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parle longuement de la poésie prophétique qui fut longtems particulière aux Hébreux; les lamentations de Jérémie sont des modèles d'élégies; les Proverbes de Salomon, l'Ecclésiaste, l'Ecclésiastique et le livre de la Sagesse sont des poëmes didactiques; les caractères distinctifs de l'ode et de l'idylle se retrouvent dans plusieurs compositions hébraïques, etc. Les poëtes profanes les plus célèbres, Sophocle, Pindare, Virgile sont comparés aux poëtes hébreux.

Nous regrettons de ne pouvoir parler longuement de cette troisième partie; mais ce serait donner beaucoup d'étendue à un article qui en a déjà assez. Il nous suffira de dire que Lowth, dans cette dernière partie, fait preuve de goût, non moins que d'érudition.

Nous ne ferons aussi qu'indiquer à nos lecteurs un petit poëme de Lowth que le traducteur a cru devoir mettre à la suite des Leçons sur la poésie des Hébreux. Ce petit poëme, qui a pour sujet la généalogie de J. C. représentée sur la fenêtre orientale de la chapelle du collége de Winchester, est estimé des connaisseurs.

Il nous reste à parler du travail du traducteur; c'est pour mettre nos lecteurs à portée de le juger que nous en avons fait de fréquentes et longues citations. Cette traduction a, à un très-haut degré, le mérite de l'exactitude. Nous avons, dans la première de nos citations, mis en italique deux mots qui nous ont paru impropres, et qui font un tel disparate avec le reste de l'ouvrage, que nous ne pouvons en attribuer l'admission qu'à une erreur de copiste.

«L'un (le philosophe) nous conduit à la vérité et à » la vertu par le chemin le plus direct et le plus abré» gé, etc. » Le texte latin dit : Proxima et compendiaria semita. Il cût été mieux de dire : Le chemin le plus simple et le plus court. Au reste, on ne trouve pas une seconde faute de ce genre dans les deux volumes; le style du traducteur est clair, facile, élégant, harmonieux, et décèle un homme exercé à écrire; nulle part on n'aperçoit de ces tournures embarrassées si fréquentes dans les traductions. Le style de Lowth a de la pompe, et quelquefois de la redondance: ces deux caractères

sont conservés dans la traduction, mais sans qu'il en rẻsulte la moindre obscurité.

Dans une préface de quelques pages écrites d'un ton modeste et qui n'a rien d'affecté, le traducteur se montre philologue instruit. Il va au-devant du reproche qu'on pourrait être tenté de lui faire de n'avoir pas traduit toutes les notes de Michaelis. Quant à nous, loin de lui en faire un crime, nous l'en félicitons au contraire. La plus grande partie de ces notes ne peut avoir de l'intérêt que pour les personnes versées dans la connaissance de l'hébreu, de l'arabe et des autres langues de l'Orient; ce n'est pas dans une traduction française que les Orienta→ listes iraient les chercher, et beaucoup de lecteurs n'y auraient vu qu'un pédantesque étalage d'une érudition d'emprunt. A. J. Q. B..

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LA MORT D'ABEL, poëme en cinq chants, traduit en vers français, et suivi du poëme du Jugement dernier; par J. L. BOUCHARLAT. Un vol. in-18. Prix, fr. 50 c., et fr. 75 c. franc de port. A Paris, chez Bechet, libraire, quai des Augustins, no 63; et chez Delaunay, libraire, Palais-Royal, galeries de bois, nos 243 et 244.

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L'AUTEUR de cette traduction en vers, est aussi auteur d'un ouvrage de mathématiques, et professe, dit-on, avec distinction, cette science dans un des lycées de l'Empire. La malignité ne manquerait pas, à propos d'un ouvrage de poésie, d'exalter sur-tout l'ouvrage de mathématiques et de vanter le géomètre aux dépens du poëte; car c'est-là un de ses moyens favoris. Un homme se présente-t-il avec deux titres, différens mais à-peuprès égaux, à la célébrité? Il s'agit d'abord de les lui contester tous deux. Mais comment fait-on alors? Ceux qui sont juges compétens dans une partie ne le sont pas dans l'autre. Tel ouvrage est du ressort des lettres; tel autre du ressort des sciences. On convient dans ce cas de louer un des deux : c'est ordinairement celui sur lequel on est le moins en état de prononcer, et l'on cri

tique impitoyablement celui dont on est juge naturel. Il s'ensuit qu'un auteur ainsi jugé par ses pairs, et toujours avec les formes de la justice, a quelquefois à se plaindre d'un véritable déni de justice. C'est, je crois, d'Alembert qui se trouva un jour dans une société où l'on examinait les titres sur lesquels se fonde la gloire de Voltaire dans les sciences et dans les lettres. Tous admiraient la beauté, l'étendue de son génie, et cette facilité brillante qui lui a marqué une place honorable dans les différens genres qu'il a embrassés. Cependant, disait un légiste, je crois que dans les matières de jurisprudence qu'il a traitées, il est resté au-dessous de ses autres productions. Un théologien trouvait que ses connaissances en théologie n'étaient que superficielles. Et moi, leur dit malignement d'Alembert, je crois que les mathématiques sont sa partie faible. Ce même d'Alembert, en racontant cette anecdote ou vraie ou controuvée, ne pensait pas combien sa gloire, comme écrivain, aurait à souffrir de sa gloire comme géomètre, quelle arme on se ferait de l'une contre l'autre, et qu'enfin un jour l'ignorance, devenue plus présomptueuse, après avoir essayé de le dépouiller de ses titres littéraires, lui contesterait jusqu'à ses succès dans les sciences.

Pour nous qui, dans M. Boucharlat, ne considérons que le poëte, et ne prétendons examiner ici que sa traduction en vers, nous croyons devoir déclarer que si nous en disons du bien, c'est sans aucune intention de décrier son ouvrage de mathématiques; de même qu'il ne faudrait rien conclure en faveur de celui-ci, des critiques que nous pourrions hasarder sur le poëme. Seulement nous ferons observer que ce sont deux mérites différens dont la réunion est rare; que le talent des vers se concilie difficilement avec l'étude des sciences exactes, et qu'il n'est donné qu'à peu de gens d'être, comme Leibnitz, géomètre et poëte.

Pauci quos æquus amavit

Jupiter.

Nous avons plusieurs ouvrages en prose, soit origimaux, soit traduits de langues étrangères, auxquels il

à

ne semble manquer que les formes de la versification pour être des poëmes. Cependant les tentatives qu'on a faites pour les mettre en vers ont été jusqu'à présent sans succès. Collardeau, l'un des plus habiles versificateurs du dernier siècle, a fait cette épreuve sur le Temple de Gnide, et l'on préfère encore à la mollesse et à l'élégance froide de ses vers, la prose abrupte et saccadée, mais pleine de vie, de Montesquieu. Il n'a pu même parvenir, dans la traduction en vers de quelques nuits d'Young, faire oublier la version en prose du premier traducteur. Mettre en vers la prose d'un écrivain original, est un ouvrage presque mécanique et que refuse d'animer le feu de l'inspiration. Il faut peut-être, pour bien écrire en vers, penser en vers, et, comme on l'a dit, je crois, que la pensée sorte toute armée de la tète du poëte. Nous nous garderons bien de confondre avec ce travail dont la facilité apparente peut séduire, mais qui décèle une certaine stérilité d'idées, la traduction d'après un original en langue étrangère. Ici la difficulté de rendre les idées force le traducteur de se les approprier; ce travail devient une espèce de création, et pour rappeler encore ici Collardeau, quelques pages dans lesquelles il a lutté avec Pope en le traduisant, ont plus fait pour sa réputation qu'un volume dans lequel il s'est traîné sur la prose de Montesquieu et de Le Tourneur.

La traduction française et en prose de la Mort d'Abel, a eu un avantage dont bien peu de traductions pourraient se glorifier; celui de faire connaître et apprécier l'ouvrage original à presque toutes les nations de l'Europe. Gessner, qui écrivait en allemand, vit sur-tout l'Allemagne déchaînée contre son poëme. Les critiques de ce pays le jugèrent moins en littérateurs qu'en théologiens, et accusèrent presque l'auteur d'hérésie. En France, on fut moins rigoureux sur la doctrine et plus juste envers l'ouvrage. Quoiqu'à cette époque de notre littérature, le bel esprit, la recherche et l'afféterie n'eussent que trop d'empire, on fut sensible aux beautés simples et touchantes de la mort d'Abel, et les suffrages qu'elle obtint parmi nous, déterminèrent ceux de l'Europe littéraire.

Cependant le succès du poëme de Gessner n'avait pas empêché d'y reconnaître de grands défauts. « Les prin»cipaux, dit M. Boucharlat, sont les longueurs et les » répétitions.» En convenant, avec le nouveau traducteur, de la justesse de ces reproches, on trouvera peutêtre qu'il a usé bien largement du droit de réduire son original, et que l'opération qu'il lui a fait subir est une sorte de mutilation. Nous ne craignons pas d'avancer que dans la traduction en vers, le poëme de Gessner est réduit à plus de moitié. Cela peut-il s'appeler traduire? Et l'ouvrage dans lequel on peut sans scrupule faire de pareilles suppressions, est-il digne, en effet, de la réputation dont il jouit? Quoi qu'il en soit, nous ne prétendons pas demander à M. Boucharlat un compte rigoureux des passages qu'il a supprimés.

Nous pensons, comme lui, que « Gessner n'est pas au >> rang de ces auteurs classiques qu'on ne peut traduire » qu'avec une extrême circonspection, » et nous ne demandons pas mieux que de le voir justifié par le succès.

Continuons de donner une idée des changemens qu'a faits M. Boucharlat au poëme de Gessner. «Le per» sonnage de Caïn, dit-il, ne m'a pas paru se mouvoir » par des ressorts, assez dramatiques; j'ai cherché à le >> rendre plus sombre et plus dominé par la jalousie; et » pour le faire contraster davantage avec Abel, j'ai » donné une grande expansion au sentiment de l'amour >> fraternel qui anime ce dernier. »

Nous ne savons jusqu'à quel point il faut féliciter M. Boucharlat, d'avoir ainsi rembruni le caractère de Caïn, qui, dans la Bible et dans le poëme allemand, est peint de couleurs déjà assez fortes. M. Boucharlat a peut-être trop cédé au plaisir de le représenter, comine un autre Oreste, poursuivi par les furies et victime de celle fatalité, qui n'a commencé que long-tems après, à être un des dogmes de la mythologie, et ne pouvait entrer dans les idées religieuses des premiers hommes. On sait d'ailleurs qu'Abel et Caïn, l'un, conducteur de troupeaux; l'autre, adonné au labourage, caractérisent, le premier, les peuples pasteurs; le second, les peuples agricoles ; et sont en quelque sorte les deux types de ces

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