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opposé, un autre berger, plus jeune, se penche avec intérêt vers elle, et laisse voir sur son visage la joie que lui cause une si heureuse nouvelle ; il la transmet à un vieillard qui est au centre, de la composition, et qui ne pouvant, à cause de son âge, prendre une part bien vive à l'action, réfléchit profondément sur l'aventure terrible dont il est le témoin. Près de lui, une femme paraît pénétrée de la pitié la plus tendre, tandis que l'enfant qu'elle porte ne fait aucune attention à ce qui se passe sons ses yeux.

Toutes ces figures sont généralement bien dessinées bien peintes et d'une très-bonne couleur. Je critiquerai cependant la taille gigantesque du vieillard, et le bras droit du jeune homme, dont le raccourci est d'un effet désagréable. La figure de Zénobie devait être d'un caractère plus noble que les autres: la partie supérieure de son corps est d'un assez bon goût de dessin, mais on désirerait plus d'élégance dans le contour de la partie inférieure.

Ce jeune homme est de l'école de M. Regnault, et lui fait le plus grand honneur.

N° 102. Homère malheureux demandant l'hospitalité. Ce tableau ne détruit pas l'idée avantageuse que celui dont je viens de parler fait concevoir de l'auteur; mais il ne l'augmente pas, et je me contente de le citer.

M. GROS.

No 444. Entrevue de LL. MM. l'Empereur des Français et l'Empereur d'Autriche, en Moravie.

J'ignore combien de ressources le peintre aurait pu trouver dans son art pour enrichir ce sujet peu compliqué, et remplir convenablement le vide que devaient laisser sur une toile aussi vaste ces trois figures isolées au milieu de la composition; mais je crois que M. Gros aurait pu le faire d'une manière plus heureuse. Ce groupe qu'il a placé à la gauche, sur un second plan, serait mieux dans un tableau de genre que dans un tableau d'histoire. Les attitudes des principaux personnages sont naturelles et nobles sans affectation; les têtes seulement n'ont pas assez de relief. Le manteau de l'Empereur d'Autriche me semble lourdement ajusté, et la fumée qui se trouve derrière la figure de l'Empereur des Français d'un ton beaucoup trop mat. On retrouve néanmoins dans quelques parties tout le talent de l'auteur; et l'on distingue sur-tout un jeune page, dont la couleur est d'une grande vérité et d'une harmonie parfaite.

M. Gros aurait réussi plus complètement, s'il n'avait été gêné par la simplicité même de son sujet, et la nécessité où il était de tout sacrifier à l'objet principal.

No 446. Portrait équestre de S. M. le roi de Naples. Cette figure, quoiqu'un peu roide, est posée avec dignité, et la forme générale en est élégante; on doit admirer surtout le beau caractère de la tête, et l'air martial que le peintre a su lui donner. On sentirait mieux le mérite de ce tableau, si la mauvaise tournure du cheval, la sécheresse avec laquelle la caisse et la jambe sont découpées du côté du clair, et le peu d'accord de la figure entière avec le fond, n'affectaient pas aussi désagréablement l'oeil du spectateur.

Il est assez singulier, qu'en examinant l'ouvrage d'un peintre regardé à juste titre comme coloriste, je n'aie trouvé occasion de le louer que sous le rapport du dessin.

N° 448. Portrait en pied de Mme la comtesse de la Salle. Que celte composition est noble et touchante ! Comme ce sujet s'explique sans effort! Je ne crois pas qu'il soit possible de rendre avec plus de talent la situation d'une femme sensible placée ainsi entre les deux objets de son affection, entre le portrait d'un époux qui n'est plus et un fils qui doit la consoler d'une perte aussi cruelle. On voit qu'elle a pleuré long-tems devant cette image chérie, et qu'elle s'en éloigne avec peine. Sa douleur vive, mais exprimée avec tant de grâce et de simplicité, pénètre l'ame et la remplit d'une douce tristesse. Ah! sans doute, si celui qui en est l'objet pouvait être témoin d'une scène aussi attendrissante, quelque glorieux qu'ait été son trépas, il lui serait bien difficile de ne pas regretter la vie.

Je n'ai pas le courage de noter quelques taches dans un ouvrage dont l'ensemble est si beau, l'exécution presque parfaite, et qui n'inspire pas moins d'intérêt pour la personne de l'auteur que d'admiration pour son talent. Je suis forcé de remettre à une autre fois l'examen du magnifique tableau de Charles-Quint visitant l'église de Saint-Denis.

S. DELPECH.

LE BARON D'ADELSTAN,

OU LE POUVOIR DE L'AMOUR.

NOUVELLE.

Le jeune baron Sigismond d'Adelstan se promenait un matin dans sa chambre; ses bras croisés, sa tête baissée, un léger froncement entre les deux sourcils, un air pensif et presque sérieux annonçaient qu'il réfléchissait...... La réflexion était si rare chez lui, qu'il devait en être étonné lui-même, et qu'il l'était en effet, quoiqu'il eût un motif bien suffisant pour s'expliquer cette nouveauté. Le baron Sigismond avait signé la veille son contrat de mariage avec une belle enfant de seize ans ; il est vrai qu'il n'y avait pas mis plus d'importance qu'il n'en mettait à toutes ses actions; il avait écrit son nom au bas de cet acte solennel qui l'engageait pour la vie, comme il l'aurait mis au bas d'un billet-doux ou d'un rendez-vous de plaisir, et sans imaginer que cet engagement dût gêner le moins du monde sa liberté et fût une affaire sérieuse. On lui avait représenté qu'un jeune seigneur, le dernier de sa noble race, devait avoir une femme et un héritier; il s'était soumis à cet usage. La jeune baronne Natalie d'Elmenhorst. était fille du grand maréchal de la cour; elle devait avoir une immense fortune; il trouva que cette alliance réunissait toutes les convenances requises. Il l'avait vue quelquefois chez ses parens comme on voit un enfant, sans y faire attention il savait bien qu'elle était belle; mais ni sa sa figure, ni son caractère, ni sa parfaite éducation n'entrèrent pour rien dans le choix qu'il fit d'elle pour être la compagne de sa vie. Adelstan était, il est vrai, admirateur passionné des belles femmes, mais jamais il ne lui vint dans l'esprit que sa femme pût être belle pour lui, ni qu'il pût avoir le moindre amour pour elle : c'eût été un ridicule dont il n'eut il était bien aise cepenmême la pensée; pas dant que Natalie eût cet avantage, sa vanité en était flattée; et il espérait que leurs enfans auraient aussi cette figure distinguée, à laquelle il avait dû trop de succès pour ne pas en sentir la valeur. Il s'était donc fait présenter chez le maréchal d'Elmenhorst, et après quelques visites, il lui avait demandé la main de sa fille, et l'avait obtenue au premier mot. Adelstan était aussi fils unique, riche,en pleine

jouissance de sa fortune, ses parens étant morts depuis long-tems; M. d'Elmenhorst n'en demanda pas davantage, et l'affaire fut aussitôt conclue. Il n'y eut pas la moindre difficulté sur les conditions: le grand maréchal crut avoir tout fait pour le bonheur de sa fille, en lui donnant un époux, noble, riche, et de plus, jeune et beau, et en établissant un beau douaire en cas de veuvage; elle pour même, par excès de prudence, il voulut aussi faire stipuler ce qu'elle aurait en cas de divorce. Il faut penser à tout, disait-il ma fille est charmante, et saura, j'espère, fixer son époux; mais on le dit si léger, et les divorces sont à présent si fort à la mode, qu'il est bon d'y songer à l'avance. Adelstan n'en fut point surpris, il lui parut que cette clause diminuait de moitié le poids des chaînes du mariage.

Dans toute cette affaire ni Natalie, ni sa mère, l'aimable baronne d'Elmenhorst, n'avaient été consultées. Lorsque le grand maréchal vint leur en faire part, et leur dire que sa fille était engagée au baron d'Adelstan, l'impression qu'elles en reçurent fut différente; les joues de Natalie devinrent deux belles roses, celles de Mme d'Elmenhorst perdirent leur douce teinte; une nuance très-marquée de plaisir anima les yeux de la jeune fille, ceux de la maman se remplirent de larmes. Natalie, dit-elle en tremblant à sa fille, chère Natalie, espère-tu aimer un jour l'époux que ton père te destine? Je l'aime déjà, maman, répondit naïvement la jeune fille; il est si beau et si aimable; sans doute qu'il m'aime aussi puisqu'il veut m'épouser, et... et j'obéirai à mon papa... avec plaisir.

Fort bien, petite, lui dit son père en lui pinçant la joue; mais une demoiselle de ton âge ne doit pas si vîte avouer qu'elle aime, et dire qu'elle se marie avec plaisir... Cela ne convient pas du tout.

Mon рара, dit Natalie en baissant les yeux, maman me demandait...... Question aussi inutile que la réponse : Crois-moi, mon enfant, moins tu aimeras ton mari et plus tu seras heureuse. Je vous en conjure, madame, ne donnez pas à cette enfant vos idées romanesques. Il sortit en levant les épaules.

Mme d'Elmenhorst soupira profondément; passant ensuite un bras autour de sa fille, et la serrant contre son cœur avec un mouvement passionné, elle lui répéta sa question: Chère Natalie, tu aimes donc le baron d'Adelstan? J'en suis surprise... tu le connais si peu !

Natalie était interdite; la leçon de son père, la réflexion

me

de sa mère repoussèrent au fond de son cœur sa confiance; elle ne savait plus ce qu'elle devait dire et penser; elle se jeta au cou de sa mère sans lui répondre, et ses larmes s'ouvrirent un passage. Me d'Elmenhorst la consola, la calma, se fit expliquer peu-à-peu ce qu'elle éprouvait, et vit en effet avec étonnement que le cœur aimant de la jeune Natalie avait devancé l'ordre de son père, et s'était donné entièrement au bel Adelstan; et rien n'était plus naturel. Mme d'Elmenhorst avait élevé sa fille dans la plus profonde retraite, et sans autre maître qu'elle-même; le désir de perfectionner les talens de Natalie l'avait engagée à céder aux sollicitations de son époux, et à la conduire à la cour où il résidait habituellement. Il y avait peu de tems qu'elles y étaient arrivées lorsque le baron Sigismond se présenta chez elles; c'était le premier homme qui eût fait quelque attention à la jeune Natalie; la charmante figure du baron plaisait à ses yeux, et sa gaîté l'amusait. Sans faire précisément la cour à une petite fille dont il n'était point du tout amoureux, dans son projet de mariage il l'avait du moins distinguée des autres jeunes personnes; il lui adressait quelques propos flatteurs, il lui donnait des bouquets superbes; elle aimait les fleurs avec passion, et bientôt elle aima de même celui qui les lui présentait, et qu'elle trouvait l'être le plus aimable et le plus beau dont son imagination eût pu se former l'idée ; et cet être si parfait à ses yeux la choisissait entre toutes les femmes pour être la sienne! Jamais encore elle n'avait pensé à ses richesses; la simplicité dans laquelle elle vivait à la campagne, avait éloigné cette idée elle n'eut pas un instant celle qu'elles entrassent pour rien dans la recherche du baron, et elle en fut si flattée qu'elle aurait voulu tomber à ses pieds pour lui en témoigner sa reconnaissance; mais son père imposait silence à ses sentimens, et sa mère en paraissait surprise. Cependant Natalie avait une trop longue habitude de confiance avec cette excellente mère, pour lui cacher rien de ce qui se passait dans son ame; elle lui répéta donc, mais avec un peu plus de timidité, que son union future avec le baron d'Aldestan flattait tous les désirs de son cœur, qu'il le possédait en entier, et qu'elle était convaincue qu'elle serait la plus heureuse des femmes. Mme d'Elmenhorst soupira encore en silence; elle ne put prendre sur elle d'ôter à sa fille chérie une illusion si douce; elle connaissait les volontés impérieuses du grand maréchal, et savait qu'il serait inutile de vouloir lui ré

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