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LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

MAXIMES ET RÉFLEXIONS SUR DIFFÉRENS SUJETS DE ORALE
ET DE POLITIQUE; par M. DE LEVIS. Quatrième édition
Deux vol. in-18.-Prix, 4 fr., et 5 fr. franc de port.
A Paris, chez Renouard, libraire, rue Saint-André-
des-Arcs, no 55.

(SUITE ET FIN.)

« LA possession calme l'amour et souvent l'éteint; >> mais elle ne sert qu'à exciter l'ambition et l'avarice. » - C'est que l'amour seul possède en effet: mais l'avarice et l'ambition sur-tout n'ont point d'objet déterminé, de perspective limitée. Un négociant devenu possesseur des mines de l'Amérique espagnole, ne se trouverait pas assez riche pour peu qu'il se piquât de n'avoir point un esprit vulgaire, et de ne pas s'arrêter à des spéculations mesquines. Le monarque qui parviendrait à régner sur toutes les parties du globe, aurait alors tant de choses à faire pour les gouverner mieux, et le globe d'ailleurs est si petit dans l'univers, que si vous ne lui supposez pas une ame commune, il faut qu'il se plaigne et de la briéveté d'une vie qui finit à cent ans, et des bornes étroites d'un domaine dont les navigateurs peuvent faire le tour en trois cents journées.

«Notre première parole d'honneur appartient à la >> vertu ; c'est cette priorité qui ordonne de manquer à sa >> promesse lorsqu'on s'est malheureusement engagé à >> faire une mauvaise action. » Cependant que deviendra la confiance si dans les cas difficiles tout dépend d'une interprétation subséquente? Lorsqu'on a pris un engagement insensé, quand on a fait une de ces promesses qu'on ne peut tenir sans crime, est-il permis de manquer tout simplement à sa parole sans aucune formalité, sans offrir, s'il se peut, quelque dédommagement, sans expiation en quelque sorte? L'intérêt trouverait par-tout des

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prétextes, et dans les circonstances où l'on aurait d'abord recueilli le fruit de ces conventions illégales, on s'attribuerait ensuite le droit de ne les point ratifier. Des malfaiteurs entre les mains de qui vous êtes tombé, vous laissent libre d'après votre promesse de livrer le lendemain une somme considérable ; et le lendemain vous ; jugez qu'en donnant cet argent vous dérangeriez vos affaires, vous compromettriez essentiellement les intérêts de votre famille. Cependant ces brigands ne vous ont pas ôté la vie. Bien qu'ils soient inexcusables d'ailleurs, leur confiance est noble ; doit-elle être trompée ? De plus, ne seriez vous pas responsable jusqu'à un certain point des divers excès auxquels leur ressentiment pourrait se porter? Que faire donc, en général? se mettre, je crois, à la disposition de ceux envers qui l'on a eu la faiblesse de contracter de tels engagemens, et offrir, en ne sacrifiant que soi-même, la satisfaction qu'il leur plaira de recevoir. Si l'on trouve ceci trop sévère, je transcrirai cette belle réflexion de M. de Levis : « Un » cœur parfaitement droit n'admet pas plus d'accom» modement en morale qu'une oreille juste n'en admet >>> en musique. »

<< Diminuez vos rapports avec les hommes, augmentez>> les avec les choses.» Cette maxime n'est pas seulement d'un bon esprit, mais d'un sage. Les choses ne sont pas aussi agitées; elles ont du moins une permanence apparente, et, relativement à nous, une immobilité qui rend l'ame plus égale et plus ferme. Cette même cause fait que les sciences, ainsi que l'observe ailleurs M. de Levis, amortissent la sensibilité. «Elles enlèvent, con»tinue-t-il, dans une région supérieure à ce monde de » misères, et dirigent cet intérêt si vif que l'on prenait à » des biens périssables, vers des choses indépendantes » de la fortune. » En effet, les sciences ont principalement pour objet les choses immuables; or la contemplation de ce qui est fixe et illimité devient tôt ou tard l'aliment des ames fortes.

Cette sagesse que l'on vient de voir, on en retrouvera des traces dans les pensées suivantes, qui toutes sont

tirées du premier volume. «Si les peines détruisent le bon» heur, les plaisirs le dérangent. - Le moyen de passer » doucement la vie est de préférer les plaisirs qui vien» nent de l'habitude à ceux que donne le changement.» L'activité est aussi nécessaire au bonheur que l'agi»tation lui est contraire.-Ne comptez pas sur la justice » de celui dont l'esprit manque de justesse. Justesse » d'esprit, précieux don du ciel, c'est toi qui apprends » à être équitable envers les autres et modéré pour soi» même.-Sacrifier ses goûts à ce que l'on aime, est une jouissance bien douce que la morale autorise; mais si » vous laissez prendre de l'influence sur vos opinions, » comment pourrez-vous répondre de ne pas manquer à » vos devoirs? S'il vous reste quelque prudence, ne » souffrez pas que vos passions tuent vos goûts; vous »serez trop heureux de les retrouver un jour. La guẻ»rison spontanée d'une égratignure est plus admirable » que tous les chefs-d'œuvre de l'industrie humaine. »

M. de Levis définit la philosophie, la raison du juste; et il dit de la raison en général, qu'elle est le sens du bonheur. Selon lui, la morale est la conscience raisonnée; la pensée est une inspiration; la réflexion un travail, et ce travail est un devoir d'où découle la moralité des actions; la vertu est le triomphe de la générosité sur l'intérêt, et la délicatesse est la fleur de la vertu. L'éducation, dit-il encore, n'est qu'un exercice raisonné et suivi.

Une manière concise, loin d'exclure l'effet pittoresque, semble très-propre à le faire rencontrer plus souvent. S'il paraît y avoir un peu de recherche dans ce mot: vous croyez que vous êtes modeste..... Je ne » vous savais pas si orgueilleux; » ou peu de naturel dans cette sorte de figure: « les spéculations sont à la » mode; en voici une qui présente un gain assuré : lors» que vous êtes triste, tirez des lettres-de-change sur » l'avenir; elles pourront être protestées à l'échéance >> mais qu'importe pourvu que le présent les escompte?»> Si, dis-je, on condamnait dans ceci quelque léger défaut de goût, dont il n'y a peut-être pas deux autres exemples dans le recueil entier, cent mots heureux formeraient une compensation surabondante, et parmi les

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pensées justes, ou les remarques ingénieuses que je vais citer, on trouvera des expressions que La Bruyère eût saisies avec plaisir. «La nature humaine est si faible que >> les hommes honnêtes qui n'ont pas de religion, mè » font frémir avec leur périlleuse vertu, comme les dan» seurs de corde avec leurs dangereux équilibres. — Les plus douces caresses ne sont pas celles où nous recon» naissons l'intention de nous plaire. Les pensées des >>femmes ne sont guère que des allusions. Dans les >> affaires d'intérêt les femmes ont en général moins de » justice, mais plus de loyauté que les hommes; elles » réservent la mauvaise foi pour des affaires d'un autre >> genre. Voici pour donner du courage une recette assez » bonne et dont on se trouve généralement bien en Eu>> rope : prenez trois aunes de gros drap, etc.; affublez » de cet attirail un pauvre paysan timide.... ; vous aurez » un brave guerrier; mais si vous tenez absolument à >> avoir un héros, il faudra faire encore la dépense d'un » grand bonnet de peau d'ours, et de deux grenades de >> cuivre doré. L'orgueil de la naissance serait le plus » sot et le plus insupportable de tous, sans l'orgueil des >> parvenus qui semblent toujours pressés de regagner le »tems perdu.--Ne vous désespérez pas, jeune homme, >> bientôt l'inconstance de votre maîtresse ne vous tou» chera pas plus que ne le fait aujourd'hui la perte de » cette toupie, qui, dans votre enfance, vous a coûté » tant de larmes. -Peu de gens ont la fatuité de croire » qu'ils iront droit en paradis, etc.-Tous les monumens » des hommes ont péri.... et voilà qu'un volcan.... nous » a conservé des villes entières... Tout subsiste, tout est » à sa place........ et l'effet de ce grand bouleversement a » été d'empêcher que rien ne fût dérangé. »

L'abondance des choses ne laisse point de place pour les remarques que j'eusse dû faire en plusieurs endroits, sur quelques définitions, par exemple, et sur la périlleuse vertu de ceux qui sont tout simplement des hommes honnêtes : néanmoins je n'ai pas pris l'engagement de ne plus rien contester à M. de Levis, si l'occasion s'en présente encore, de ne plus faire de commentaires et même d'observations critiques.

En lisant ce passage, accompagné d'une note qui en fait un principe rigoureux : « les peuples ne se ressem» blent que par la crainte, la vanité, et le sentiment de » la paternité; ils diffèrent en tout le reste, » je trouvais un peu restreint le nombre des dispositions attribuées à l'espèce entière. La vanité, disais-je, est-elle plus universelle que ce triste calcul, cette déplorable industrie de l'amour-propre, qui chez les peuples libres, comme chez les peuples asservis, porte insensiblement ceux qui ont l'ame étroite à se soumettre aux uns avec bassesse, dans le flatteur espoir de dominer insolemment sur les autres? Et ensuite j'ai remarqué, dans le premier volume, cette réflexion à laquelle je ne m'étais pas arrêté d'abord : « En voyant tant de bassesses et tant d'injus>>tices, on doute si c'est pour la servitude ou pour la >> tyrannie que les hommes ont plus de penchant.» Peutêtre est-il encore, aux Antipodes, derrière Botany-Bay, dans le fond des terres, une tribu dont on pourrait dire: elle se borne à l'indépendance, ne veut point conquérir et ne veut point dépendre; mais une peuplade aussi étrange ne ferait pas exception, car il y aurait chez elle tout aussi peu de vanité que de servitude. L'auteur peut, il est vrai, rapporter à la vanité ce penchant à la dépendance, à la domination; mais, en généralisant ainsi, l'on ne trouverait plus dans l'homme que l'amour de soi; la crainte, et même le sentiment de la paternité ne devraient plus en être distingués.

« Je ne sais si chez les hommes capables d'une véri» table amitié, ce sentiment n'est pas encore plus ex>>clusif que l'amour. » C'est peut-être aller trop loin; l'amitié n'est pas, comme l'amour, une affection naturellement exclusive.

« Il est encore plus facile de juger de l'esprit d'un » homme par ses questions que par ses réponses. » — Dans ses réponses il n'a pas le choix des objets; elles sont accidentelles, pour ainsi dire, et tiennent souvent à la partie la moins importante de sa pensée; mais dans ses questions, on le voit presqu'entier, car s'il ne croit pas devoir en faire sur ce qui l'occupe principalement, du

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