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soixante mille coups de canon, qui sont déjà remplacés par l'arrivée de huit cents voitures d'artillerie qui avaient dépassé Smolensk avant la bataille. Tous les bois et les villages depuis le champ de bataille jusqu'ici sont couverts de morts et de blessés. On a trouvé ici deux mille morts ou amputés russes. Plusieurs généraux et colonels sont prisonniers.

L'Empereur n'a jamais été exposé ; la garde, ni à pied, ni à cheval, n'a pas donné et n'a pas perdu un seul homme. La victoire n'a jamais été incertaine. Si l'ennemi, forcé dans ses positions, n'avait pas voulu les reprendre, notre perte aurait été plus forte que la sienne; mais il a détruit son armée en la tenant depuis huit heures jusqu'à deux sous le feu de nos batteries, et en s'opiniâtrant à reprendre ce qu'il avait perdu. C'est la cause de son immense perte.

Tout le monde s'est distingué : le roi de Naples et le duc d'Elchingen se sont fait remarquer.

L'artillerie, et sur-tout celle de la garde, s'est surpassée. Des rapports détaillés feront connaître les actions qui ont illustré cette journée.

Nous pourrions ici nous livrer à quelques considérations sur la haute importance de la conquête de Moscou, sur la position respective dans laquelle elle met les deux souverains et les deux armées, sur l'existence nouvelle que vont recevoir les provinces de la Russie Occidentale, sur la situation à laquelle va se trouver réduite Pétersbourg, du moment que le vainqueur, maître de toutes les grandes communications de l'Empire, de trois grands fleuves et de la véritable capitale, anéantit par la seule influence de sa position l'existence artificielle de Pétersbourg : mais n'est-il pas plus piquant pour le lecteur qui trouverait ces raisonnemens naturels, mais intéressés sous notre plume, de les devoir à une plume anglaise, d'obtenir ces preuves de concessions ennemies, et d'apprécier les avantages de notre victoire par les aveux qu'elle arrache aux écrivains britanniques?

S'il existe, dit le Morning-Chronicle, une série de propositions politiques évidemment susceptibles d'une réduction ad absurdum, ce sont sans contredit celles que l'on emploie pour justifier les conseils du cabinet russe. L'histoire fait mention de peuples fuyant devant un vainqueur puissant, et laissant derrière eux des déserts, afin d'être poursuivi moins rapidement. Une maxime moderne prescrit même de faire un pont d'or à l'ennemi puissant qui fuit, plutôt que de le réduire au désespoir; mais nous n'avons pas encore vu, dans les annales politiques et militaires, d'exemples de folies pareilles à celles qui permettent è un ennemi de s'emparer impunément d'un pays riche et

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fertile, et d'occuper la plus belle portion d'un vaste empire couvert de villes magnifiques et d'une population nombreuse. Il faut, pour le permettre, y avoir été contraint par des défaites successives et irrémédiables, ou bien mal entendre les intérêts de sa gloire et de son pays : telle est la seule alternative qui s'offre aux Russes dans le jugement qui s'est porté sur cette campagne, déjà si mémorable et şi importante dans ses futurs résultats. »

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L'indignation que nous font éprouver les mensonges avec lesquels on abuse chaque jour de la crédulité du public, en nous parlant des succès des Russes et de leurs Te Deum, nous ont déterminés à mettre en lumière la véritable situa

tion des affaires, et à prouver par cette exposition que la guerre commencée par les Russes avec une froide langueur, et continuée comme on l'a vu, peut honorer le courage individuel de leurs soldats, mais doit infailliblement se terminer par leur ruine.

En vain parle-t-on de recrutemens dans une ville à là porte de laquelle se trouve l'ennemi; il est absurde de proposer une diversion sur les derrières d'un général que précède la victoire : une telle opération peut bien achever la destruction d'une armée battue, mais elle ne peut faire une impression sérieuse sur un ennemi triomphant, qui a d'ailleurs pris tous les moyens que lui offre sa puissance, pour n'être pas inquiété sur les positions qu'il laisse derrière lui.

Quel est l'état actuel de la guerre? L'empire de Russie, plus étendu que celui jadis établi dans l'antique Italie, a, malgré sa grandeur, deux augustes capitales, dont l'une est à portée d'être atteinte par l'ennemi, et l'autre très-près d'être occupée par lui. Personne ne dotite, dans les circonstances actuelles, que l'intention de Napoléon ne soit de planter ses aigles sur les remparts de Moscou (1), et peu de gens douteront qu'il n'ait les moyens d'accomplir ses desseins redoutables: mais il en est qui supposent que lorsqu'il se sera avancé jusque là, la Russie sera encore entière, et que le siége de l'Empire fondé par Pierre-le-Grand à lui seul peut mettre le souverain en état de soutenir

(1) Le rédacteur du Morning-Chronicle écrivait ceci le 26 septembre. Au moment où nous écrivons nous-mêmes, il apprend que \par le passé il avait bien jugé du présent, et que le plan de l'Empereur avait été effectivement calculé pour attaquer au cœur le corps immense qu'il avait à combattre,

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encore le rang élevé qu'il a tenu parmi les monarques de l'Europe et de l'Asie."

» Une courte explication détruira ce préjugé. Le sang n'est pas plus nécessaire à l'existence animale, que le pays actuellement occupé par les Français, et particulièrement Moscou, s'ils y pénètrent (ce que Dieu venille prévenir), n'est indispensable au maintien du commerce, de la force, de la richesse, de la puissance, et même de l'existence de Saint-Pétersbourg.

Cette superbe capitale n'a été élevée au milieu des marais, que parce que son fondateur voulait pénétrer dans la Baltique; la mer Blanche, la mer d'Asow, la Caspienne et le Pont-Euxin ne suffisaient pas aux vues de l'ambition démésurée de Pierre I, et cette politique a donné lieu à des mesures suivies dans toute l'étendue de ce vaste Empire, pour détourner le commerce de ses canaux naturels et faciles, et le forcer à suivre les voies les moins naturelles et les moins praticables. Enfin, par les travaux d'un siècle, et à force d'hostilités extérieures et d'oppression intérieure, Pétersbourg seul fut mis en possession de la moitié du commerce de la monarchie.

"Il est facile, d'après ce coup-d'œil, d'établir la próposition que l'épée de la France venant de trancher ces artères, la santé et la vie de Pétersbourg sont détruites; et que l'occupation de la ligne qui s'étend de l'embouchure de la Dwina à Moscou, interceptant toute communication avec toute la partie de l'Europe située, au midi de cette limite, assure à l'occupant la possession de toutes les ressources de l'Empire. La nature et le caractère du commerce de Pétersbourg n'offrent aucun trait de ressemblance avec le commerce d'aucun autre pays. Le bruit des victoires n'y trouble point le repos des habitans ; la fumée des fourneaux n'y obscurcit point comme ici l'atmosphère; la maison du riche négociant n'est point encombrée, ni des énormes ballots ni de ces tonneaux qu'on voit dans nos places maritimes et de commerce. Tout y offre l'aspect d'une résidence impériale, où la richesse et le luxe se font seuls apercevoir, sans que l'on puisse découvrir les pénibles moyens que l'on emploie nécessairement pour les acquérir; mais quoique rien ne se fasse dans l'intérieur de la capitale, par-tout l'industrie s'occupe à soutenir sa magnificence. Les trois principaux fleuves de la Russie occi, dentale, la Dwina, le Niémen, le Borysthène, prennent leurs sources dans les mêmes marais, non loin de Smo

lensk. Près de là est une vaste étendue de terrain, tellement arrondie, qu'elle pourrait facilement être enclose; là on tirait tout le chanvre dont la Grande-Bretagne a un si grand besoin pour sa marine et pour le besoin des particuliers. Trois grands dépôts de cette denrée et d'autres marchandises de toute espèce, produits du pays, sont établis dans le voisinage. Un de ces dépôts est à Ghjath, d'où le Bulletin français du 3 de ce mois est daté: on trouve, en outre, dans les environs, de vastes édifices où sont préparés tous les articles avant d'être livrés au commerce.

» Telle est la position, tel est le territoire, et tels sont les établissemens que les Russes ont été forcés d'abandonner à leur ennemi. Pétersbourg n'en étant qu'une dépendance, et tirant tout de ces contrées, toute son importance se trouve perdue: on juge combien les Français sauront profiter des grandes facilités que leur offre un tel pays, pour faire transporter tous les objets qu'ils y trouveront à leur convenance, soit à Riga, s'ils le prennent, soit à Memel, soit à Dantzick, soit sur tout autre point commode au midi du golfe de Finlande.

» On verra, dit le Morning-Chronicle en terminant, que dans notre examen de l'état de la Russie, au milieu de la lutte terrible dans laquelle elle se trouve engagée, nous n'avons pas envisagé les suites de cette lutte par rapport à nous-mêmes. Nous ne nous occuperons pas à présent de cet objet, quoiqu'il tonche de très-piès notre prépondérance maritime et les intérêts commerciaux de l'empire britannique; mais il est de nature à faire faire les plus sérieuses réflexions, et il ne serait pas impossible de prouver • que, dans cette dernière combinaison politique aussi adroite que les autres, notre ministère aura atteint, comme à l'ordinaire, les deux buts qu'il semble toujours se proposer. Il aura entraîné notre allié à sa perte. et nous aura fait participer d'une manière très-sensible à cette perte ellemême étrange destinée de l'Angleterre, fatal résultat de sa politique qui, depuis dix ans d'une guerre si impru demment entretenue, fait toujours retomber sur nous, et sur ceux que nous lions à notre cause, tous les maux dont nous voulons obstinément accabler un ennemi, habile à se faire un levier de nos efforts pour renverser sa puissance!" Le Moniteur vient de publier un assez grand nombre d'articles et extraits de correspondances officielles sur les affaires d'Espague; ces détails remontent à une date assez arriérée, mais il paraît qu'ils seront conduits par la suite.

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de la narration jusqu'au moment actuel. La plupart des mouvemens et des engagemens rapportés dans les pièces officielles ont été indiqués par les journaux anglais, et en les retraçant nous avons eu comme de coutume le soin de les apprécier et de les lier l'un à l'autre plus par les résultats et les dates, que par la couleur sous laquelle la bonne foi britannique les a présentés. C'est ainsi que nous avons parlé des divers engagemens du général Hill avec le comte d'Erlon, des détachemens de l'armée du midi avec Ballasteros, des affaires de Murcie, de Grenade et de Saint-Roch, des nouveaux mouvemens de l'armée de Portugal, de la reprise de Bilbao, du combat qui a couvert la retraite de l'armée du centre contre l'avant-garde de l'armée anglaise; c'est ainsi que nous avons surpris dans les journaux anglais cités par le Moniteur l'important aveu de la position embar rassante dans laquelle s'était engagé le général lord Wellington: nous disions avec raison qu'il ne tiendrait pas dans sa position avancée vers le midi de l'Espagne, qu'il serait rappelé au nord par la reprise des opérations de la part de l'armée du nord; nos conjectures se sont tout-à-fait vérifiées; au lieu de s'avancer sur Cordoue, lord Wellington a été obligé de se reporter rapidement sur Valladolid. Voici un aperçu de la position actuelle des divers corps agissant dans la péninsule.

Les dernières dépêches reçues d'Espagne, dit le Times prouvent un ou deux faits qu'il n'est pas inutile en ce mo ment de mettre sous les yeux du public.

« D'abord, que lord Wellington et le maréchal Soult sont actuellement à près de 340 milles l'un de l'autre : le premier étant retourné subitement du côté de Valladolid, et le second à Andusar sur le Guadalquivir : Andusar est à 250 milles de Valence, et rien ne peut de ce côté s'opposer à la marche de Soult, excepté le corps anglais de 7000 hommes aux ordres du général Maitland, et les petits corps espagnols portés de ce côté. Or, le maréchal Soult a 45,000 hommes effectifs, et il n'est qu'à 70 milles de Grenade, l'un de ses principaux magasins ou dépôts.

"Au nord de l'Espagne, quand bien même les Français ne seraient pas assez nombreux pour livrer bataille au lord Wellington, ils lui ont encore paru assez redoutables pour les ramener sur eux et le déterminer à ne pas s'engager au centre de la Péninsule; ils le sont au moins assez pour forcer le général anglais à employer des forces considérables uniquement à les tenir en échec. Le corps du gé

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