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dissipé d'orages, et surtout combien elle avait sauvé de ridicules. Jamais sous leur respectable administration nous n'eussions vu toutes les scènes auxquelles la guerre de la musique a donné lieu; jamais.

Ce qui pourrait bien avoir nui plus sérieusement encore à la considération de nos philosophes, c'est la publication du Système de la Nature, sans compter que cet ouvrage a révolté le plus grand nombre des lecteurs, qu'il a déplu à beaucoup d'autres, qui ont été fâchés de voir qu'on prodiguait un secret qu'ils voulaient garder pour eux et pour leurs amis; il a eu le grand inconvénient de rendre toutes les recherches relatives à cet objet parfaitement insipides, parfaitement indifférentes. Que dire après le Système de la Nature qui ne paraisse tout simple et par conséquent très-plat? Le moyen d'être encore neuf, piquant, hardi! Rien n'est plus embarrassant. Quelque opinion qu'on puisse avoir sur le bien ou le mal que cet ouvrage a pu faire à l'humanité, il paraît évident qu'il a gâté à tout jamais le métier de philosophe. C'est un charlatan qui dit son secret; il se ruine lui-même et ses confrères avec lui. D'ailleurs cet excès d'audace a donné à toute la secte un caractère dont beaucoup d'honnêtes gens craignent de porter l'affiche, ́et par-là même il a jeté dans le parti un germe de division très-pernicieux aux intérêts du corps. Il y a peu d'hommes qui ne soient ravis d'être comp. tés dans la classe des esprits forts, des esprits qui

pensent librement; mais tout le monde n'a pas le courage de passer pour athée. Il est résulté de là que beaucoup de gens confondus sous la même catégorie, et qui formaient ainsi un parti trèspuissant, se sont divisés et ont fait bande à part. En faut-il davantage pour affaiblir la puissance la mieux établie? Ainsi fut renversé l'empire du fanatisme et de la superstition; ainsi tombera celui de la philosophie moderne, et le monde n'en suivra pas moins sa marche accoutumée.

ÉPIGRAMME sur les gazons nouvellement établis dans la cour du Louvre, aux portes de l'Académie.

Des favoris de la muse française
D'Angivillier rend le sort assuré;

Devant leur porte il a fait mettre un pré
Où désormais ils peuvent paître à l'aise.

On vient de donner au théâtre de la Comédie italienne deux opéras qui n'ont guère eu plus de succès l'un que l'autre, Ernestine et Laurette. Le premier n'a vécu qu'un jour; si l'autre s'est traîné jusqu'à la cinquième ou sixième représentation, ce n'est pas sans beaucoup de peine; on l'a tenu pour mort dès le premier jour.

Les paroles d'Ernestine sont de M. de La Clos, capitaine d'artillerie, connu par une certaine Épitre à Margot qui fit quelque bruit sous le règne de madame la comtesse du Barri; elles ont

été retouchées par M. Desfontaines, auteur de l'Aveugle de Palmire, du Mage, etc. La musique est de M. de Saint-George, jeune Américain plein de talens, le plus habile tireur d'armes qu'il y ait en France et l'un des coryphées du concert des amateurs.

Le sujet de ce malheureux drame est tiré du joli roman de madame Riccoboni, intitulé Ernestine. On ne pouvait guère choisir un sujet plus agréable, on ne pouvait guère le défigurer d'une manière plus maussade. Messieurs de La Clos et Desfontaines ont jugé que le fonds de ce sujet, plus intéressant que comique, avait besoin d'être égayé par un épisode ; ils y ont ajouté un rôle de valet, qui est le chef-d'œuvre de la platitude et du mauvais goût. Le talent de Pergolèse même n'aurait pu soutenir un pareil ouvrage, et la composition de M. de Saint-George, quoique ingénieuse et savante, a paru manquer souvent d'effet. On y a trouvé de la grâce, de la finesse, mais peu de caractère, peu de variété, peu d'idées nouvelles.

Laurette est prise du conte de M. Marmontel connu sous le même titre. Les paroles sont d'un soldat; la musique de M. Méreaux, à qui nous sommes redevables du Retour de tendresse, de la Ressource comique et de plusieurs oratoires exécutés au concert spirituel.

Toute l'industrie du soldat auteur s'est bornée à estropier le conte, à en prendre le commencement et la fin et à en ôter le milieu. Un jeune

,

seigneur dans l'opéra comme dans le conte cherche à séduire la fille d'un pauvre laboureur, mais c'est un projet qu'il est loin d'exécuter. Cela n'empêche pas que le père, instruit de l'amour du jeune homme ne lui répète exactement toutes les belles choses que lui fait dire M. Marmontel et sur l'enlèvement et sur ses suites et sur la justice qu'il se doit à lui-même. Ce grand pathétique, quelque déplacé qu'il puisse être, n'ayant ni le même intérêt, ni le même motif que dans le conte, a fait le plus grand plaisir au parterre; on a battu des mains, on a demandé l'auteur à plusieurs reprises, et l'on ne s'est calmé qu'après avoir appris de M. Suin qu'il était à son régiment. A la bonne heure. Puisse-t-il y faire plus de fortune qu'au Parnasse!

Un R. P. Griffet, auteur de quelques homélies, vient de nous faire présent d'un ouvrage de sa composition: Mémoires pour servir à l'Histoire de Louis, dauphin de France, mort à Fontainebleau le 20 décembre 1765, avec un Traité de la connaissance des hommes, fait par ses ordres en 1758, 2 vol. in-12.

On nous apprend dans un Avertissement suivi d'une Lettre de feu madame la Dauphine, datée de Versailles le 13 mars 1766, que ces Mémoires ont été composés sur ceux que cette auguste princesse avait envoyés à l'auteur, et qu'ils furent rédigés pour elle. Il paraît singulier qu'on ait

attendu jusqu'à ce moment pour les faire pa

raître.

La partie la plus intéressante de ces Mémoires est le récit de la dernière maladie du Dauphin et de sa mort. Tout le reste semble tendre uniquement à justifier ce prince du goût qu'on aurait pu lui soupçonner pour la philosophie, d'après l'éloge de M. Thomas, éloge qui paraît être en effet moins un ouvrage historique qu'un traité sur l'éducation des princes.

S'il est tout simple que l'un ait tâché de faire de son héros un philosophe, on ne doit pas être surpris que l'autre ait voulu en faire un saint, et ne peut-on pas être l'un et l'autre en même temps? Tout ce qui nous afflige dans l'ouvrage du P. Griffet, c'est l'affectation singulière avec laquelle il ne cesse de parler du respect que le prince avait pour les prêtres et de l'affection plus singulière encore avec laquelle il croit devoir l'excuser sur le désir qu'il eut de connaître personnellement Montesquieu. M. l'abbé Proyart est plus éloquent encore sur cet article dans l'ouvrage qui vient de paraître presque en même temps que celui du P. Griffet, et qui est intitulé: Vie du Dauphin, père de Louis XVI, écrite sur les Mémoires de la cour, présentée au roi et à la famille royale par M. l'abbé Proyart.

Ces deux ouvrages ne rappellent pas beaucoup de faits qui importent à l'histoire de ce siècle, mais on y peut recueillir quelques anecdotes in

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