un fentiment.

Le Duc de Bourgogne était fupérieur en forces: la France, que l'Europe croyait épuisée, lui avait fourni une armée de près de cent - mille hommes; & les Alliés n'en avaient alors que quatre-vingt-mille. Il avait encor l'avantage des négociations, dans un pays fi longtems Efpagnol, fatigué de garnifons Hollandaifes, & où beaucoup de citoyens panchaient pour Philippe V. Des intelligences lui ouvrirent les portes de Gand & d'Ypres. Mais les manoeuvres de guerre firent évanouir le fruit des mancuvres de politique. La divifion, qui mettait de l'incertitude dans le Confeil de guerre, fit que d'abord on marcha vers la Dendre, & que deux heures après on rebrouffa vers l'Escaut, à Oudenarde. Ainfi on perdit du tems. On trouva le Prince Eugéne & Marlborough qui n'en perdaient point, & qui étaient unis. On fut mis en déroute vers Oudenarde. Ce n'était pas une Juill! grande bataille; mais ce fut une fatale retraite. 1708. Les fautes fe multiplièrent. Les Régimens allaient où ils pouvaient, fans recevoir aucun ordre. Il y eut même plus de quatre - mille hommes qui furent pris en chemin par l'armée ennemie, à quelques milles du champ de bataille.

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L'armée découragée fe retira fans ordre, fous Gand, fous Tournai, fous Ypres, & laiffa tranquillement le Prince Eugéne, maitre du terrain, affiéger Lille avec une armée moins nombreuse.

Mettre le fiége devant une ville auffi grande & auffi fortifiée que Lille, fans être maître de Gand, fans pouvoir tirer fes convois que d'Oftende, fans les pouvoir conduire que par une chauf fée étroite au hazard d'être à tout moment furpris; c'eft ce que l'Europe appella une action téméraire, mais que la méfintelligence & l'efprit d'incertitude, qui régnaient dans l'armée Françaife, rendirent excufable. C'eft enfin ce que le fuccès juftifia. Leurs grands convois, qui pouvaient être enlevés, ne le furent point. Les troupes qui les efcortaient, & qui devaient être battues par un nombre fupérieur, furent victorieufes. L'armée du Duc de Bourgogne, qui pouvait attaquer les retranchemens de l'armée ennemie encor imparfaits, ne les attaqua pas. Lille fut prife, au grand étonnement de toute Octob. l'Europe, qui croyait le Duc de Bourgogne plus 1708. en état d'affiéger Eugéne & Marlborough, que ces Généraux en état d'affiéger Lille. Le Maréchal de Bouflers la défendit pendant près de quatre mois.

23.

Les habitans s'accoûtumèrent tellement au fracas du canon, & à toutes les horreurs qui fuivent un fiége, qu'on donnait dans la ville des fpectacles auffi fréquentés qu'en tems de paix ; & qu'une bombe, qui tomba près de la falle de la Comédie, n'interrompit point le spectacle.

Le Maréchal de Bouflers avait mis fi bon or

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dre à tout, que les habitans de cette grande ville étaient tranquilles fur la foi de fes fatigues. Sa défense lui mérita l'eftime des ennemis, les cœurs des citoyens, & les récompenfes du Roi. Les Hiftoriens, ou plutôt les écrivains de Hollande, qui ont affecté de le blamer, auraient dû fe fouvenir, que quand on contredit la voix publique, il faut avoir été témoin, & témoin éclairé, ou prouver ce qu'on avance. *

Cependant l'armée, qui avait regardé faire le fiége de Lille, fe fondait peu à peu; elle laiffa prendre enfuite Gand, Bruges, & tous fes poftes l'un après l'autre. Peu de campagnes furent auffi fatales. Les Officiers, attachés au Duc de Vendôme, reprochaient toutes ces fautes au Confeil du Duc de Bourgogne ; & ce Confeil rejettait tout fur le Duc de Vendôme. Les efprits s'aigrif faient par le malheur. Un ** Courtifan du Duc de Bourgogne dit un jour au Duc de Vendôme:

Voilà

* Telle eft l'oire qu'un Libraire, nommé van Duren, fit écrire par le Jéfuite la Motte réfugié en Hollande fous le nom de la Hode, continuée par la Martiniére; le tout fur les prétendus Mémoires d'un Comte de ... Secrétaire d'Etat. Les Mémoires de Mad. de Maintenon, encor plus remplis de menfonges, difent tom. 4. p. 119. que les affiégeants jettaient dans la ville des billets conçus en ces termes: Raffurez vous, François, Maintenon ne fera pas votre Reine; nous ne léverons pas le fiége. On peut croire, ajoute-t-il, que Louis dans la ferveur du plaifir que lui donnait la certitude d'une victoire inattendue, offrit ou promit le Trone à Mad. de Maintenon. On ne peut certainement croire de pareilles fauffetés.

** Le Marquis d'o.

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Voilà ce que c'eft, que de n'aller jamais à la Meffe; auffi vous voyez quelles font nos difgraces. , Croyez-vous, lui répondit le Duc de Vendome, » que Marlborough y aille plus fouvent » que moi?" Les fuccès rapides des Alliés enflaient le cœur de l'Empereur Jofeph. Defpotique dans l'Empire, Maître de Landau, il voyait le chemin de Paris prefque ouvert par la prise de Lille. Déja même un parti Hollandais avait eu la hardieffe de pénétrer de Courtrai jufqu'à Verfailles, & avait, prefque fous les fenêtres du château, enlevé le premier Ecuyer du Roi, croyant fe faifir de la perfonne du Dauphin, pére du Duc de Bourgogne. La terreur était dans Paris.

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L'Empereur avait autant d'efpérance au moins d'établir fon frére Charles en Espagne que Louis XIV. d'y conferver fon petit-fils. Déja cette fucceffion que les Efpagnols avaient voulu rendre indivifible, était partagée entre trois têtes. L'Empereur avait pris pour lui la Lombardie & le Royaume de Naples. Charles fon frère avait encor la Catalogne & une partie de l'Arragon. L'Empereur força alors le Pape Clément XI. à reconnaître l'Archiduc pour Roi d'Espagne. Ce Pape, dont on difait qu'il reffemblait à St. Pierre, parce qu'il affirmait, niait, fe repentait & pleurait, avait toûjours reconnu Philippe V. à l'exemple de fon prédéceffeur; & il était attaché à la Maifon de Bourbon. L'Empereur l'en punit, en déclarant dépendans de l'Empire, beaucoup de Fiefs qui relevaient jufqu'alors des Papes, & furtout Par

me

me & Plaifance; en ravageant quelques terres Eccléfiaftiques; en fe faifiifant de la ville de Comacchio. Autrefois un Pape eût excommunié tout Empereur, qui lui aurait difputé le droit le plus léger; & cette excommunication eût fait tomber l'Empereur du Trône. Mais la puiffance des Cléfs étant réduite au point où elle doit l'ètre, Clément XI. animé par la France, avait ofé un moment fe fervir de la puiffance du glaive. Il arma, & s'en repentit bientôt. Il vit que les Romains, fous un Gouver nement tout Sacerdotal, n'étaient pas faits pour manier l'épée. Il défarma; il laiffa Comacchio en dépôt a l'Empereur; il confentit à écrire à l'Archiduc, A notre très cher fils Roi Catholique en Espagne. Une flote Anglaife dans la Méditerranée, & les troupes Allemandes fur fes terres, le forcèrent bientôt d'écrire, A notre très cher fils Roi des Efpagnes. Ce fuffrage du Pape, qui n'était rien dans l'Empire d'Allemagne, pouvait quelque chofe fur le peuple Ef pagnol, à qui on avait fait accroire que l'Archiduc était indigne de régner, parce qu'il était protégé par des hérétiques qui s'étaient emparés de Gibraltar.

Reftait à la Monarchie Espagnole, au-delà du Continent, l'Ifle de Sardaigne avec celle de Sicile. Une flote Anglaife donna la Sardaigne à Août l'Empereur Joseph; car les Anglais voulaient que 1708, l'Archiduc fon frère n'eût que l'Espagne. Leurs armes faifaient alors les Traités de partage. Iis réfervèrent la conquête de la Sicile pour un autre tems, & aimèrent mieux employer leurs vaif H. G. Tom. VI. feaux

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